''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika -MOUFTAKIR UNE EXPERIENCE CINEMATOGRAPHIQUE ORIGINALE

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L’orchestre des aveugles“, Mouftakir, tout en suivant son chemin sur les plans esthétique et technique, toujours aussi fines, subtiles et bien recherchées, a opté cette fois pour un traitement réaliste, enrichi par une symbolique socio-politique inspirée des réalités du Maroc des années 60.

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Cinéma, mon amour de Driss Chouika : LE CINEMA NATIONAL DE LA ''RICHESSE''  A UNE ''PAUVRETE '' THEMATIQUE ET ESTHETIQUE

« J'aime les petites tâches de lumière qui mettent en valeur les grandes zones d'ombre ». Mohamed Mouftakir.

Le Festival de Cinéma d’Errachidia a consacré sa 12ème édition à l’expérience et l’oeuvre cinématographiques du réalisateur Mohamed Mouftakir. Le programme a comporté des projections/débats de l’ensemble des films du réalisateur et a été couronné par un colloque national consacré à l’étude de son expérience, auquel ont participé une pléiade de critiques de cinéma et chercheurs universitaires.

UN DEBUT PROMETTEUR

Dès son retour d’Allemagne où il a poursuivi des études cinématographiques, complétées, en France, par une initiation à l’écriture de scénarios auprès du célèbre Jean-Claude Carrière, notoire collaborateur de grands réalisateurs dont Luis Bunuel, ses trois courts métrages avaient annoncé la naissance d’un cinéaste prometteur. Ces courts métrages, “L’ombre de la mort“ (mettant en scène un enfant terrorisé par son père et un homme castré qui parle du sien), “La danse du foetus“ (racontant l’histoire d’une femme qui, s’isolant pour avorter en buvant une infusion à base de plantes médicinales, se retrouve subjuguée par des perceptions extrasensorielles délirantes) et “Fin du mois“ (qui fait se rencontrer, à la fin du mois, à minuit, une femme et un homme) avaient bien tracé les contours et la base d’une vision cinématographique bien définie, avec une esthétique finement recherchée et une remarquable maîtrise technique.

Mohamed Mouftakir, réalisateur du film "L'Orchestre des aveugles" - Maroc  Hebdo

Mohamed Mouftakir

Et déjà, au niveau thématique, le chemin des longs métrages est bien balisé. Ce jeune réalisateur qui avait pris le train de Casablanca à Oujda, le regard plus porté sur la bobine 35 mm de son premier court métrage en compétition au 7ème FNF à Oujda en 2003 que sur ses affaires personnelles, allait y décrocher le Grand Prix. Ainsi, on retrouvera, dans un traitement approprié au genre, les thèmes chers à Mouftakir, dont l’enfant témoin/victime, le père terreur/modèle, la mère protectrice mais sans pouvoir réel...

PEGASE/UNE SYMBOLIQUE SOCIO-PSYCHANALITIQUE

Le synopsis résumé du 1er LM de Mouftakir ne donne qu’une vague idée de son histoire, une sorte de nouvelle adaptation de la thématique de “L’enfant de sable“ (le père qui désire ardemment un héritier mâle mais, l’épouse ayant enfanté une fille, il décide d’en faire un garçon), habillée et étoffée par un traitement psychanalytique d’une remarquable finesse et servie par une esthétique et une technique de l’image bien maîtrisées.

Malgré la complexité de la construction choisie par Mouftakir, au risque de rébuter le spectateur, il a réussi son pari par un subtile et intelligent montage d’une série de séquences d’une beauté esthétique saisissante, soutenue par des dialogues d’une rare finesse, enrichies par des références à des légendes et contes populaires très significatifs. Pour en avoir une idée précise, je trouve intéressant de donner un aperçu de quelques scènes clés du film :

- Quand le père initie sa fille/garcon Rayhana/Mehdi à l’équitation désirant en faire un vrai cavalier, lui disant : “Le cheval mon fils est noble, enfant du vent. Le prophète l’a préféré à tous les animaux. Le cheval, mon fils, est sorti du Paradis, si tu l’honores tu vas y entrer, sinon tu en seras exclu...“, puis il enchaîne avec une description savante des spécificités du cheval, terminant par “ses yeux qui voient tout“.

- Ou quand Zaid, l’ami de Rayhana/Mehdi, lui explique la différence physique entre le cheval et la jument : “La jument a une petite tête, avec ume longue et lisse crinière ; les fesses bien remplies et la poitrine bien fournie ; le cou long et les yeux grands et courbés, comme les tiens (allusion qu’il sait bien qu’elle es tune fille)...“

- Ou encore le leitmotiv de cette présence/absence, bien symbolique, de la guerre, surtout quant elle est racontée à Rayhana/Mehdi par sa mère, d’une manière bien éloquente : “La querre a éclaté. Des hommes et des enfants sont morts. Femmes et gosses ont été affamés et les seins asséchés. Ils ont mangé les charognes et les viandes interdites. Et personne n’a plus osé parler“.

- Et cette subtile réplique qui résume à elle seule la conception machiste du père sur la femme : “La virilité s’acquiert, personne ne naît Homme. N’écoute pas ce que dit ta mère. Satan imite la voix de la femme“.

- Ou encore cette scène où la psychiatre Zineb/Rayhana explique comment la jeune fille Rayhana, traumatisée par l’horrible acte incestueux commis contre elle, n’arrive plus à faire face à la réalité vécue : “La fille a grandi dans le mythe et la peur, la hantise de la honte, l’hypocrisie et le mensonge. Elle ne sait ni lire ni écrire, n’a ni frère ni ami... Il est bien difficile de convaincre quelqu’un que ce à quoi il a cru n’est que mensonge. Cela le fait rêver et l’aveugle“...

Je suppose que ces quelques indications suffisent à rendre compte de la qualité et l'intérêtt certains de ce premier film de Moiftakir.

L’ORCHESTRE DES AVEUGLES/UNE SYMBOLIQUE POLITIQUE 

Dans son 2ème LM, “L’orchestre des aveugles“, Mouftakir, tout en suivant un chemin similaire sur les plans esthétique et technique, toujours aussi fines, subtiles et bien recherchées, il a opté cette fois pour un traitement réaliste, enrichi par une symbolique socio-politique inspirée des réalités du Maroc des années 60.

On y retrouve aussi l’un des personnages clés, l’enfant témoin/victime, le père exigeant quoique cette fois artiste et plus tolétant. Et puis, et surtout toute une famille de personnages bien représentatifs d’un certain milieu social de l’époque, du fan un peu niais de la fameuse équipe de football du Hay Mohammadi (le TAS) au jeune frère gagné par l’esprit révolutionnaire de l’époque. Le film étant riche de symboles, d’allusions et de multiples références culturelles et sociales, je vais choisir quelques moments bien attachants du récit pour essayer d’en donner un aperçu significatif :

- Un choix de quelques moments accompagnés par l’off de Mimou, l’enfant, notamment quant il dit : “On dit souvent que le monde change quant on rencontre celle dont on a toujours rêvé et qui nous est destinée. Le jour ou j’ai vu Chama... j’ai senti le monde changer autour de moi. C’était mereilleux“...

- Ou aussi quant il rêve se marier avec sa bien-aimée et c’est l’orchestre du père, avec toute la famille, qui célèbrent la fête. Sublime scène judicieusement tournée.

- La scène, aussi sublime, du visionnage collectif d’un film égyptien diffusé par la télévision nationale de l’époque.

- Ou encore le dialogue du père avec son amour caché, dont l’enfant est témoin, quant il lui présente les boucles d’oreille en cadeau et qu’elle lui demande : “C’est en or ?“ et qu’il lui rétorque : “C’est toi qui es en or !“. Dialogue repris par le gosse avec Chama quant il lui remet l’une des  mêmes boucles d’oreilles perdue par la dulcinée du père. Ou encore quand il répète aussi à Chame, mot pour mot, ce que l’oncle avait dit à sa campagne : “Je t’aime. Comment aurait pu être ma vie sans toi!“.

- La projection pour la famille d’un des films burlesques de Charlie Chaplin. Puis sa reprise à la fin, mimée par Mimou, exactement comme l’avait fait son oncle, comme un hommage symbolique, juste avant la mort du pére.

- Les scènes de référence au cinéma dominant à l’époque dans les salles populaires, conquis par les films hindous et égyptiens.

- Ou encore cette scène émouvante de l’échange entre l’enfant et le père :

L’enfant : “C’est quoi la mort ?“.

Le père : Chaque chose à une fin. La mort c’est la fin de l’homme. On n’y peut rien.

L’enfant : Mêmes toi tu vas mourir ?

Le père : On va tous mourir un jour...

J’espère que cela contribuera à inciter les cinéphiles à voir, ou revoir, ce film pour vivre des moments sublimes de cinéma,

Et pour ne pas faire long, et rester dans la norme convenable et convenue, je garde la lecture de « L’automne des pommiers », bien à chaud, pour une prochaine chronique.

FILMOGRAPHIE

Courts métrages :

« L’ombre de la mort » (2003) ; « La danse du fœtus » (2005) ; « Fin du mois » (2007).

Longs métrages :

« Pégase » (2009) ; « L’orchestre des aveugles » (20014) ; « L’automne des pommiers » (2019).