Péninsule ibérique dans le noir : la panne qui interpelle le Maroc et éclaire les fragilités d’un monde ultra-connecté – Par Hassan Zakariaa

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À l’heure où les tensions géopolitiques s’exacerbent, où les systèmes énergétiques deviennent plus interconnectés mais aussi plus exposés, la sécurité des réseaux électriques devient une question de souveraineté

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Lundi, une panne massive d’électricité a plongé l’Espagne et le Portugal dans l’obscurité. Si les causes exactes restent à élucider, l’incident met en lumière la vulnérabilité des infrastructures critiques à l’ère du numérique, et préfigure les nouvelles formes de guerre silencieuse à venir. Le rôle des énergies renouvelables dans cette panne fait aussi débat. Lundi midi, la production espagnole était alimentée à près de 70 % par le solaire et l’éolien, deux sources difficiles à moduler à la demande. Pour Hassan Zakariaa, c’est une difficulté qui interpelle aussi les responsables marocains de la défense nationale et de la transition énergétique au Maroc.

Par Hassan Zakriaa

Une panne, des questions

Le 28 avril, en plein après-midi, une partie de la péninsule ibérique a été brutalement privée d’électricité. L’Espagne et le Portugal, deux pays modernes interconnectés au réseau électrique européen, ont vu une partie de leurs systèmes énergétiques flancher en quelques minutes. À ce jour, aucune explication définitive n’a été avancée, mais les autorités espagnoles n’écartent aucune piste, y compris celle d’une cyberattaque. La justice a même ouvert une enquête pour « sabotage informatique ».

Ce blackout soudain rappelle une vérité brutale : dans une société où tout repose sur l’électricité – de l’hôpital à l’aéroport, du téléphone au paiement bancaire – une panne suffit à plonger un pays dans un état d’impuissance totale. Le confort du quotidien devient précarité. Le moderne redevient archaïque. Et derrière chaque incident se cache l’ombre d’une guerre invisible.

Réseaux électriques : des géants aux pieds d’argile

Le réseau électrique n’est pas une simple série de câbles : c’est une mécanique de haute précision, une colonne vertébrale faite de milliers de composants interconnectés. « Les opérateurs doivent analyser en temps réel des volumes massifs de données pour retracer l’origine d’une défaillance », explique Pratheeksha Ramdas, analyste chez Rystad Energy.

Lundi soir, Red Eléctrica de España (REE) évoquait une « forte oscillation des flux de puissance », accompagnée d’une perte brutale de production. Un déséquilibre de fréquence autour du seuil critique des 50 Hz peut rapidement enclencher une réaction en chaîne : pour éviter d’endommager les équipements, les systèmes de protection automatisés déconnectent des portions du réseau. Plus les déconnexions s’enchaînent, plus l’effet domino devient incontrôlable.

« Une fois que les centrales commencent à s’arrêter, la situation peut échapper à tout contrôle », prévient Michael Hogan, conseiller auprès du Regulatory Assistance Project (RAP). Lundi, c’est précisément ce scénario rare mais redouté qui s’est matérialisé.

Cyberattaque, climat et énergies vertes : les causes possibles

Les origines d’un tel incident peuvent être multiples : tempêtes, pics de demande dus à la météo, défaillance technique, surcharge sur les lignes à haute tension… mais aussi cyberattaque. Une hypothèse de plus en plus prise au sérieux, dans un contexte de numérisation croissante des infrastructures.

Si un acteur malveillant venait à saboter volontairement des points névralgiques du réseau, les conséquences pourraient être dramatiques. La guerre ne serait plus menée à coups de missiles, mais de lignes de code. Et le champ de bataille ne serait plus visible, mais enfoui dans les serveurs des opérateurs. L’épisode ibérique de lundi sonne comme un avertissement : nous sommes entrés dans l’ère de la guerre énergétique silencieuse.

Le rôle des énergies renouvelables dans cette panne fait aussi débat. Lundi midi, la production espagnole était alimentée à près de 70 % par le solaire et l’éolien, deux sources difficiles à moduler à la demande. Or, dans un réseau électrique, l’équilibre offre-demande doit être maintenu en permanence.

« Sans mesures de flexibilité comme le stockage ou des centrales à démarrage rapide, la production verte peut déstabiliser le système », souligne Ramdas. Pourtant, selon les experts, les pannes de ce type sont encore majoritairement dues à des problèmes de transmission – et non de production.

Vers un avenir sous haute tension

Ce blackout doit être vu pour ce qu’il est : un signal d’alarme. Dans un monde dépendant de l’électricité pour fonctionner, chaque panne expose notre dépendance technologique extrême. Elle nous rappelle que la modernité repose sur des équilibres fragiles, et que les infrastructures critiques sont devenues des cibles potentielles.

À l’heure où les tensions géopolitiques s’exacerbent, où les systèmes énergétiques deviennent plus interconnectés mais aussi plus exposés, la sécurité des réseaux électriques devient une question de souveraineté. La péninsule ibérique a subi une secousse ; demain, ce pourrait être l’Europe entière. Et plus fragiles et plus exposés, la plupart des Etats du Sud Global. Tant, si l’on en croit les analystes, ce qu’a vécu la péninsule ibérique ne sera pas une exception, mais un avant-goût.

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