RETOUR SUR LA ''FABRIQUE'' DES ÉLITES - Par Mustapha SEHIMI

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Le Roi Mohammed VI donnant son sang après le séisme d’Al Haouz qui a montré qu’un capital exceptionnel de ressources humaines est là, disponible, mobilisable, avec des ressorts profonds et authentiques de solidarité. Qu'a-t-on vu ? Un grand élan de toutes sortes de corporations et de profils sur le terrain près des populations sinistrées. Sismologues, architectes, ingénieurs, médecins, cadres d'autres professions: ils ont été capables de faire œuvre commune sans directive

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Comment fonctionne le processus de sélection et éventuellement  et de promotion des élites dans le Royaume ? Traditionnellement, la sociologie politique retient plusieurs filières. La première regarde le statut social et économique qui donne un capital en même temps qu'un ticket d'entrée de fait dans cette catégorie. La deuxième prend en charge la place et la responsabilité dans l'appareil d'État et ses dérivés publics ou semi-publics. Enfin, la dernière a trait à la filière partisane avec le cas échéant son prolongement électoral. 

Dopage de l'associatif et des technocrates

Ce schéma conventionnel, dira-t-on, est-il suffisamment explicatif aujourd'hui dans le Maroc de 2023? Il doit en effet être revu et corrigé au regard des deux décennies écoulées. De quoi s'agit-il au vrai ? Du fait qu'il est connu qu'avec le Nouveau Règne la classe politique en place - dans la majorité ou l'opposition d'ailleurs - ne paraissait pas bénéficier d'une appréhension et d'une  qualification très favorable: tant s'en faut. Il a bien fallu " faire avec" mais le souci qui s'est affirmé s'est préoccupé de promouvoir d'autres profils couvrant deux segments particuliers. 

Celui prenant considération des militants progressistes, promus alors à diverses responsabilités. Une politique qui s'est même systématisée et qui continue d'ailleurs à bénéficier encore aujourd'hui à ces bénéficiaires. Pourquoi cette "ouverture"? Le désir de réparer le passif d'une précédente séquence éligible au précédent règne ? En tout cas, cette approche va se déployer et se prolonger aussi du côté d'un certain monde associatif et d'ONG. Est-ce parce que l'on considérait que les acteurs dans ce secteur devaient être distingués, le militantisme associatif surclassant celui pratiqué dans le système partisan ?  En d'autres termes, ils bénéficieraient d'une plus-value, leur engagement étant jugé plus "authentique", moins politicien et moins carriériste aussi. 

Une autre approche est venue se superposer au milieu des années 2.000 avec une sorte de "mode" embrassant les technocrates. La réflexion qui a nourri cette évolution tient à plusieurs facteurs liés entre eux d'ailleurs : la priorité à donner au développement en lieu et place d'une "gestion" pas très efficiente, le renouvellement des compétences en surplomb de celles en place... Cette politique a-t-elle porté ses fruits ? En tout cas, elle s'est consolidée ; elle est même devenue pratiquement structurelle si l'on observe sa prégnance hier et aujourd'hui. Elle est d'ailleurs servie par une autre évolution liée, elle, aux filières de recrutement des élites. S'agissant des partis politiques, il y aurait évidemment beaucoup à dire sur les procédures internes de sélection. Ce qui se dégage dans ce champ s'apparente au clientélisme, à la cooptation voire au népotisme. Les listes parlementaires réservées aux femmes et aux jeunes ont conduit à certaines pratiques regrettables - le cas caricatural est celui de ce député qui a fait élire sa femme et sa fille au titre de chacun de ces deux collèges -; d'autres exemples ont répliqué ce phénomène en poussant même à faire de leur progéniture un "ministrable "permanent. Affligeant, non ? Dans l'appareil d'État, les interrogations ne manquent pas non plus : des "réseaux" se sont constitués par suite de la longévité particulière des responsables, surtout dans les entreprises et les établissements publics - une bonne vingtaine d'années pour certains. Le périmètre d'identification et de sélection s'est ainsi contracté. C'est aussi le corollaire inévitable du passage d'un pluralisme des filières au profit d'un autre mode plus restreint, unipolaire même.  Est- ce réformable ?

Un autre "process" innovant

Les conséquences de cet état des lieux sont de divers ordres. Les voies d'accès et d'ouverture vers de nouveaux champs de ressources humaines se sont rétrécies. Les élites le savent depuis des lustres : elles ne postulent  même plus et désertent vers des horizons plus professionnels. Pas étonnant que le gros de celles-ci n'adhère pas aux partis, les considérant comme sclérosés et peu "glamour" dans le Maroc contemporain. Pourtant, un capital exceptionnel de ressources humaines est là, disponible, mobilisable, avec des ressorts profonds et authentiques de solidarité. L'exemple en a été donné, ces dernières semaines, après le séisme du 8 septembre dernier dans la région d'Al Haouz. 

Qu'a-t-on vu ? Un grand élan de toutes sortes de corporations et de profils sur le terrain près des populations sinistrées. Sismologues, architectes, ingénieurs, médecins, cadres d'autres professions: ils ont été capables de faire œuvre commune sans directive; ils se sont attachés à parer à l'urgence tout en proposant un autre "modèle" de développement territorial un constat d'échec, soit dit en passant de certaines politiques publiques; ils ont réussi une sorte de réhabilitation voire de revanche sur leur marginalisation par le "système ". Une intelligence collective en marche qui devrait être organisée et institutionnalisée pour être valorisée et optimisée. Une autre "fabrique" des élites est désormais à l'ordre du jour un process différent, innovant. C'est souhaitable - une ardente obligation. Mais est -ce faisable alors que tant de pesanteurs perdurent... 

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