Cinéma, mon amour ! de Driss Chouika - ''Quand passent les cigognes'' UNE TECHNIQUE DE L’IMAGE D’UNE VIRTUOSITE INIMITABLE

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Avec une grande finesse d’écriture et une forme captivante, le film nous raconte un récit simple, mais bien émouvant

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Chronique ''Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - CES MALEDICTIONS QUI  CONTINUENT A SAINGNER A BLANC LE CINEMA NATIONAL !

« Nous trouvons tout ici : la profondeur du champ et les plafonds d’Orson Welles, les travellings acrobatiques d’Ophuls, le goût viscontien de l'ornement, le style de jeu de l’Actors Studio ». Eric Rohmer.

Palme d’or au 13ème Festival de Cannes de 1958, à une époque où ce prestigieux prix récompensait rationnellement l’œuvre la plus performante de l’année, dans lequel le directeur photo russe Sergueï Ouroussevski s’est illustré par des prouesses techniques d’une virtuosité inégalable dans l’histoire du cinéma, “Quand passent les cigognes“ de Mikhail Kalatozov est l’un des films cultes du cinéma soviétique de l’époque du dégel amorcé du temps de Nikita Khrouchtchev.

Sorti pendant l’été 1957 en URSS, il avait fait pas moins de 28 millions de spectateurs, avant de faire une tournée triomphale en 1958 à travers le monde : 5,5 millions de spectateurs en France, 3 millions en Allemagne de l’Ouest..., il est devenu, au fil du temps, une sorte de porte drapeau du cinéma soviétique. Profondément ancré dans son époque tumultueuse, il doit sa grande notoriété internationale d’abord à sa réalisation fluide, alerte, aérée et d’une spontanéité humaine attachante. Puis, aux grandes et géniales prouesses techniques de sa photographie où la caméra suit les personnages avec une discrétion et une souplesse déconcertantes. Le tout auréolé par un jeu de comédiens d’une justesse et d’une performance incroyables, rarement égalées, surtout celui de Tatiana Samoilova dans le rôle féminin principal de Veronika, dont le visage et les mouvements sont judicieusement sublimés par la caméra bien souple du maître Ouroussevski et la fine direction de Kalatozov. La même comédienne avait par ailleurs joué un rôle avec une justesse aussi performante dans un autre film du même réalisateur et même directeur photo, “La lettre inachevée“ (un film à voir aussi).

Le film est une adaptation de la pièce de Viktor Rozov, “Éternellement vivants“, qu’il a écrite en 1943, alors qu’il se trouvait à l'hôpital suite à une blessure au front. La première représentation de la pièce n’a pu avoir lieu qu’en 1956 à l’ouverture du grand Théâtre Sovremennik de Moscou, et c’est son auteur lui-même qui en a tiré le scénario du film. Ainsi, la profondeur humaniste de l’histoire a pris certainement sa base dans l’expérience vécue par l’auteur en plein milieu des affres inhumaines de la guerre.

UN FILM-PLAIDOYER CONTRE LES MÉFAITS DE LA GUERRE

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L’ensemble de la construction est axé sur la comédienne qui campe le rôle principal, Tatiana Samoilova, avec un jeu d’une incroyable justesse, paraissant à la fois naïve et profonde, merveilleuse et désirable

Avec une grande finesse d’écriture et une forme captivante, le film nous raconte un récit simple, mais bien émouvant. Le résumé se décline ainsi : Pendant la seconde guerre mondiale, Veronika attend le retour de son fiancé Boris, parti sur le front. Elle finit par succomber aux avances du cousin de celui-ci, Mark, un planqué peu glorieux, égoïste et distant. Délaissée, Veronika, regrettant de ne pas avoir attendu son bien-aimé, s’implique à sa manière dans le conflit en investissant son énergie dans l’aide et le réconfort aux soldats blessés rapatriés. Elle prend conscience de l’horreur de la guerre.

Mais le rendu est d’une rare richesse. Il a fait que ce film soit l’un des plus beaux plaidoyers contre la guerre, pour l'amour face à la guerre. C’est un vibrant message, profondément humain, contre les horreurs de la guerre qui ne peuvent être que dévastatrices pour l’humanité. Il nous fait vivre la guerre d’un point de vue humain, celui du personnage principal féminin, Veronika, qui doit faire face au vide et à la solitude suite au départ au front de celui qu’elle aime. La situation s’envenime davantage à cause de la fourberie et la malhonnêteté du cousin de celui-ci qui finit par la faire succomber à son désir égoïste. Elle va finir par comprendre son erreur et ne perdra jamais espoir malgré son isolement, son enfermement sur elle-même et la solitude qui finira par l’envahir après avoir découvert la fourberie de celui qu’elle a épousé.

L’humanisme de l’histoire du film est bien servi par une fluidité narrative extraordinaire, un naturel incroyable et une beauté saisissante. L’ensemble de la construction est axé sur la comédienne qui campe le rôle principal, Tatiana Samoilova, avec un jeu d’une incroyable justesse, paraissant à la fois naïve et profonde, merveilleuse et désirable à tel point qu’on ne peut qu’en tomber amoureux, avec des yeux d’une beauté irrésistible, doux et tristes. Elle porte l’histoire à bras le corps, parfaitement dirigée par une mise en scène d’une dynamique alerte et bien rendue par une photographie fluide et vivante, qui en ont fait une femme que l'on ne peut qu'aimer, avec ses qualités et ses défauts, car si humaine et si touchante.

Je peux vous citer, en détail, les innombrables scènes marquantes du film, qui ont par ailleurs marqué l’histoire du cinéma par leurs prouesses techniques et esthétiques (la scène d’ouverture qui montre la symbiose amoureuse entre Veronika et Boris ; le mouvement ahurissant qui suit Boris montant les escaliers derrière Veronika ; le rendez-vous manqué du départ des appelés pour le front ; la mort de Boris ; le réquisitoire du père de Boris contre l’infidélité aux héros nationaux qui accentue le sentiment de culpabilité de Veronika ; la grandiose séquence du retour des héros après la victoire et l’espoir collectif de la construction d’un monde meilleur...), mais il faut voir le film pour vivre le plaisir concret de ces grands moments de cinéma.

UNE GRANDE RICHESSE FORMELLE  

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La virtuosité de ses mouvements de caméra, des jeux d’ombres et de lumières, des mouvements des comédiens au milieu des foules, demeurent bien marquantes et légendaires

Beaucoup de réalisateurs, connus et reconnus, ont apprécié ce film haut en “couleurs“, même s’il est en N&B ! Parmi eux Claude Lelouch l’a adoré et le considère comme l’un des films les plus créatifs et novateurs dans l’histoire du cinéma. Il a d’ailleurs utilisé certaines techniques inventées par le directeur photo Ouroussevski dans plusieurs scènes de ses films. Eric Rohmer avait écrit que « Nous trouvons tout ici : la profondeur du champ et les plafonds d’Orson Welles, les travellings acrobatiques d’Ophuls, le goût viscontien de l'ornement, le style de jeu de l’Actors Studio ». Jacques Doniol-Valcroze, lui, a précisé que « La clef du pouvoir émotionnel et de la fascination de “Quand passent les cigognes“ réside dans la forme, plus que dans le fond. C'est le romantisme, le lyrisme, parfois délirant, du style et de l'agencement des images, qui confère sa puissance au contenu ». Quant à Georges Sadoul, il avait bien estimé que « Le film, sorte de “Guerre et paix“ 1941-1945, valut par sa passion et son authenticité. Ses personnages n'étaient pas taillés d'un bloc mais complexes, et certaines grandes prosopopées (le discours dans l'hôpital) ne tombaient jamais dans la propagande ».

D’une manière générale, ce film/bijou cinématographique a été unanimement reconnu comme l’un des rares films qui ont été, de par leur créativité et leur ingéniosité technique, esthétique et de mise en scène, d’un apport crucial dans le développement des techniques du cinéma. La virtuosité de ses mouvements de caméra, des jeux d’ombres et de lumières, des mouvements des comédiens au milieu des foules, demeurent bien marquantes et légendaires.

FILMOGRAPHIE SÉLECTIVE DE M. KALATOZOV (LM)

"Le courage" (1939) ; "Valeri Tchkalov" (1941) ; "Les invincibles" (1943) ; "Le complot des condamnés" (1950) ; "Trois hommes sur un radeau" (1954) ; "Le premier convoi" (1956) ; "Quand passent les cigognes" (1957) ; "La lettre inachevée" (1960) ; "Soy Cuba" (1964) ; "La tente rouge" (1969).

DRISS CHOUIKA