Italie: le fascisme assumé aux portes du pouvoir

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La chef du parti Frères d'Italie, Giorgia Meloni sur scène, le 22 septembre 2022, lors d'un rassemblement commun des partis de droite italiens Frères d'Italie (FdI), Ligue (Lega) et Forza Italia sur la Piazza del Popolo à Rome, en vue des élections générales du 25 septembre. (Photo par Andreas SOLARO / AFP)

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L'alliance dominée par l'extrême droite, favorite des législatives de dimanche, a tenu son unique meeting commun jeudi à Rome au terme d'une campagne éclair qui pourrait porter au pouvoir une ex-admiratrice de Mussolini.

Alors l'Italie va-t-elle basculer ? Placée sous perfusion financière par ses partenaires européens après une pandémie dévastatrice, elle devrait remettre son destin entre les mains de Giorgia Meloni, cheffe de Fratelli d'Italia (FdI), formation ultra-conservatrice, identitaire et nationaliste.

"Je vote pour Meloni, elle ne m'a jamais trahie, je partage ses opinions à 100%, je la trouve cohérente", a confié à l'AFP Giuli Ruggeri, une chomeuse de 53 ans venue au meeting de la Place du Peuple, en plein centre de la capitale italienne.

"La Meloni" comme on l'appelle en Italie, 45 ans, s'est alliée avec le parti conservateur Forza Italia (FI) du milliardaire en perte de vitesse Silvio Berlusconi, et la Ligue antimigrants et populiste de Matteo Salvini.

Les trois dirigeants, montés sur scène côte à côte pour la première et dernière fois de cette campagne "sous les parasols", se sont succédé pour haranguer leurs dizaines de milliers de partisans réunis pour ce sprint final.

C'est un Berlusconi visiblement diminué, peinant à marcher seul, qui s'est exprimé le premier, brièvement: "L'Italie ne veut pas être gouvernée par la gauche", a asséné l'octogéraire, dénonçant "l'oppression fiscale" et "l'invasion incontrôlée" des migrants.

Matteo Salvini a lui fixé pour objectif à la coalition de "gouverner bien et ensemble pendant cinq ans", s'engageant à "protéger l'Italie et les Italiens". Il a enchaîné les promesses dans un discours décousu: blocage des prix de l'énergie, fin des débarquements de migrants, suppression de la redevance tv... tout en s'en prenant aux "diktats" de Bruxelles.

"Les Italiens d'abord" 

Enfin, la vraie vedette du meeting, Giorgia Meloni, dont les partisans qui dominaient l'assistance ont scandé le prénom, les a tenus en haleine avec un discours fleuve de plus d'une demi-heure.

"Nous sommes prêts, vous le verrez dimanche", a-t-elle assuré, promettant de défendre "l'intérêt national" de l'Italie face à l'Europe.

"Nous voulons une Italie forte, sérieuse et respectée sur la scène internationale", a-t-elle affirmé, s'engageant aussi à lancer "une réforme des institutions italiennes" vers un régime présidentiel pour garantir la "stabilité" dans un pays connu justement pour son instabilité gouvernementale.

Ensemble, droite et extrême droite pourraient obtenir la majorité absolue des sièges à la Chambre des députés et au Sénat avec une avance confortable sur le Parti démocrate (PD) d'Enrico Letta, qui a échoué à fédérer gauche et centre.

Selon les derniers sondages, FdI est crédité de 24 à 25% des intentions de vote, devant le PD entre 21 et 22%. Suivent le Mouvement 5 Etoiles (ex-antisystèmes) de 13 à 15%, la Ligue à 12%, FI à 8%.

La coalition droite/extrême droite pourrait rafler entre 45% et 55% des sièges au parlement.

L'élection est suivie de près à Bruxelles après la victoire d'un bloc de droite et d'extrême droite en Suède, car Giorgia Meloni pourrait devenir la première cheffe de gouvernement d'un pays fondateur de l'UE à la tête d'un parti post-fasciste.

Attention, prévient toutefois Marc Lazar, professeur à Sciences-Po et à l'université Luiss de Rome, si la victoire des conservateurs semble acquise, "les sondages ont été démentis par le passé".

Facteur clé de ce scrutin, le taux de participation devrait descendre à un niveau historiquement bas, sous 70%.

Menée en plein été alors que les Italiens étaient à la plage, ce fut "l'une des pires campagnes de l'après-guerre (...) Il n'y a pas eu de confrontation sur les idées et les visions de chacun", analyse Flavio Chiapponi, de l'université de Pavie.

La droite veut plus de frontières et moins d'Europe "bureaucratique", plus de natalité et moins d'immigration, plus de valeurs "judéo-chrétiennes" et moins d'impôts.

Sur la défensive 

Mais chacun, en campagne, a tenu à rappeléer son ADN, au-delà de l'accord électoral: si Meloni et Salvini fustigent "l'islamisation" et s'engagent à faire passer "les Italiens d'abord", la première, protectionniste, croit en l'Etat interventionniste quand Salvini et Berlusconi, plus libéraux, plaident pour un impôt à taux unique de 15 et 23% respectivement.

Venue d'une famille politique qui s'est construite sur l'anticommunisme, elle est par ailleurs atlantiste et soutient les sanctions contre Moscou après l'invasion de l'Ukraine, alors que Salvini, grand "tifoso" de Vladimir Poutine, s'y oppose, estimant qu'elles nuisent surtout aux Italiens qui paient le gaz au prix fort.

A gauche, Enrico Letta, lui, a "exclusivement fait campagne sur la défensive, comme s'il se considérait déjà battu", cependant que Giorgia Meloni arpentait l'Italie du Nord au Sud comme si elle était déjà Première ministre, relève Flavio Chiapponi.

Enrico Letta se présente en garant d'une Italie ancrée en Europe, un argument de poids après l'octroi par l'UE de près de 200 milliards d'euros d'aide à l'Italie pour relancer son économie après la pandémie.

Verbatim : Islam, homosexualité, fascisme dans la bouche de la Meloni dans le texte

Giorgia Meloni, la cheffe du parti nationaliste Fratelli d'Italia donné en tête aux législatives de dimanche en Italie, a le verbe haut, affûté, dont ses adversaires dénoncent aussi la violence.

Voici quelques déclarations aux médias ou issues de discours publics sur des thèmes de prédilection du parti d'extrême droite ou qui concernent son histoire et son programme.

Profession de foi

"Oui à la famille naturelle, non au lobby LGBT! Oui à l'identité sexuelle, non à l'idéologie du genre! Oui à la culture de la vie, non à l'abîme de la mort! Oui aux valeurs universelles de la Croix, non à la violence islamiste! Oui aux frontières sûres, non à l'immigration de masse! Oui au travail de nos citoyens, non à la grande finance internationale! Oui à la souveraineté du peuple, non à la bureaucratie de Bruxelles! Oui à notre civilisation, non à ceux qui veulent la détruire!"

(Discours devant les militants de Vox en Espagne, juin 2022)

Islam

"Si vous vous sentez offensés par le crucifix, ce n'est pas ici que vous devez vivre. Le monde est vaste et il est plein de nations islamiques où vous ne trouverez pas un crucifix parce que les chrétiens y sont persécutés et les églises y sont rasées. Mais ici nous défendrons ces symboles, ces églises et nous défendrons notre identité. Nous défendrons Dieu, la patrie et la famille, faites-vous une raison. Nous nous battrons contre l'islamisation de l'Europe, parce que nous n'avons aucune intention de devenir un continent musulman".

(Discours devant ses militants à Rome, octobre 2019)

Homosexuels

"On parle maintenant de supprimer la mention +père+ et +mère" sur les documents officiels. Parce que la famille est un ennemi, l'identité nationale est un ennemi, l'identité de genre est un ennemi. Pour eux, tout ce qui définit une personne est un ennemi. C'est le jeu de la pensée unique: ils doivent supprimer tout ce que nous sommes, parce que quand nous n'aurons plus d'identité, quand nous n'aurons plus de racines, nous serons privés de conscience et incapables de défendre nos droits. C'est leur jeu. Ils veulent que nous soyons le parent 1, le parent 2, le genre LGBT, les citoyens X, des codes. Mais nous, nous ne sommes pas des codes, nous sommes des personnes et nous défendrons notre identité. Je suis Giorgia, je suis une femme, je suis une mère, je suis italienne, je suis chrétienne".

(Discours devant ses militants à Rome, octobre 2019)

Fascisme

"Moi je crois que Mussolini, c'était un bon politicien, c’est-à-dire que tout ce qu'il a fait, il l'a fait pour l'Italie".

(Entretien à France 3, avril 1996)

"J'ai un rapport serein avec le fascisme. Je le considère comme un chapitre de notre histoire nationale. (Mussolini) a commis plusieurs erreurs: les lois raciales, l'entrée en guerre, et son régime était autoritaire. Historiquement, il a aussi beaucoup accompli, mais cela ne l'exonère pas".

(Entretien au Corriere della Sera, décembre 2006)

"Il n'y a pas de place pour les nostalgiques du fascisme, ni pour le racisme et l'antisémitisme, qui sont à des années-lumières de notre ADN".

(Entretien à la chaîne privée Rete 4, octobre 2021)

Europe

"L'Europe doit s'occuper des grands domaines dont elle ne s'occupe pas, la politique extérieure par exemple, et ensuite le principe de subsidiarité fait qu'elle laisse aux nations les champs plus proches des citoyens, et donc Bruxelles ne s'occupe pas de ce que Rome ou Madrid peut faire mieux qu'elle".

(Entretien à La Stampa, juillet 2021)

"En Europe, ils sont tous inquiets de voir Meloni au gouvernement, mais ils disent ce qui va se passer? Je vous le dis ce qui va se passer, la fête est finie, l'Italie va commencer à défendre ses intérêts nationaux comme le font les autres, et après on cherche des solutions communes".

(Discours de campagne à Milan, septembre 2022)

Défense

"Fratelli d'Italia est le seul parti qui a dans son programme l'augmentation des dépenses militaires. La liberté a un prix et pas seulement la liberté face à une possible invasion. Ceux qui se plaignent de l'ingérence excessive des Etats-Unis en Europe sont aussi ceux qui disent que nous ne devons pas augmenter les dépenses militaires. Si l'Europe décide de confier sa défense à d'autres, l'Europe leur confie aussi sa liberté, parce que personne ne te défend gratuitement. On te défend en échange d'une sphère d'influence".

(Entretien à l'émission Porta a Porta sur la Rai, avril 2022)

 

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