Dialogue social : Face aux fuites, parler vrai et dissiper les ambiguïtés - Par Bilal TALIDI

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Le Ni-ni compréhensible du ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, ni compensation pour les carburants, ni augmentation générale des fonctionnaires, encore faudrait-il clarifier les fuites des sources syndicales sur les ‘’promesses’’ du dialogue sociale

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L'Etat, au-dessus des lobbies - Par Bilal TALIDI

Il y a quatre mois, au cours des questions orales à la Chambre des représentants sur les mesures d’allègement de la hausse des prix, le ministre délégué chargé du Budget, Fouzi Lekjaa, a fermé définitivement la porte devant tout retour au soutien des hydrocarbures. 

M. Lekjaa a justifié cette décision en expliquant que le recours à une mesure pareille impliquerait pour la Caisse de compensation la bagatelle de 74 milliards DH, soit 60 milliards DH supplémentaires que le gouvernement aurait à ajouter au montant initialement prévu pour l’exercice budgétaire en cours.

Le gaz et le sucre d’abord

Le ministre a argumenté en arguant que ce trou budgétaire se traduirait par l’impossibilité pour l’Exécutif d’honorer l’investissement public et de mettre en œuvre ses programmes sociaux, notamment dans les secteurs prioritaires que sont la santé et l’enseignement.

Deux mois plus tard, le ministre délégué chargé des relations avec le Parlement, Porte-parole du gouvernement, Mustapha Baitas, répondant aux critiques appelant l’Exécutif à prendre des mesures similaires à celles initiées par nombre de gouvernements européens consistant en la réduction des taxes sur la consommation des hydrocarbures, a écarté à son tour cette option. Sinon, a-t-il expliqué, le gouvernement serait à la fois incapable de fournir le soutien exceptionnel aux professionnels du transport et de mobiliser les 16 milliards DH supplémentaires nécessaires à la Caisse de compensation pour maintenir le prix intérieur du gaz butane et assurer la stabilité des prix du sucre.

Pas d’augmentations générales 

Plus récemment, Fouzi Lekjaâ, lors d’une réunion avec les centrale syndicales les plus représentatives et la CGEM, sur la mise en œuvre de l’Accord social du 30 avril 2022, a clairement souligné l’impossibilité d’une augmentation générale des salaires des fonctionnaires. Selon une fuite de sources proches des syndicats, le ministre aurait rejeté cette possibilité car son cout nécessiterait le recours à l’endettement.

Des sources proches des syndicats ont également fuité le draft d’une entente à officialiser bientôt entre les centrales syndicales et le ministère de l’Éducation nationale.  Il s’agirait, selon ce draft, de mesures à forte incidence budgétaire, certaines liées à l’institution de primes de rendement pédagogique, d’autres en rapport avec des dossiers en suspens, alors que d’autres ont trait à la création d’un nouveau grade dans le statut ou encore à l’institution du cadre d’enseignant-chercheur dans le même statut que les enseignants titulaires d’un doctorat.

Par ailleurs, des sources syndicales du secteur de la Santé ont fait état, suite à l’accord signé récemment entre le gouvernement et les syndicats, d’augmentations des salaires des médecins oscillant entre 3600 et 3900 DH, toutes catégories confondues.

Priorité aux équilibres macroéconomiques

Naturellement, ces données contradictoires jettent un dense brouillard sur les capacités financières du gouvernement à mettre en œuvre son agenda social, particulièrement en cette période sensible marquée par une sourde tension sociale qui couve à cause de la hausse des prix.

Les décisions officielles annoncées jusqu’ici indiquent que le gouvernement actuel, à l’instar de ses prédécesseurs, s’en tient au maintien des équilibres macro-économiques. Cette contrainte lui impose d’user de la hausse des recettes fiscales, recouvrées à la faveur de la hausse des prix des carburants, pour compenser le déficit de la Caisse de compensation, mettre en œuvre les politiques sociales et soutenir l’investissement public, sachant qu’en cette période délicate, le budget de l’Etat ne peut supporter des dépenses exténuantes qui l’obligeraient à contracter des dettes, à réduire l’investissement public ou à hypothéquer les programmes sociaux. 

L’unique exception recevable dans ce contexte est celle des médecins. Le nombre réduit de cette catégorie qui souffre, de surcroit depuis longtemps d’une incompréhensible injustice salariale, rend son augmentation impérative d’autant plus et que le Maroc se doit de l’honorer au vu des efforts colossaux qu’elle a généreusement déployés tout au long de la pandémie du coronavirus.

Le silence du gouvernement sur les fuites

Ceci étant, il est tout de même curieux qu’hormis le rejet de l’augmentation générale des salaires des fonctionnaires attribué à M. Lekjaa, aucun responsable n’a ni confirmé ni infirmé les fuites relatives aux accords du dialogue social du 30 avril 2022.

Des observateurs attribuent cette ‘’discrétion’’ des responsables à une éventuelle augmentation des salaires de certaines catégories. Dans ce cas, les fuites portant sur le secteur de l’enseignement, serait l’augure d’une exception pour cette catégorie, l’argument étant que le budget de l’Etat a réalisé un excédent considérable des recettes des phosphates (près de 30 milliards de DH) autorisant le gouvernement à satisfaire au moins les attentes de certaines catégories.

A une autre étage des attentes, l’Opposition, le PJD notamment, est catégorique : le gouvernement serait incapable d’atteindre son objectif d’accorder des primes de 1000 DH aux démunis âgés de plus de 65 ans, une mesure qui lui couterait la mirobolante somme de 22 milliards de DH, un montant que Exécutif ne peut supporter.

Une nécessaire clarté

Tout ce qui précède laisse entrevoir bien plus qu’un hiatus entre les réserves financières dont dispose le gouvernement et les promesses qu’il a lancées, ou du moins celles que l’on a fuitées du dialogue social. Il remet aussi sur le tapis une interrogation cruciale sur la situation réelle des finances de l’Etat, sur le degré de la clarté politique et sur l’homogénéité du discours des composantes du Cabinet.

Le gouvernement est sensé faire preuve d’une clarté politique et mettre à la disposition de l’opinion publique les données relatives aux finances publiques, dire ce qui est réalisable de ce qui ne l’est pas, confirmer ou infirmer les possibles augmentations, préciser si elles seraient générales ou limitées à des catégories spécifiques, expliquer si l’amélioration des conditions de certaines catégories est la conséquence d’une embellie des indicateurs financiers ou, à défaut, si seule la sentence de Fouzi Lekjaa sur l’impossibilité d’une augmentation générale des salaires des fonctionnaires, demeure la référence en la matière, le reste n’étant alors que colportage de promesses intenables et inatteignables.

Il est admis que les considérations financières, en dépit de leur rôle axial, ne sont pas le déterminant dans les dialogues sociaux. D’autres paramètres entrent en jeu dès lors qu’il s’agit de la stabilité de la paix sociale. La précarisation sociale, l’effritement de la classe moyenne et le besoin impératif d’immuniser la paix sociale sont autant de paramètres qui poussent certains gouvernements à réfléchir, au préalable, aux composantes qui attisent l’acte contestataire. Et force est de constater qu’au cours des dernières années, la catégorie des enseignants contractuels a été si ce n’est la seule, la force contestataire la plus prégnante sur la place publique.

L’effet potentiellement toxique des fuites

Le Cabinet Akhannouch est, aujourd’hui, devant une responsabilité politique énorme : il se doit de clarifier son discours politique et de parler vrai sur ce qui est faisable de ce qui l’est moins ou pas. Les promesses distillées en direction d’une catégories, fussent-elles sur la base de fuites syndicales, peuvent engendrer des dégâts énormes, non pas uniquement pour la catégorie concernée au cas où ces promesses ne seraient pas tenues, mais aussi et surtout pour les autres catégories qui se sentiraient ainsi délaissées ou/et saisiraient que le critère déterminant aux yeux gouvernement pour satisfaire des attentes réside seulement dans la capacité contestatrice des catégories sociales ou des corporations en présence. 

Le gouvernement se rendrait certainement service en ponctuant les résultats du dialogue social, à chaque étape, d’un communiqué conjoint ou, le cas échéant, à clarifier devant l’opinion publique le fondée de l’infondée dans les fuites distillées ici et là .

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