Grève des étudiants en médecine : la solution est ailleurs - Par Bilal TALIDI

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Les chiffres révélés par M. Aït Taleb sont alarmants : le Maroc a besoin de 34 mille médecins, alors que le nombre des lauréats ne dépasse pas les 1600 chaque année, dont 600 choisissent de s’expatrier

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Le Patient et l'intempestif - Par Bilal TALIDI

Vers la mi-décembre, j’ai mis en garde dans un article sur Politiques de tension évitables , contre les dangers d’opter pour des politiques de tensions évitables en rapport avec la grève des étudiants en médecine. Deux mois après, le pire scénario semble se préciser des deux côtés : de la part des étudiants qui ont décidé de boycotter les examens, et du ministère de l’Enseignement supérieur (le département de tutelle) de sanctionner les boycotteurs en leur attribuant la note zéro, invalidant ainsi leurs examens.

Depuis, faute de progrès au fil des rounds de dialogue entre les deux parties, le problème n’a pas changé d’un iota et a abouti à une impasse.

Le ministre de l’Enseignement supérieur, de la recherche scientifique et de l’innovation Abdellatif Miraoui a annoncé, il y a peu la fin du dialogue avec les étudiants des facultés de médecine, de pharmacie et de médecine dentaire. Dans la foulée, il a décidé de sanctionner les étudiants ayant boycotté les examens du premier semestre à travers la note zéro et d’entamer les cours du deuxième semestre immédiatement après, menaçant d’invalider les stages des étudiants absents à trois reprises aux stages hospitaliers.

Une décision souveraine, oui mais

Même son de cloche du ministre de la Santé Khalid Aït Taleb qui a définitivement clos la possibilité d’un retour sur la décision de réduire la durée de formation à six ans au lieu de sept, considérant qu’il s’agit là d’une décision « souveraine » en rapport avec l’intérêt de l’Etat et qu’on ne peut tolérer que les étudiants dictent, à la place du gouvernement, la politique sanitaire du pays, ce sur quoi il n’a pas tort.

Les chiffres révélés par M. Aït Taleb sont alarmants : le Maroc a besoin de 34 mille médecins, alors que le nombre des lauréats ne dépasse pas les 1600 chaque année, dont 600 choisissent de s’expatrier s’offrant ainsi gracieusement à des Etats qui n’ont pas déboursé un centime pour leur formation. A la décharge des candidats à la migration, il y a plusieurs facteurs qui ne sont pas l’objet de ce texte.

Les étudiants en médecine, eux, n’ont pas changé d’argumentaire, arguant que les dernières années ont enregistré une grande régression en termes de formation et de stages. Abstraction faite de la pandémie du coronavirus ayant significativement impacté ce volet, des étudiants de nombre de facultés de médecine n’ont bénéficié que d’une formation théorique en l’absence de CHU. C’est le cas notamment des facultés de médecine d’Agadir, qui ne disposent toujours pas d’un CHU, et de Tanger où un CHU a ouvert ses portes l’année dernière seulement, tandis que les facultés de médecine d’Errachidia, Béni Mellal et d’autres n’ont pas encore de visibilité sur la construction ou l’ouverture de CHU.

L’argument vaut ce qu’il vaut, le modèle cubain étant pour démontrer le contraire, mais selon eux, la réduction d’une année de formation, prise dans la précipitation et sans considération pour les compétences nécessaires (sous prétexte de combler le déficit) est de nature à exposer la santé des citoyens au danger et le médecin aux poursuites judiciaires.

Aucune communication porteuse

En réalité, l’on est en présence d’un sérieux problème que le gouvernement, et plus précisément le ministre de l’Enseignement supérieur, n’a pas réussi à gérer avec l’habileté requise, faisant preuve d’un double manquement : 

La première se rapporte à l’explication de la démarche qui a été appliquée avec succès dans le études d’ingénieur où l’on formait les ingénieurs d’Etat et les ingénieurs d’application . En médecine on a besoin non seulement de généralistes et de spécialistes pour les grandes ou spécifiques maladies, mais aussi de « médecins d’application » qui traitent les maladies de tous les jours, s’engagent dans les périphéries et les campagnes  pour répondre aux besoins en soins des populations. ’

L’octroi de la note zéro aux boycotteurs, et la seconde  carte agitée. Elle met tout le système au pied du mur, sans proposer en contrepartie d’issue de sortie. Si ni le gouvernement, ni le ministre de l’Enseignement supérieur ne semblent en mesure de répondre à l’après-invalidation des examens des boycotteurs, on voit mal comment le Maroc saurait résoudre le problème du déficit en médecins, sous la menace d’une pareille décision ?

Dans le duel en cours, parce que c’en est un, chaque partie s’évertue à escamoter le débat public. Au fond, la question ne porte ni sur la qualité des formations dispensées, ni sur le besoin de l’Etat de combler le déficit en médecins. Le ministère de tutelle n’a jamais été sérieux, ni concerné par l’impératif d’anticiper le problème du déficit chronique qui date depuis « l’aube des temps » et s’accentue depuis que la ruralité a commencé à s’urbaniser ou, s’il l’on préfère, l’urbanité à se ruraliser. Il n’a pas, non plus, pensé à des politiques pratiques et immédiates pour pallier les lacunes en matière de formation ou intégrer en amont, de manière graduelle et équilibrée, des formations au profit des étudiants de la 7ème année.

M. Miraoui aurait dû commencer par augmenter l’effectif des étudiants inscrits aux facultés de médecine et de pharmacie afin d’être en phase avec les besoins du système de santé à l’horizon 2027. Il aurait dû entamer la mise en œuvre de la réforme dès l’année universitaire 2021/2022, qui coïncide avec l’installation du gouvernement Akhannouch. En lieu et place, l’homme a improvisé la décision de réduire les années de formation, sans prévoir de mise à niveau en amont ou de préparation préalable, quand bien même on a tardé à ouvrir le CHU de Tanger et piétine toujours à ouvrir celui d’Agadir, sans parler des projets toujours dans les limbes des CHU d’Errachidia et de Béni Mellal où les étudiants en médecine se contentent, sans trop de contestation là (il faut le signaler) de cours théoriques, à l’instar de leurs camarades des facultés de médecine de Lâayoune et Guelmim.

Faux débat face au vrai problème

Dans ce débat, le pot-aux-roses que les uns et les autres s’évertuent d’évoquer en public, ou le font avec une certaine prudence, concerne l’immigration des étudiants. Ces derniers savent pertinemment que leur parcours académique (réduit à six ans sans validation de stage, selon les nouvelles conditions), ne leur permettra pas d’être admis dans les facultés étrangères qui attirent traditionnellement les étudiants en médecine. Tout en admettant l’acuité de ce problème, le ministre de la Santé a assuré qu’il ne peut confisquer le droit des étudiants à l’immigration en vue de poursuivre leur parcours académique.

Il convient de rappeller que lors d’une séance mensuelle des questions orales à la Chambre des représentants, le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch avait évoqué le problème de la concurrence étrangère qui draine une partie importante des médecins et ingénieurs marocains, au point d’interpeller des responsables allemands sur l’hameçonnage des cadres nationaux en miroitant à nos lauréats des offres incitatives à l’expatriation quand par ailleurs ils pourchassent sans pitié l’immigration économique.

L’incapacité du Maroc à tenir tête à cette opération de débauchage devrait interpeler sérieusement les responsables, puisque le salaire perçu par un médecin au Maroc n’atteint même pas la moitié de son collègue à l’étranger, sans trop insister sur l’attractivité socio-politico-culturelle des pays candidat à l’accueil des cadres de pays du Sud global. Outre que l’également,  le gouvernement n’a aucun droit de priver un étudiant d’aller parfaire son parcours ou voir si l’herbe est plus verte ailleurs dans le pays de son choix, pas plus par la loi que par la ruse dérisoire.

C’est ainsi que la lumière a jailli dans l’esprit des responsables, qui ont, Eurêka, trouvé le moyen de retenir les futurs médecins en ramenant leur formation de sept à six ans. Il y a bien un proverbe marocain qui dit approximativement : « Celui qui compte tout seul en laisse toujours. »

Une histoire de chameaux et de chameliers

On ne saurait balayer d’un revers de la main cette réduction à six ans, même si elle s’inscrit dans la prescription de soins palliatifs, au vu de l’absence d’une politique proactive pour répondre à l’intégration, en amont, du contenu des formations et des stages dans le cursus de la 7ème année. Sans lui imputer toute la responsabilité d’un problème qui date, M. Miraoui aurait dû, dès sa nomination il y a plus de deux ans, mettre les étudiants inscrits en 2ème année et plus face à leurs responsabilités, leur expliquer la teneur de la réforme promise, et réorganiser les unités de cours théoriques et pratiques de manière à intégrer les cours de la 7ème et de la 6ème année dans un module condensé.

Dans de telles circonstances, si la clarté est plus que nécessaire, la dissimulation des vérités est un poison mortel pour la politique. Un autre adage ne dit-il pas que « ce que les chameaux pensent, les chameliers le savent » ?

 L’urgence en ce moment serait de considérer deux voies pour sortir de l’impasse actuelle. La première est de réfléchir à une formule permettant d’imposer aux lauréats des facultés de médecine de travailler au Maroc pour une durée déterminée, par égard à l’intérêt suprême du pays qui, tant bien que mal, les a amenés jusque-là. La seconde consiste à ne pas instrumentaliser la formation et les stages pour immuniser les lauréats contre l’hameçonnage étranger et se retrouver, au final, avec des praticiens démobilisés, sans entrain pour répondre aux besoins de la santé publique, car « amputés » dès le début de leur formation. On a vu combien c’est inutile. La solution est ailleurs !"

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