Sénégal: les autorités interdisent la marche contre le report de la présidentielle, l’ONU s’inquiète de la situation

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Des membres de la presse sénégalaise se rassemblent pour une veillée de protestation contre les violences faites aux médias, à Dakar, le 12 février 2024. (Photo JOHN WESSELS / AFP)

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Les autorités sénégalaises ont interdit une grande marche prévue par la société civile mardi à Dakar, poussant les organisateurs à repousser cette manifestation contre le report de dernière minute de la présidentielle et la prolongation du mandat du chef de l'Etat, objets d'un vaste mouvement d'indignation.

Dans la foulée de cette décision, l'internet sur les mobiles a été suspendu mardi au Sénégal

"En raison de la diffusion sur les réseaux sociaux de plusieurs messages haineux subversifs qui ont déjà provoqué des manifestations violentes, (...) l'internet des données mobiles est suspendu ce mardi 13 février", a indiqué dans un communiqué le ministère de la Communication, des Télécommunications et du Numérique.

Le nouveau collectif Aar Sunu Election ("Protégeons notre élection"), forméde plusieurs dizaines d'organisations syndicales et de groupes citoyens et religieux, appelait les Sénégalais à se rassembler massivement pour une marche silencieuse à partir de 15H00 (locales et GMT) dans un quartier proche du centre de la capitale.

La préfecture a interdit la manifestation parce qu'elle "risque de perturber gravement" la circulation, dit une lettre officielle publiée sur les réseaux sociaux et que des représentants du collectif ont confirmé avoir reçue.

Quatre représentants ont indiqué que la marche était repoussée, peut-être à vendredi selon certains d'entre eux.

"Nous allons reporter la marche car nous voulons rester dans la légalité. La marche a été interdite. C'est un problème d'itinéraire. Donc nous allons changer cela", a dit Malick Diop, un coordinateur du collectif.

Les manifestations sont soumises à un régime d'autorisation. Les autorités ont refusé d'autoriser de nombreux rassemblements de l'opposition ces dernières années.

Les manifestations non-autorisées ont communément dégénéré en heurts, comme cela a été le cas vendredi, quand une contestation d'ampleur a été réprimée par les forces de sécurité. Trois personnes ont été tuées. De nombreux Sénégalais avaient voulu répondre à un appel --aux auteurs non identifiés-- diffusé sur les réseaux sociaux, mais les policiers et les gendarmes les en avaient empêchés par la force.

Le Haut-Commissariat de l'ONU aux droits de l'homme s'est dit mardi "profondément préoccupé" par la crise au Sénégal, dénonçant un "recours inutile et disproportionné à la force contre les manifestants et des restrictions de l'espace civique".

Des enquêtes "doivent être menées rapidement, de manière approfondie et indépendante, et les responsables doivent être amenés à rendre des comptes", a-t-elle ajouté.

La porte-parole a souligné qu'"il est essentiel que les autorités ordonnent sans équivoque aux forces de sécurité de respecter et de garantir les droits humains y compris les droits à la liberté d'expression, d'association et de réunion pacifique".

Le Sénégal est en proie à l'une de ses plus graves crises politiques des dernières décennies depuis que le président Sall a annoncé le report de la présidentielle le 3 février, à trois semaines de l'échéance.

Ses partisans à l'Assemblée nationale et ceux de Karim Wade, candidat disqualifié parle conseilconstitutionnel, ont ensuite entériné le renvoi de l'élection au 15 décembre et le maintien du président Sall à son poste jusqu'à la prise de fonctions de son successeur, une durée encore indéterminée.

Ce changement in extremis, exceptionnel dans un pays vanté pour sa stabilité et ses pratiques démocratiques, a provoqué des cris de "coup d'Etat constitutionnel".

L'opposition soupçonne le camp présidentiel de s'arranger avec le calendrier parce qu'il est sûr de la défaite de son candidat, le Premier ministre Amadou Ba, désigné par M. Sall pour lui succéder.

Question d'amnistie 

Elle suspecte une manœuvre pour que le président Sall, dont le mandat expirait officiellement le 2 avril, reste au pouvoir. Le chef de l'Etat, élu en 2012 et réélu en 2019, répète qu'il ne se représentera pas.

La gravité de la crise fait craindre un nouvel épisode de violences comme le pays en a connu en mars 2021 et juin 2023 autour du sort de l'opposant antisystème Ousmane Sonko, candidat déclaré à la présidentielle, aujourd'hui détenu et écarté de la course.

Le flou entretenu par le président Sall sur sa candidature à un troisième mandat avait alors alimenté les tensions jusqu'à ce qu'il annonce en juillet 2023 qu'il s'en tiendrait là.

Des dizaines de personnes ont été tuées depuis 2021 selon les défenseurs des droits humains, et des centaines arrêtées.

La réponse des autorités aux récentes tentatives de mobilisation, l'usage de la force, les arrestations, les mauvais traitements subis par un certain nombre de journalistes selon les organisations de presse, la suspension provisoire de l'internet des données mobiles et la coupure pendant quelques jours du signal d'une télévision critique du pouvoir leur ont attiré de nouvelles critiques.

Des partenaires internationaux importants du Sénégal ont exprimé leur inquiétude devant la situation et appelé plus ou moins explicitement à un rétablissement du calendrier électoral.

M. Sall a justifié le report de la présidentielle par les farouches querelles suscitées par le processus de validation des candidatures. Il a dit vouloir une élection incontestable, s'inquiétant du risque de nouveaux accès de violence.

Il a affirmé sa volonté "d'apaisement et de réconciliation" et a proposé un dialogue au reste de la classe politique.

Cette tentative de main tendue soulève une multitude de questions, en particulier sur son acceptation par l'opposition et sur une éventuelle libération des opposants Ousmane Sonko, Bassirou Diomaye Faye et des personnes emprisonnées depuis 2021.

Certains médias ont évoqué la possibilité d'une amnistie, non confirmée par la présidence ou le gouvernement. (Quid avec AFP)