Maroc/Sénégal, as usual ? - Par Bilal TALIDI

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Caravane médicale, organisée du 27 au 29 avril 2019, dans la localité de Diofior, dans le sud du Sénégal, à l’initiative de l’Association des Marocains lauréats du Sénégal (AMLS).

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Le Patient et l'intempestif - Par Bilal TALIDI

La récente présidentielle ayant porté à la tête du Sénégal Bassirou Diomaye Faye, le candidat de l’opposition, pose la question des relations entre Rabat et Dakar, quant à savoir si elles augurent un changement de paramètre, une stabilité dans les rapports ou, bien mieux, si elles promettent l’élargissement du spectre de la coopération multisectorielle. 

Les analyses traditionnelles placent très haut la barre du défi, en considérant que les relations bilatérales sous le nouveau président élu pourraient rencontrer des complications, en raison du soutien tacite que le Maroc aurait apporté à Amadou Ba, le candidat malheureux du président sortant Macky Sall, aux dépens du candidat élu de l’opposition, catalogué proche des islamistes. L’arrivée au pouvoir de Bassirou Diomaye Faye aura donc opéré un nouveau basculement en Afrique de l’Ouest qui s’ajoute aux mutations profondes à l’œuvre dans la zone sahélo-saharienne, susceptibles de perturber les projets du Maroc dans la région. 

Certains analystes, ouvertement pessimistes, estiment que les relations maroco-sénégalaises seront un déterminant fondamental dans la définition des rapports à venir entre Rabat et Dakar, arguant que le nouveau président sénégalais sera, en raison de sa fibre islamiste, plus sceptique à l’égard des choix du Royaume dans la région et, partant, plus prudent à immuniser les relations antérieures, à défaut de les promouvoir davantage. D’autres, ajoutant une couche supplémentaire au pessimisme, conjecturent que l’hostilité du nouveau président à l’égard de la gestion par la France de ses relations avec le Sénégal finira par se répercuter sur les rapports avec le Maroc, au moment où des milieux de l’opposition estiment que les rapports de Rabat avec Dakar sont déséquilibrés. 

En réalité, abstraction faite de la justesse ou pas de quelques reproches dans ce type d’analyses, elles pèchent par manque de maîtrise des bases conceptuelles qui structurent la gestion des relations extérieures des deux pays. Cette absence de maitrise touche en premier lieu à la nature de la vision diplomatique du Royaume. Elle se rapporte aussi à la nature du pouvoir au Sénégal, à la place de la présidence dans les structures et le processus de prise de décision, à la gestion des relations étrangères, ainsi qu’aux marges réduites que permettent les considérations géostratégiques dans la région pour opérer un changement majeur dans la politique extérieure du Sénégal.

 La diplomatie est toujours mise à rude épreuve durant les périodes électorales, à fortiori lors de l’annonce des résultats, et de tout changement politique dans un pays. À cela une raison : la diplomatie est l’expression des rapports entre les appareils diplomatiques mutuels qui remontent jusqu’aux chefs d’État, ce qui impose toujours des relations prudentes avec l’opposition d’un pays, par souci de mettre l’évolution des relations bilatérales à l’abri des soubresauts politiques. Le cas du Mali est à cet égard édifiant, si l’on considère la manière dont le Maroc a géré la crise dans ce pays depuis 2012 jusqu’à aujourd’hui. 

Alors que des voix mettaient en garde contre le risque pour le Royaume de perdre un allié essentiel dans la zone sahélo-saharienne, l’évolution de la situation dans ce pays a démontré que les mutations politiques n’impliquent pas nécessairement un changement dans les rapports diplomatiques, quoiqu’elles posent un défi qu’il faut savoir gérer avec tact et intelligence en vue d’immuniser ces rapports et leur insuffler une nouvelle dynamique. 

Dans le cas du Sénégal, il est important de s’arrêter sur deux indicateurs majeurs D’abord, le message de félicitations adressé par le Roi Mohammed VI à M. Bassirou Diomaye Faye souligne que « nos deux peuples forment une communauté de valeurs et de destin fondée sur la solide tradition culturelle et spirituelle qui constitue une constante des relations entre nos deux pays ». Le Maroc et le Sénégal « constituent également un modèle de coopération fructueuse, dense et multidimensionnelle », précise le message royal, qui met l’accent sur la disposition du Royaume à œuvrer pour « la diversification et le renforcement de notre partenariat stratégique prometteur » et à « coopérer à son prolongement et à sa consolidation ». Ensuite, le vainqueur de la présidentielle au Sénégal a assuré, immédiatement après l’annonce de son élection, que son pays resterait « l'allié sûr et fiable » de tous les partenaires étrangers « respectueux ».

Un autre indicateur, et non des moindres, que peu d’analystes ont retenu : après l’annonce de son renoncement au report de la présidentielle, d’aucuns se sont concentrés sur sa décision de faire machine arrière, mais sans s’arrêter sur son intention de venir s’installer dans le Royaume et sur le rôle éventuel que le Maroc aurait joué pour désamorcer la crise entre le pouvoir et l’opposition.

Dans cette situation, la nature du pouvoir au Sénégal, à l’instar d’autres pays africains, révèle que l’institution de la présidence demeure, en dépit de son importance, un acteur parmi tant d’autres dans la structure de la prise de décision et, plus particulièrement, dans la politique étrangère. À supposer que M. Diomaye Faye, qui n’est pas seul à bord, ait une vision différente du rôle du Sénégal dans la région, il ne peut se passer de l’impératif de trouver un équilibre dans la structure de prise de décision, surtout s’il a pour ambition de provoquer une rupture dans les relations étrangères de son pays. En témoigne d’ailleurs sa déclaration, une fois élu, qui révèle à quel point sa marge de manœuvre est réduite dans le chapitre des relations extérieures par rapport aux autres intervenants, notamment les institutions militaires et sécuritaires et les élites économiques influentes.

Le nouveau président sénégalais, porté à la présidence par une coalition hétéroclite qui a engrangé 54,28 % des voix, va devoir surtout faire face au sérieux défi qu’il a lui-même articulé tout au long de sa campagne électorale, à savoir se libérer de l’hégémonie économique et culturelle française. Ce dessein, il ne peut le réaliser correctement et sans trop de dégâts en compliquant les relations de son pays avec le Maroc, sachant que les Marocains partagent en grande partie ce désir de s’affranchir des relations de par trop déséquilibrées avec nombre de pays occidentaux. C’est d’ailleurs l’action de Rabat dans ce sens et son travail de terrain pour une meilleure coopération sud-sud qui ont, entre autres, permis à sa coopération avec les pays du Sahel de s’affirmer et même de s’améliorer malgré les bouleversements que connaît la région.

C’est en conséquence dans son intérêt bien compris que le Sénégal doit plutôt veiller à jouer la carte de l’élargissement des relations avec le Royaume.

Le contexte géostratégique qui fait du Sénégal un acteur dans un espace d’États qui entretiennent de bonnes relations avec le Maroc, particulièrement d’abord le Sénégal lui-même, ensuite le Mali, la Guinée et la Guinée-Bissau, et juste un peu plus loin la Côte d’Ivoire.

Il faut donc croire que, quelle que soit l’envie des nouveaux dirigeants, le pragmatisme prendra le dessus, et ils n’hésiteront pas à neutraliser toute position de nature à pousser le pays dans une sorte d’isolement ou de confrontations inutile avec son environnement régional et international.

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