Les assassinats politiques en Algérie : ces généraux qui ne reculent devant rien

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De sa retraite involontaire, Abdelaziz Bouteflika a dû suivre la glaire à la bouche les obsèques de celui qui lui a finalement tout subtilisé : Le fauteuil du pouvoir dans lequel il voulait finir ses jours et les funérailles nationales dont il rêvait pour lui-même. En fin connaisseur et artisan de seconde main du pouvoir algérien, il ne devait avoir aucun doute sur la nature du décès du général Ahmed Gaïd Salah qui l’a dépossédé de ses fantasmes mégalomaniaques jusqu’à ne lui laisser du pouvoir que sa lie et sa bile. 

C’est le propre des « révolutions » d’être compagnonophages et des révolutionnaires de s’entretuer dans la dialectique féroce de la pire forme de la sélection naturelle, l’assassinat. Personne ne jettera donc la pierre à l’Algérie de ne pas avoir fait l’exception qui dément la règle. Doublement imprégnés - par l’histoire de la révolution française, une machine à guillotiner dans une tragique toute robespierrienne, et la révolution bolchévique, aussi implacable que terriblement inventive dans la liquidation à une échelle industrielle de ses « ennemis » - les « révolutionnaires » algériens ne font ni dans l’approximation ni dans la dentelle lorsqu’il s’agit de régler les comptes à la concurrence.

Alors que la rumeur enfle, il n’est pas nécessaire de faire l’inventaire macabre de tous les assassinats politiques qui ont émaillé l’histoire de l’Algérie, du déclenchement de la révolution du 1er novembre à aujourd’hui, pour démontrer que le décès de causes autres que naturelles du général Gaïd Salah s’inscrit dans l’ordre du très possible. En excluant de l’épitaphe l’opposant Ali Meccili, assassiné à Paris en 1987, un bref retour sur les assassinats les plus symboliques ou les plus spectaculaires, parfois les deux comme c’est le cas dans l’exécution de Mohamed Boudiaf, suffirait.   

Les têtes d’affiche  

Juste après l’investiture du nouveau président algérien, Abdelmajid Tebboune, adoubé par le général de corps d’armée Ahmed Gaïd Salah, la contestation algérienne a brandi pour la première fois depuis dix mois les portraits de Abane Ramdane. Sans doute ce 27 décembre coïncidait, à un ou deux jours près, avec le 62ème anniversaire de l’assassinat d’un des plus emblématiques chefs historiques de la guerre de libération. Ce qui fait que cette célébration, rare dans ce pays où l’on fait peu de cas de la mémoire des exécutés du FLN, porte dans la conjoncture actuelle une forte charge historique.

Abane Ramdane fait figure d’inspirateur des résolutions du congrès de la Soummam en 1956 qui consacra la primauté de l’intérieur sur l’extérieur et du politique sur le militaire, deux décisions qui ne pouvaient que fortement déplaire au clan d’Oujda où sévissait celui qui deviendra le colonel Houari Boumediene avec toujours pas très loin un certain Abdelaziz Bouteflika, coulissard et intrigant, plus mauvais génie qu’éminence grise. Dans le contexte actuel, la commémoration de Abane Ramdane par la contestation est une magistrale réponse du berger à la bergère, une façon de rappeler au nouveau président que les véritables idéaux du 1er novembre dont il se gargarise ne sont pas portés par les généraux, mais par la rue qui réclame un retour aux fondamentaux de la révolution algérienne : la primauté du politique sur le militaire.          

Devenu gênant, Abane Ramadne fut attiré par un compagnon de lutte, Abdelhafid Boussouf, dans un guet-apens près de Nador, au Maroc, pour devenir la première et la plus symbolique victime de ses frères d’arme.  On lui avait fait accroire qu’il devait rencontrer, en compagnie d’une délégation du FLN le Roi Mohammed V. Dans une nuit obscure du 25, 26 ou 27 décembre 1956, le jour exact de son exécution étant incertain, il fut étranglé par des sbires de Boussouf en présence d’un autre historique du FLN, Krim Belkacem qui dira plus tard avoir été mis devant le fait accompli. A son tour, celui-ci sera étranglé en décembre 1970 par des éléments de la sécurité militaire à Frankfort en Allemagne, tout comme Mohamed Khider trois ans auparavant en Espagne. Un homme au profil émacié, un nom à retenir, présidait alors aux destinées de la redoutable Sécurité militaire : Kasdi Merbah.

L’ironie du sort

A l’instar de Abane Ramdane, Krim Belkacem, Mohamed Khider, sinon bien plus, Mohamed Boudiaf est un historique du FLN.  Dès 1962, il rentre dans l’opposition et consomme son divorce avec le régime qui se mettait en place. Très tôt, il va faire contre mauvaise fortune bon cœur et couler pendant 28 ans un serein exile au Maroc. Le personnage est si discret qu’une grande majorité de Marocains ne découvre l’existence du « reclus de Kenitra » que quand les généraux algériens, à l’époque menés par le général Khaled Nezzar, dont le plus haut fait d’arme et d’avoir échappé miraculeusement en 1993 à un terrible attentat, viennent le chercher pour l’investir, le 16 janvier 1992, de la mission de chef d’Etat aux fins d’habiller de sa légitimité leur coup d’Etat contre les urnes et Chadli Benjedid acculé au renoncement quelques jours auparavant. 

Sauf que Mohamed Boudiaf, au caractère trempé, n’entend pas se laisser manipuler et les généraux se rendent rapidement compte qu’il n’est pas la marionnette qu’ils espéraient. Six mois plus tard, le 29 juin de la même année, il est lâchement mitraillé dans le dos. Exécuté à bout portant par un des officiers en charge de sa sécurité dans un amphithéâtre de Annaba, à l’ouverture d’une conférence des cadres, et pour ne rien gâcher du spectacle, en direct à la télévision, histoire de bien montrer que les généraux ne reculent devant rien. C’est le début d’une guerre civile de 10 ans dont le « résiduel » persiste à ce jour dans les montagnes de la Kabylie, dans le sud de l’Algérie et au Sahel. 

Comme nombre de dirigeants algériens, Kasdi Merbah naquit au Maroc, en 1938, plus précisément à Fès, pour connaitre 55 ans plus tard le même sort qu’il a réservé à bien d’autres. Trop jeune pour être un historique, il se contentera pendant la guerre de libération de naviguer dans les eaux troubles de Abdelhafid Boussouf et Houari Boumediene qu’il servira implacablement à titre de chef de la Sécurité militaire de 1962 à 1979, Ahmed Benbella, curieux miraculé de la guerre des clans, déposé et emprisonné en 1965, n’étant qu’une parenthèse dans l’histoire de l’Algérie indépendante dont il a été le premier président.

 Après le décès suspect de Houari Boumediene en 1978, Kasdi Merbah vivote comme il peut d’un poste à l’autre, mais demeure redoutable tant les secrets qu’il détient semblent terrifiants, peut-être ceux relatifs à un probable empoisonnement de Boumediene. A l’abri des émeutes d’octobre 1988, il retrouve un rôle de premier plan en prenant la tête du gouvernement. Pas pour longtemps, onze petits mois et il s’en va. Il tâte à la politique en créant en 1990 un parti, MAJD. Ses disciples successeurs à la Sécurité militaire qui le soupçonnent de vouloir jouer sa propre partition gardent sur lui un regard méfiant. 

En août 1993, de retour de Suisse où il été en contact avec un des rares survivants des pères fondateurs du FLN, Hussein Aït Ahmed, ainsi qu’avec des islamistes du maquis, l’expert qu’il fut en liquidation physique des adversaires, bien qu’il se déplace entouré de garde-corps, sne se doute pas que l’embuscade nocturne dans laquelle il trouvera la mort sera à la hauteur de sa carrière de liquidator.  Dans la banlieue d’Alger, deux commandos postés des deux côtés de la route le soumettent à un tir croisé très nourri. Quatre autres personnes y laissent la vie dont son fils cadet. Son épouse affirmera qu’il négociait une sortie de crise avec la guérilla islamiste. Dans le dos des généraux qui n’ont pas beaucoup apprécié. Selon des témoins, il avait sur lui un porte-documents qu’on ne retrouvera jamais. L’Algérie qui avait sombré définitivement dans une guerre civile que seul le combat contre le colonialisme français surpasse, n’en gardera qu’un souvenir refoulé. 

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