Le dévoiement de la recherche scientifique par partis politiques en apport rentier - Par Bilal TALIDI

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D’énormes sommes sont revenues à des proches infiltrés dans des structures de recherche imaginaires ou des centres d’études n’ayant aucune référence sur les sujets objets de la recherche.

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Le Patient et l'intempestif - Par Bilal TALIDI

Le débat suscité par le dernier rapport de la Cour des comptes sur l’audit des comptes des partis politiques et les dépenses du soutien financier supplémentaire est à la fois important et utile, en ce sens qu’il permet de faire le diagnostic de la composition des formations politiques, de la mentalité des dirigeants et de la manière dont ils se comportent avec les études et la recherche scientifique

Plusieurs articles critiques ont été publiés en réaction aux observations de la Cour des comptes, qui livre à ce niveau un état des lieux peu reluisant. La philosophie sous-tendant le soutien financier supplémentaire ayant pour vocation de promouvoir les capacités de proposition et des programmes des partis politiques, de leur permettre d’établir des passerelles avec les centres de recherche et de moderniser la structure partisane pour la mettre en phase avec ce qui se fait de mieux à l’échelle du monde développé, il y a lieu de constater qu’on est loin du compte

La majorité des critiques qui ont abordé le phénomène des études rentières et la manière pour le moins honteuse pour ne pas dire crapuleuse avec laquelle les partis politiques ont traité ce soutien financier supplémentaire, démontre que les partis ne partagent visiblement pas le souci de l’Etat de voir les formations politiques s’adonner aux études et recherches capitales pour le rôle important dans la rationalisation de leur vision et l’amélioration de leur capacité managériale

Ainsi, d’énormes sommes sont revenues à des proches infiltrés dans des structures de recherche imaginaires ou des centres d’études n’ayant aucune référence sur les sujets objets de la recherche. Une bonne partie de ce soutien financier a été dilapidée sans résultats palpables et sans explication sur la manière avec laquelle ces dépenses ont été effectué

Certains partis ont réagi à l’audit de la Cour des comptes, évoquant la période courte entre la perception du soutien financier et l’impératif de justifier les dépenses (moins de deux mois), d’autres ont critiqué le dépassement de la Cour des comptes de ses prérogatives pour avoir signalé des manquements sans appui juridique (le communiqué du PJD). Le Parti du progrès et du socialisme (PPS) a, lui, au moins, saisi l’occasion pour restituer l’intégralité du soutien, prétextant la courte durée et le manque de clarté des procédures juridiques encadrant les dépenses de ce soutien

En réalité, abstraction faite des justifications qui pourraient être plausibles, la position du PPS a mis dans un véritable embarras les autres partis, car on peut difficilement comprendre, autrement que par l’accaparement des deniers publics

Les chiffres révélés par l’audit sont alarmants, sachant que les partis politiques ont entamé la conclusion d’accords pour la dépense de ce soutien, allant jusqu’à 90%. Certains partis comme le Rassemblement national des indépendants l’a consommé à 100%, contre 95% pour l’Union socialiste des forces populaires et 93% pour le Parti authenticité et modernité. Curieusement, certains partis ont dépensé presque l’intégralité du soutien (le cas de l’Usfp), tandis que d’autres rechignent à restituer le reliquat entre le montant qu’ils se sont engagé à dépenser, en vertu des accords conclus, et les dépenses réellement effectuées (le cas du PAM et du Parti de l’Istiqlal)

Certains observateurs se sont particulièrement arrêtés sur les indicateurs de prévarication et de corruption qui gangrènent les partis politique, en raison du non-recours à la concurrence dans le cadre d’appels d’offres, préférant plutôt adresser le soutien à certains cadres de la même chapelle politique, à des centres de recherches imaginaires ou à des proches placés dans des centres d’études créés à l’effet de phagocyter ce soutien financier

Il s’agit-là en fait de griefs auxquels les dirigeants des partis se doivent de répondre, loin de toute propension à la justification. La courte durée, pas plus que l’absence de procédures claires encadrant les dépenses du soutien (une carence qu’il faudrait rattraper), ne saurait justifier les pratiques odieuses ayant entouré la dépense de ce soutien. La manière avec laquelle ce dossier a été géré au sein des partis est de nature à interpeller plus d’un, sachant que certains partis n'ont même pas consulté les centres de recherches qui leur sont pourtant proches et ne les ont pas associés aux consultations, voire même à manifester leur intérêt

L’identité de l’écrasante majorité des centres de recherches et bureaux d’études qui ont bénéficié des conventions, livre déjà une idée sur l’ampleur de cette rente. En principe, ce qui détermine le choix d’une structure de recherche précise c’est sa crédibilité et son rayonnement scientifique. Or, on ne connait à la majorité des centres de recherches adjudicataires aucune production scientifique d’importance aux plans national ou international

A cette soif insatiable des deniers publics viennent se greffer d’autres indicateurs qui révèlent la gangrène de la corruption des centres de recherche : l’absence des objectifs et la mesure de l’impact pour lesquels le soutien financier a été accordé. Les partis politiques sont censés afficher les études objets des conventions signées et susciter un débat en interne autour des résultats obtenus, pour permettre aux auteurs de ces études d’interagir avec les structures des partis, obtenir un feedback et affiner les résultats. Au final, une recherche de ce genre devrait, à l’instar de ce qui se fait dans les sociétés démocratiques, aider le parti politique à préciser sa vision, son programme et ses choix, avant d’être publiée

Jusqu’ici, aucun parti n’a publié ces recherches et même celles en lien avec la révision du Code de la famille ont pris des tournures individuelles n’ayant aucun rapport avec un projet collectif de recherche

Un des mérites du rapport de la Cour des comptes aura été de soulever ce sérieux problème en lien avec la démocratisation de la recherche scientifique et de mettre les partis politiques devant leurs responsabilités pour les années à venir. Il s’agira désormais de préciser les critères du choix entre les centre de recherche au lieu d’un autre et de justifier les dépenses du soutien perçu, à travers la publication des recherches réalisées tant à l’intérieur des partis qu’auprès du grand public. Mais, au fond, l’audit a mis le doigt sur un problème beaucoup plus profond en rapport avec les structures des partis et comment leur composition sociologique les empêche d’associer la recherche scientifique au développement de la praxis politique

Les partis basés sur le leadership traditionnel ou le chef incontesté, , sont congénitalement incapable de rectifier leur rapport avec la recherche scientifique. Le Zaïm inspiré considère la recherche scientifique comme un concurrent, voire un rival qui encouragerait par ses critiques à la remise en cause de ces instructions. Les autres partis qui ont en théorie un meilleur rapport à la technocratie et à la recherche n’ont guère fait mieux

Le chemin le plus approprié pour ajuster le rapport des partis avec les structures de recherche passe donc nécessairement par un effort de modernisation et de démocratisation des formations politiques, une mission qui n’est pas encore à l’ordre du jour ou à la portée du paysage politique national actuel

 

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