Bagdad, bien plus qu’un cliché : retour à la vie d’une capitale en renaissance – Par Hatim Betoui

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Vendeur des roses dans l’avenue Al Mutannabi à Bagdad le 2 mai 2025. C’est une ville sans égale, singulière, féminine, fière, belle. Ses jours comme ses nuits sont lumineux, doux, presque envoûtants. (Photo par Jewel SAMAD / AFP)

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Celui qui met les pieds pour la première fois à Bagdad découvre vite l’écart entre l’image noire véhiculée par certains médias et la réalité d’une ville en pleine résilience. Dans cette chronique, Hatim Betioui raconte ses premiers pas à Bagdad. Derrière les stigmates du passé, il a retrouvé une capitale irakienne offrant un visage chaleureux, vibrant, profondément humain. Elle s’apprête à reprendre pleinement sa place dans le giron arabe.

Entre mythe médiatique et réalité palpable

Dès l’atterrissage à l’aéroport international de Bagdad, une autre image se dessine. L’accueil réservé aux journalistes n’a rien de banal : officiel, attentionné, presque protocolaire, il rappelle la valeur accordée aux mots et à ceux qui les portent, à une époque où les influenceurs et autres créateurs de contenu ont relégué les journalistes à l’arrière-plan.

L’émirati Mahmoud Al-Awadi, confrère et ami, ne cache pas sa surprise : « C’est la première fois que je me sens accueilli comme un ministre des Affaires étrangères ! Quel bonheur de voir qu’un journaliste a encore droit à un traitement digne de ce nom. »

Sur le chemin reliant l’aéroport à la célèbre avenue Abou Nouwas, en longeant les rives du Tigre où trône l’hôtel Babylon, une autre réalité saute aux yeux : les chantiers de construction foisonnent, les grues dessinent l’horizon. Un signe tangible que la capitale a retrouvé une stabilité sécuritaire et qu’elle tente de sortir de cette « zone grise » où elle a été reléguée depuis l’invasion du Koweït en 1990, puis celle des États-Unis en 2003, suivies de chaos et de délitement institutionnel.

Bagdad, entre tendresse et renaissance

Dès les premiers instants, Bagdad vous enveloppe d’une chaleur humaine rare. C’est une ville sans égale, singulière, féminine, fière, belle. Ses jours comme ses nuits sont lumineux, doux, presque envoûtants. Une douceur qui vous traverse le cœur, et qui vous transforme en poète, même si vous n’étiez venu que journaliste.

Impossible de ne pas succomber au charme du quartier coloré de Karrada, avec cette étrange impression d’y avoir toujours appartenu, même sans l’avoir jamais foulé auparavant. À chaque coin de rue, l’hospitalité irakienne s’exprime sans ostentation : on vous offre un thé sans accepter que vous le payiez, simplement parce que vous êtes un hôte arabe. Le boulanger, de son côté, vous tend un pain chaud avec le même sourire, sans attendre de monnaie. À Bagdad, l’étranger n’est pas un touriste mais un invité, un frère à honorer.

Dans un monde où le tourisme est souvent réduit à une machine à sous, l’Irakien préfère faire sentir au visiteur qu’il est chez lui. Une noblesse d’âme qui émeut et désarme.

Bagdad en marche vers l’avenir

On m’avait mis en garde avant mon départ : instabilité, insécurité, risques omniprésents… Mais sur place, une vérité éclate comme une évidence : Bagdad est aujourd’hui plus sûre qu’elle ne l’a été depuis des décennies. En trois ans, la ville a reconquis sa tranquillité et ses autorités ont compris qu’il fallait coûte que coûte préserver cet équilibre.

Il est désormais possible de déambuler librement entre les deux rives du Tigre, de la rue Al-Mutanabbi, haut lieu de la culture à Rasafa, au quartier chic d’Al-Mansour à Karkh, sans escorte, sans appréhension. Le spectre de la peur s’est dissipé, ne subsistent que les photos des victimes des attentats de Daech, disséminées dans les rues, mémoire vivante des larmes versées et des mères endeuillées.

Cette Bagdad qui panse ses plaies se prépare à accueillir la 34e session du Sommet de la Ligue arabe. Une manière symbolique de dire que l’Irak veut retrouver sa place naturelle dans le concert arabe, non plus comme théâtre de conflits, mais comme carrefour de civilisation et de dialogue.

Sommet arabe à Bagdad : le retour assumé de l’Irak dans le giron arabe

Depuis le sommet de 2012, bien des choses ont changé dans la région. Bagdad a traversé des années de conflits, de tensions internes et d’isolement diplomatique. Aujourd’hui, le cap est clair : l’Irak ne veut plus être un théâtre de tensions, mais un acteur régional constructif. À l’approche du sommet arabe du 17 mai 2025, la capitale affiche sa volonté de renouer avec son identité arabe, malgré les absences prévues de plusieurs leaders et la possibilité de surprises de dernière minute.

Pour les Irakiens, cette réintégration dans la sphère arabe n’est pas simplement un enjeu diplomatique : c’est un espoir. Dans les rues de Bagdad, nombreux sont ceux qui expriment leur lassitude des conflits idéologiques et de la guerre, et leur désir ardent d’une vie meilleure, portée par un État fort et un développement économique durable.

Le pari économique au cœur des ambitions

Conscients que les blocages politiques ne peuvent être résolus du jour au lendemain, les dirigeants irakiens misent sur le terrain du développement. C’est dans cette logique qu’est organisée, en parallèle au sommet politique, la 5e édition du Sommet arabe du développement économique et social.

Lors de la récente réunion du Conseil économique et social de la Ligue arabe, plus de 30 résolutions ont été adoptées. Parmi elles, la création d’un Conseil des ministres arabes du Commerce, preuve que les pays arabes cherchent à renforcer leurs complémentarités économiques sur des bases concrètes.

Bagdad voit dans cette approche pragmatique un levier pour reconstruire son économie, restaurer sa souveraineté et apaiser les tensions régionales grâce à des partenariats fondés sur le principe du "gagnant-gagnant".

L’Irak veut tourner la page et réactiver sa boussole arabe

En dépit des défis, Bagdad respire à nouveau. Après des années marquées par le chaos et l’instabilité, la vie reprend son cours dans la capitale. Les signes de normalisation sont visibles : sécurité renforcée, ouverture sur le monde arabe, volonté affirmée d’apaiser les fractures régionales.

La dynamique qui s’installe à l’occasion de ce sommet n’est pas simplement protocolaire. Elle marque un retour en force de la "sensation arabe" dans l’espace public irakien. Et alors que la région subit encore les répercussions du « Déluge d’Al-Aqsa » et d’autres bouleversements géopolitiques, Bagdad tente de repositionner sa boussole sur un cap d’unité, de développement et de coopération.

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