Quelle approche pour un retour des enseignants en classes ? - Par Bilal TALIDI

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L’erreur majeure du ministère, dont la rectification pourrait servir en partie de solution, est d’avoir introduit dans l’arène une large frange du personnel, les enseignants de la fonction publique, qui ne se considérait nullement concernée par le décret contesté ou de ses articles relatifs aux cadres des AREF

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Le ministre de l’Education nationale Chakib Benmoussa s’est fendu de déclarations espérant apaiser la tension qui agite, depuis de longues semaines, les établissements scolaires. Il a ainsi assuré qu’il n’y aura pas de changement dans les heures de travail des enseignants et que les revendications relatives à l’amélioration de leur situation matérielle était raisonnables, mais requéraient au préalable l’approbation du département des Finances. 

Dans ces déclarations, le ministre est allé jusqu’à présenter des excuses aux enseignants, en admettant une certaine précipitation dans l’élaboration d’un décret controversé, comportant des confusions qui ont suscité des réactions de colère.

Pour louable qu’elle soit, cette initiative qu’il importe de capitaliser, ne résout pourtant pas le fond du problème, du fait qu’elle n’aborde pas la nature juridique du décret controversé et, partant, le nouveau statut unifié qu’il promet en vue d’intégrer dans le même régime les cadres et les fonctionnaires du ministère.

Il est possible que le ministre ait supposé que l’amendement des articles relatifs aux sanctions, aux heures de travail et aux missions de l’enseignant, adossé à des incitations financières alléchantes, pourraient mettre un terme au problème. Si tel est le cas, le ministère n’aura rien compris à la leçon des protestations inédites et qui consiste à contester le fond du décret, à savoir l’unification des cadres et des fonctionnaires du ministère dans un même statut. Aussi bien es fonctionnaires du ministère, soumis au régime de la fonction publique que les cadres des Académies régionales éducation-formation (AREF) qui revendiquent leur intégration au régime des fonctionnaires du ministère, ne sont prêts à céder sur leurs revendications de fond.

Des responsables de l’administration de l’Education proposent sournoisement l’abrogation du décret actuel et le retour à la situation antérieure à l’unification des statuts des deux catégories, avalisant par-là le cadre d’avant l’accord du 14 janvier.

Ce que cette proposition comporte de pernicieux consiste à créer l’illusion de victoire chez les enseignants, pour sortir le ministère de l’ornière et lui donner un alibi juridique de se soustraire des engagements sociaux conclus avec les syndicats du secteur. Dans les faits, cette suggestion ne sert en rien les objectifs du ministère. Sa vision stratégique étant de légitimer son décret et non de ruser pour en même temps rompre ses engagements avec les partenaires sociaux et assurer le retour des enseignants en classes, il n’a aucun intérêt à remettre en cause la quintessence même de son décret. Son atermoiement aussi bien que celui du gouvernement montre bien qu’au retrait du décret, il préfère gérer la contestation en lui apportant des amendements, quitte à donner des «présents financiers», que de tout remettre en cause. 

Suivre ce que soufflent certains directeurs à l’oreille du ministre serait une grossière erreur. Ce serait, d’un point de vue sociologique, ne pas tenir compte d’un changement de fond dans les processus contestataires et leur déclinaison organique : on est désormais en présence de contestations qui ne sont pas menées par des syndicats, mais de grèves massives menées par des coordinations qui échappent au contrôle. C’est le prolongement du même souffle contestataire initié par les cadres des AREF qui n’est pas dans la logique de la composition syndicale et de ses compromis. La démultiplication de leurs effectifs (140 mille), soit près de 50% du corps enseignant, en fait le cœur battant de la contestation.

L’erreur majeure du ministère, dont la rectification pourrait servir en partie de solution, est d’avoir introduit dans l’arène une large frange du personnel, les enseignants de la fonction publique, qui ne se considérait nullement concernée par le décret contesté ou de ses articles relatifs aux cadres des AREF. Sans peut-être s’en rendre compte, le ministère a insufflé une nouvelle dynamique aux revendications initiales des cadres des AREF, qui se limitait à l’abrogation du régime contractuel et le droit au numéro de somme.

Naturellement, la solution, globale mais utopique, serait d’intégrer tout le personnel enseignant au régime de la fonction publique, mais tous les indicateurs démontrent que le ministère n’a d’autres finalités que de tourner définitivement cette page et de s’orienter vers un «nouveau statut fonctionnel» où tous les salariés seront des employés des établissements publics (les académies).

Dans ce cas, le MEN n’a de meilleure alternative que d’opter pour une approche transitoire qu’il conviendrait d’adjoindre à un traitement en fonction de chaque catégorie du personnel enseignant.

La phase transitoire consisterait idéalement à maintenir tel quel le statut des enseignants soumis au régime de la fonction publique et d’œuvrer, de manière progressive, à mettre un terme à cette situation avec tous les leviers disponibles, quitte à lancer au besoin une opération de départs volontaires selon des conditions précises.

Il s’agira également de la mise à la retraite du personnel concerné une fois l’âge légal atteint, de l’activation de la retraite anticipée avec réduction de l’âge légal, s’il le faut, et de la mise à disposition des détenteurs de diplômes supérieurs aux universités, aux centres de formations et aux Ecoles normales supérieures, en vertu d’une convention à prévoir avec le ministère de  l’Enseignement supérieur. Autant de mesures qui permettront au MEN de se délester en douceur d’une catégorie qui, chemin faisant, n’impacterait nullement sa vision stratégique consistant à réduire le poids de la masse salariale.

Cette batterie de mesures serait plus efficace si elle est appuyée par une amélioration des conditions sociales des enseignants. Faute de résoudre le problème dans son intégralité, elle aura au moins le mérite de ramener la situation au statut antérieur aux contestations actuelles, du moins pour les enseignants soumis au statut de la fonction publique. Cette approche aura pour effet de retirer de la contestation l’une des deux catégories que le décret controversé qui voulait les soumettre à un même statut, a finies par les unifier dans la rue.

Le mieux, dans ces circonstances, serait de modifier radicalement le décret pour ne plus concerner que les cadres des AREF, ceux-là même qui représenteront, dans les années à venir, la grande majorité des cadres de l’Education-formation.

L’on pourrait objecter que pareille solution ne mettrait pas un terme aux contestations des cadres des AREF. Néanmoins, leur mouvement finira bien par s’épuiser, une fois la moitié des enseignants aura regagné ses classes, tout comme une grande partie des cadres des AREF qui auront, eux-mêmes, apprécié favorablement les avantages que leur garantirait désormais l’amélioration de leurs conditions matérielles.

Reste l’autre version que propose le ministère, en l’occurrence son pari, fondé, sur la qualité et la formation ainsi que l’attelage de l’amélioration salariale à la formation continue. Ne serait-il pas plus simple de placer les incitations dans un circuit parallèle à l’avancement par ancienneté, en maintenant celle-ci parallèlement à la promotion rapide motivée par le suivi d’une formation ? Ainsi, chaque enseignant aura le droit, s’il désire une promotion professionnelle, d’obtenir des diplômes, de se perfectionner dans des séances de langues, d’informatique, de communication, ou de didactique, de life-skills (compétences de la vie) ou encore dans des équipes pédagogiques. Pour ce faire, deux portes de formation s’offrent à l’enseignant : la première, personnelle à ses frais selon son choix propre, et la seconde, volontaire et facultative, est offerte gracieusement par le ministère dans le cadre de ses cycles de formation.

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