Abdejlil Lahjomri : Comprendre ce phénomène à la fois stable et mutant qu’est la famille

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Abdejlil Lahjomri, Secrétaire perpétuel de l’Académie du Royaume, lors de l’hommage rendu à Marie N’Diaye, écrivaine, Prix Goncourt 2009 pour « Trois femmes puissantes ». A gauche, Eugène Ebodé, écrivain camerounais, administrateur de la Chaire des Littératures et des Arts africains

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S’offrant comme des contributions au rayonnement de la culture africaine, universelle, plus essentiellement en cette époque dérangée, calcinée, en mutation hasardeuse, un monde qui bouge dangereusement, de péril en péril, que l’Afrique aspire à apaiser, plusieurs chercheurs, penseurs et écrivains se sont retrouvés à l’Académie du Royaume du Maroc pour échanger, en présence de nombreux doctorants, autour de la perception et de la définition qu’ils ont de la Famille vue comme un labyrinthe ou une métaphore.   Ouvrant le premier colloque de la première année académique (2022 – 2023) de la Chaire des Littératures et des Arts africains, le Secrétaire perpétuel de l’Académie est revenu sur les raisons qui ont présidé à la création de cette chaire. Il en a énuméré quatre. 

La première est la nouvelle loi organique de l’Académie du Royaume qui prévoit la création de chaires qui investiraient les problèmes du temps et surtout réfléchir et encourager le décloisonnent des esprits.

La deuxième est le foisonnement de la créativité littéraire, philosophique, artistique, intellectuelle, culturelle, de l’Afrique d’aujourd’hui, une visibilité de plus en plus marquante dans le champ des Prix et des distinctions. Ces dernières années, on a vu se succéder un prix Goncourt à un Prix Nobel, un Book Prize à un Prix Neustadt, un Prix Camoes à un Prix Saint-Simon. Une dynamique effervescente, parfois, dérangeante, toujours passionnante témoigne d’une vision du monde singulièrement envoutante. 

La troisième est que l’Afrique aspire à ne plus vivre dans la périphérie de la pensée, que les périphéries ne soient nulle part et que le centre soit partout. Que pour cela elle devrait accélérer l’ouverture des frontières linguistiques, des savoirs africains, qu’un large appareil d’encouragement à la création soit déployé en Afrique pour l’Afrique, et que rapatrier le patrimoine littéraire soit plus qu’un horizon de pensée, un horizon d’action et d’engagement.

La quatrième raison [enfin] serait la réhabilitation d’auteurs et écrivains, penseurs et intellectuels, marginalisés, oubliés, humiliés dans leur vie, leur postérité. C’est la raison pour laquelle l’Académie du Royaume avait consacré récemment à Yambo Ouologuem, auteur du magistral « Le devoir de violence » Prix Renaudot 1968, accusé à tort de plagiat, un séminaire déterminant qui a rendu à cet immense auteur sa dignité bafouée. Le Président Ahmadou Ahidjo, notre confrère, dans cette institution, affirmait « qu’il y en a qui écrivent l’histoire avec des gommages et d’autres des visages ». Cette Chaire des Littératures et des Arts africains a la prétention d’écrire l’histoire des visages des Africains qui ont fait l’Afrique et qui ont été gommés. Elle a aussi la prétention toute légitime d’honorer et de rendre hommage à ceux de la génération précédente qui ont tracé le chemin des indépendances. Sont inscrits dans le programme de cette Chaire des rencontres hommages à nos confrères défunts L.S. Senghor, Ahmadou Ahidjo, et Monseigneur Bernardin Gantin.

Quitter le « trivialisme » 

Mme Marie N’diaye qui nous fait l’honneur et le plaisir d’être parmi nous aujourd’hui et de participer aux activités de la Chaire des Littératures et des Arts africains est une femme de lettres de renommée internationale. Etonnant parcours où elle a reçu plusieurs distinctions littéraires dont le prix Goncourt en 2009. Son écriture de talent imprime le territoire romanesque mais également le cinéma, le théâtre. Ses pièces théâtrales font désormais partie du répertoire de la Comédie française. L’Académie du Royaume la remercie d’avoir accepté d’intervenir dans ce colloque international dont le thème est « La famille vue comme un labyrinthe ou comme une métaphore ».

 Quitter le « trivialisme » dit Marie N’Diaye, en parlant de la famille, de ses joies, de ses peines, de ses nœuds et de ses lourdeurs, pour aller où ?  Pour entrer dans ce que Dostoïevski appelait, lors de son Discours sur Pouchkine : « la grande harmonie, l’accord fraternel de tous les peuples ». […] sa présence […] nous permet d’envisager cet accord fraternel comme un horizon possible.

Tout ceci donne le ton à ce que ce colloque international interrogera. Qu’elle soit un labyrinthe ou une métaphore, la famille sera au cœur des débats de cette rencontre. 

La cellule familiale est fragile, soumise à plusieurs interdits. Freud affirme que toutes les familles sont dysfonctionnelles. La famille est ce besoin du compromis entre désirs personnels, structures morales, et société qui constitue l’essentiel du « roman familial ».

Elle réserve un semblant de sérénité. Tout repose sur les apparences. Ainsi en est-il également dans la vie en société qui n’est que le prolongement de la vie en famille. Quand la famille vient à connaitre les dangers de dissolutions, ce n’est pas seulement une unité réduite qui est affectée mais c’est toute une communauté qui est concernée. 

 […] Ce colloque nous donnera à entendre des voix multiples, issues de disciplines diverses et venus de territoires différents que la Chaire des Littératures et des Arts a sollicités : le Cameroun, le Congo Brazzaville, l’Espagne, la Guinée, le Nigéria, la Sierra Leone, pour sonder nos horizons familiaux. Toutes ces voix vont nous aider à comprendre sur ce que signifie ce phénomène à la fois stable et mutant qu’est la famille. Ce colloque est délibérément placé sous les auspices de la pluridisciplinarité : anthropologie, histoire, littérature, psychanalyse, politique, arts.

Je n’ai pas oublié de citer un pays, cher à notre institution : le Sénégal. Le président Léopold Sédar Senghor fut un membre éminent de notre Académie, dont le professeur Pape Sène fut le jeune compagnon de route et l’apostropheur inattendu lors de leur première rencontre.

C’est à [lui] que revient la charge de prononcer la première leçon inaugurale de la chaire des littératures et arts africains de l’Académie du Royaume.

Lire aussi : ACADÉMIE DU ROYAUME : LA FAMILLE VUE COMME UN LABYRINTHE OU UNE MÉTAPHORE, PREMIER COLLOQUE DE LA CHAIRE DES LITTÉRATURES AFRICAINES