Le PJD aux élections partielles : illusion et réalité – Par Bilal Talidi

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Abdalilah Benkirane à Fès en campagne électorale pour les législatives partielles

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Les élections législatives partielles qui se sont tenues cette semaine à Fès Sud et à Ben Slimane ont été une étape clé pour notamment tester la capacité du Parti de la Justice et du Développement (PJD) à rester compétitif, et un indicateur pour vérifier si le parti s'est remis de sa crise interne.

Les résultats indiquent que le PJD, sous la direction d'Abdalilah Benkirane pas plus que sous celle de Saad Dine El Otmani, n'a remporté aucune élection partielle depuis le 7 octobre 2016.

Sous la direction de Saad Dine El Otmani, l'explication donnée pour ces échecs était la nature même des élections législatives partielles, qui ne devraient pas être comparées aux élections législatives générales selon lui.

Benkirane, quant à lui, a toujours considéré l'échec du parti dans les élections partielles sous El Otmani comme un signe de la baisse de popularité du parti, mais lui-même n'a remporté aucun succès électoral dans les élections partielles pendant son mandat exceptionnel, y compris lors du dernier scrutin où il a personnellement mené une forte et intense campagne de communication similaire à celles d'avant le 7 octobre 2016.

Benkirane ou la tentation de lire positivement les résultats

Cependant, il n'a pas reconnu l'échec de son parti aux élections partielles, considérant les résultats obtenus comme une victoire politique. Le parti s'est classé deuxième, obtenant des scores significatifs (presque un tiers de ceux du candidat majoritaire à Fès et un quart à Ben Slimane). Bien qu'il ait critiqué les partis majoritaires pour leur « utilisation de l'argent et la corruption du processus électoral », il a salué la neutralité de l'administration. Le communiqué du secrétariat général n'a inclus aucune allusion à une complicité de l'administration dans la corruption du processus électoral.

Benkirane a cité deux autres indicateurs pour expliquer ce qu’il veut faite passe pour le "succès politique de son parti" : le premier est interne, lié à l'amélioration de la préparation du parti pour les élections (participation active de la base dans la campagne électorale et couverture de tous les bureaux de vote. Le second est que le parti a obtenu un score proche de celui des élections de 2021 (seulement 20% de moins), malgré une différence dans le taux de participation entre les élections générales et partielles.

En politique, les résultats électoraux peuvent être interprétés de différentes manières, et l'interprétation de Benkirane est peut-être plus orientée vers l'intérieur du parti que vers l'extérieur. Son message à son public est que la performance du parti s'améliore, qu'il sera parmi les trois premiers lors des prochaines élections, et qu'il a réussi pendant son mandat exceptionnel à mobiliser la préparation du parti, améliorer sa performance et le préparer pour le prochain scrutin électoral. 

Ce que disent les faits et les chiffres

L'analyse des faits indiquent cependant quelque chose de différent : les victoires électorales du Parti de la Justice et du Développement (PJD) en 2011, 2015 et 2016 étaient toujours attribuées à la puissante machine de communication de l'ancien secrétaire général (Benkirane), tandis que l'échec électoral du parti lors des scrutins de 2021 et les élections législatives partielles suivantes sous la direction de Saad Dine El Otmani étaient imputés à une gestion déficiente de la direction et à ses positions jugées trop conciliantes, ainsi qu'à son incapacité à mobiliser en interne.

Dans les élections législatives partielles à Ben Slimane et Fès Sud, le parti a retrouvé sa capacité de communication avec la participation de Benkirane aux rassemblements, et la direction a adopté dès le début les slogans "reprendre l'initiative" et "corriger les erreurs des précédents leaders". Après trois ans de mandat exceptionnel, qui auraient dû être suffisants pour revigorer le parti et corriger ses défauts, le PJD n'a cependant pas remporté de succès électoral, obtenant au total moins de la moitié des voix de ses adversaires politiques.

Certains dirigeants du parti estiment que le PJD a remporté une victoire électorale dans les zones urbaines, attribuant son échec à la zone rurale. Ils veulent y voir le début d'une réconciliation entre le parti et sa base électorale urbaine, mais les taux de participation dans les deux zones montrent que cette analyse n'est pas très précise. En effet, le taux de participation en zone urbaine n'a pas dépassé 8 %, tandis qu'il atteignait environ 40 % en zone rurale, indiquant plutôt l'échec du parti à mobiliser ses bases urbaines qui ont choisi de s'abstenir, et son incapacité à retrouver l'élan du 7 octobre 2016, qui avait été un moment important de percée dans le milieu rural.

Le statu quo paralysant

Il se peut qu'une partie de l'analyse de Benkirane des résultats des élections soit correcte, mais l'aspect fonctionnel de ce discours (tenter de convaincre l'interne d'une amélioration des performances du parti et de sa marche vers la récupération) pourrait créer une sorte d'illusion empêchant une correcte compréhension des résultats électoraux, et notamment la raison de l'abstention d'une large base d'électeurs qui représentait auparavant un soutien électoral fort pour le parti.

Un militant ordinaire du PJD se demande ainsi : "En 2016, l'autorité et l'argent étaient alliés contre nous, et nous avons réussi grâce à l'unité de la direction, à son charisme, à ses capacités de communication et à l'efficacité des militants et du bilan gouvernemental. Aujourd'hui, nous avons la même direction charismatique, elle conserve la même capacité de communication, et 'le problème' n'est pas dans la collusion de l'autorité avec l'argent car celle-ci se montre neutre comme l'indique le communiqué du secrétariat général, et la préparation du parti s'est améliorée selon le secrétaire général, alors qu'est-ce qui explique l'échec électoral par rapport à la victoire écrasante de 2016 ? Et pourquoi compare-t-on les voix de 2024 aux résultats de 2021 et non à ceux de 2016 ?"

Quatre facteurs peuvent avoir été négligés dans l'explication de l'échec électoral du PJD depuis les élections du 7 octobre 2016. Le premier est lié à la préparation du parti : ni la direction précédente ni l'actuelle n'ont réussi à faire ce qui était nécessaire pour sortir de la crise. Le deuxième est que le discours électoral du PJD est devenus répétitif, obsolète et sans impact, le parti parlant encore de son rôle dans le Printemps arabe et de son bilan gouvernemental entre 2011-2016 (pas évident), se limitant parfois, quand il y a critique, à l’expérience gouvernementale de 2016-2021 accablant le seul Saad Dine El Otmani. Le troisième montre que le parti n'a pas encore réalisé qu'un "stigmate social" fort s’est installé à cause de la manière dont les dirigeants ont géré les conflits internes, et que la présence continue de la direction historique signifie la persistance de ce stigmate et une incapacité à convaincre le public d'une offre renouvelée. Le quatrième enfin, indique que l’effort important nécessaire n'a pas encore été fait au niveau de la thèse du parti, de sa vision et de sa manière de pratiquer la politique. Le "statu quo" à ce niveau ne permettra absolument pas de revitaliser le parti.

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