Culture
''Alamut'' de Vladimir Bartol - Par Samir Belahsen
Alamut est le nom d'une forteresse, anciennement réputée inexpugnable, située dans la vallée du massif de l'Albroz, au sud de la mer Caspienne, près de la ville de Qavzin, à 100 kilomètres de l'actuelle Téhéran dans le nord-ouest de l'Irab actuel. La forteresse d'Alamut se dressait autrefois sur un sommet d'une altitude de 2 100 mètres, au-dessus de l'actuel village de Gâzor Khân.
« En fait, la force de notre organisation repose sur l'aveuglement de ses partisans ».
Hassan Ibn Sabbah
“Celui qui soutient sa folie par le meurtre, est un fanatique.”
Voltaire
Vladimir Bartol, né en 1903, est un écrivain slovène connu pour son roman Alamut, publié en 1938.
Dans ce chef d’œuvre, roman historique, classique atemporel qui se déroule au XIe siècle en Perse, il explore la vie de Hassan Ibn Sabbah(1034-1124) un prédicateur chiite d'origine perse, né à Qom ou à Rey en Perse.
Bartol utilise cette fiction pour critiquer les régimes totalitaires de son époque, notamment le nazisme et le fascisme, en analysant la manipulation et le fanatisme religieux. Bien qu'initialement il était quasiment ignoré, Alamut a gagné en notoriété après les attentats du 11 septembre, révélant sa pertinence contemporaine.
Les concepteurs des jeux vidéo Assassin's Creed et Prince of Persia y ont trouvé l’essentiel de leur inspiration.
L’histoire
Alamut se déroule au XIe siècle, il est centré sur la vie d’un personnage pour le moins atypique, Hassan Ibn Sabbah, le fondateur de la secte ismaélienne des Assassins. Une autre version avance que le terme Hachachine, littéralement les drogués, dont les occidentaux tireront « assassin » en raison des menées de la secte, viendrait plutôt d’une déviation-altération de « assassiyines » qui signifierait « fondamentalistes ».
Toujours est-il qu’on est dans la forteresse d'Alamut, forteresse réputée inexpugnable, sorte d'antithèse de la démocratie, située dans les montagnes de l'Iran actuel, où Hassan met en place un système de contrôle et de manipulation psychologiques.
Bartol nous plonge dans cette culture perso-musulmane avec son savoir encyclopédique, le raffinement de sa poésie, l'ébullition de sa théologie, la sensualité enivrante de ses harems et son contexte géopolitique complexe.
Il rappelle la rivalité entre perses chiites, turcs, calife du Caire et arabes sunnites réunis autour du sultanat de Bagdad et son grand vizir Nizam al-Mulk.
Hassan Ibn Sabbah, personnage charismatique et ambitieux, cherche à établir un empire basé sur la foi et la dévotion. Il utilise des techniques efficientes de manipulation pour endoctriner ses disciples. Il leur faisait croire qu'ils pouvaient accéder à un paradis terrestre en accomplissant des actes de violence au nom de leur foi.
Il crée un jardin secret, une sorte de paradis artificiel, où il fait vivre ses fidèles dans un état d'extase, leur promettant que leurs actions violentes leur ouvriront les portes du paradis.
Le roman explore comment le pouvoir peut être, et est souvent, exercé à travers la manipulation psychologique et la création de faux espoirs. Hassan utilise, en même temps et subtilement, la peur et le désir pour contrôler ses disciples.
Bartol explique la manière dont la religion peut être détournée pour justifier la violence et le terrorisme, une thématique qui trouve plus d’écho dans les événements de la fin du siècle.
Bartol décrit bien les personnages confrontés à des choix moraux difficiles, illustrant la lutte entre la quête de liberté individuelle et la soumission à une autorité oppressive.
Hassan Ibn Sabbah est le protagoniste principal est le leader charismatique qui manipule ses disciples pour atteindre ses objectifs. Son obsession pour le pouvoir en fait un tyran manipulateur. Sa vision utopique devient un outil de domination.
Ses hommes seront prêts à mourir pour lui avec le sourire. Des foules entières se prosterneront sur son passage.
A noter ici que dans Samarcande d’Amin Maalouf, Hassan Sabbah est l’inventeur de l’homme-suicide. Entré en conflit avec Nizam al-Mulk, un temps son ami, son parrain et bienfaiteur, il commandite son assassinat par un disciple qui se laisse tuer dans le feu de l’action, ce qui deviendra le mode d’emploi des actions des adeptes de l’exilé-réfugié d’Alamout, pour mieux semer la terreur chez ses ennemis.
Dans Alamout de Bartol, un autre personnage, Ibn Tahir est ce jeune homme idéaliste qui devient l'un des disciples de Hassan, il prend conscience des conséquences de ses actes et il tombe dans la lutte entre foi et raison. Il illustre le dilemme moral face à la violence.
Les disciples représentent les différentes facettes de la foi et du fanatisme, chacun ayant ses propres motivations et luttes internes. Si certains deviennent conscients des manipulations de Hassan, d’autres s’enfoncent dans le fanatisme.
Alamut est un roman chargé de réflexions philosophiques et politiques. Il questionne la nature du pouvoir, de la foi et de la violence, la nature humaine et les conséquences de l'aveuglement idéologique.
Il nous invite à réfléchir sur les dangers du fanatisme et la manipulation des croyances.
D’autres grands auteurs ont exploré des thèmes similaires à ceux de Alamut .
Dans « 1984 », George Orwell décrit la manipulation des masses et le totalitarisme, mettant en lumière comment les régimes peuvent contrôler la pensée et la réalité.
Dans « Le Meilleur des mondes », Aldous Huxley examine la manipulation sociale et le conditionnement, soulignant les dangers d'une société contrôlée par l'État.
Dans « Les Cerfs-volants de Kaboul », Khaled Hosseini explore les thèmes de la manipulation et du fanatisme religieux à travers le prisme de l'histoire afghane.
Aveuglement et manipulation
Un millénaire plus tard, la manipulation des masses, comme pratiquée par Hassan Ibn Sabbah, repose sur deux éléments clés : l'aveuglement et la manipulation.
Toute l'œuvre de Bartol est tendue entre ces deux pôles que sont l'aveuglement, l'orgueil d'obéir et l'intelligence critique. Extrémités entre lesquelles nous vacillons encore et toujours au péril de nos libertés .
L'aveuglement des individus provient souvent de leur désir de croire en des idéaux supérieurs ou des promesses de rédemption.
Dans Alamut, les disciples de Hassan, tels qu' Avani, sont attirés par une vision idéaliste utopique et un sens de la communauté, ce qui les rend vulnérables à l'endoctrinement. Cet aveuglement est alimenté par des narrations mythiques et des promesses de récompenses spirituelles, similaires aux mécanismes utilisés par des groupes extrémistes contemporains.
La manipulation, quant à elle, est orchestrée par des figures charismatiques comme Hassan, qui exploitent les croyances et les faiblesses humaines. Il utilisait des techniques de propagande, de mensonge et de contrôle psychologique pour façonner ses disciples en instruments de ses ambitions.
En somme, l'interaction entre l'aveuglement des masses et la manipulation orchestrée par des leaders charismatiques, ou par des organisations politiques, crée un cycle dangereux qui continue d'ébranler les sociétés modernes même les plus « démocratiques ».