La guerre des mots – Par Samir Belahsen

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Pour l’AFP ce ne sont plus des enfants tués, mais, depuis l’audition de son patron par le sénat français, « des jeunes de moins de 18 ans »

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Le visiteur … Par Samir Belahsen

“L’Histoire n’est qu’une histoire à dormir debout.”

Jules Renard

“L’histoire est écrite par les vainqueurs.”

Robert Brasillach

Le choix des mots en occident  

Le président Biden a été clair, il s’est proclamé Sioniste, tous ses choix de mots ne surprennent personne. De même pour son secrétaire d’État, Mr Blinken qui avait déclaré qu’il se rendait en « Israël » en tant que Juif. C’est l’apanage des puissants de se positionner sans rien craindre d’autres, du moins à court et moyen terme, que des manifestations de désaccord ou tout au plus, d’hostilité. Dans la guerre d’Israël contre les Palestiniens, Washington, obéi au doigt et à l’œil par les grandes capitales européennes, a désigné dès le début le camp de la victime en proclamant Israël dans ‘’son détroit de légitime défense’’. Tout en étant pleinement conscient que c’est feu vert au meurtre de masse et à l’épuration ethnique. Il aura fallu plus de 15.000 morts dont plus 6.000 enfants et 4.000 femmes, le déclenchement à Gaza de bien plus qu’une crise humanitaire, une crise de l’humanité, pour que les officiels américains et certains autres occidentaux se mettre à pousser même pas des cris d’orfraie, mais des gloussements de désapprobation. A Doubaï, à la COP28, la vice-présidente américaine, Kamala Harris, a crevé le mur de la litote. Après avoir exprimé, en substance, sa tristesse de ce que subissent les Palestiniens, elle a appelé Israël à ‘’davantage ‘’ de retenue dans ses raids. Davantage, qui est aussi synonyme de plus, laisse supposer que Tsahal dans son inhumanité se retenait déjà et on peine à imaginer ce qu’il serait advenu de Gaz s’il ne se retenait pas déjà. Peut-être le largage sur da la bombe nucléaire, suggéré par le ministre du (ça ne s’invente pas) Patrimoine, Amihai Eliyahu.    

Un conflit qui aurait commencé le 7 octobre

Mais le coup langagier voulu de maitre, est de faire comme si le conflit israélo-palestinien est tombé du ciel le 7 octobre et ce que n’a pas pris sur la tête le pauvre Antonio Guterres, secrétaire général de l’ONU lorsque il a déclaré que l’attaque de Hamas n’est survenu de nulle part et n’est pas sans antécédent. Dans ce jeu, la palme revient en Europe à l’Agence France Presse (AFP) qui dans chaque dépêche rappelle, comme une ritournelle, que les bombardements israéliens sont en ‘’représailles aux attaques meurtrières du Hamas le 7 octobre, qui ont fait 1400 tués (plus revus à la baisse pour atteindre 1200) en majorité des civils et des enfants »etc.  

Pour autant, l’AFP ne va pas échapper au courroux d’Israël et ses inconditionnels. En cause le choix des mots. Elle parle de militants pour les combattants de Hamas, et sa couverture et plus ou moins équilibrée même si, vue par un observateur depuis Casablanca, elle marque un net penchant pour Tel-Aviv. Ce qui est déjà heureux, puisqu’on ne peut demander à la plus belle femme, dans le contexte de l’agence française, de donner plus qu’elle n’a. 

Sur ce, le pauvre Fabrice Fries, PDG de l’AFP, et Phil Chetwynd, son directeur de l’information sont convoqué par la commission de la culture du Sénat pour s’expliquer sur la manière de couvrir le conflit et de choisir leurs mots. Sur l’audition de la commission règne un air de malaise que la gêne visible du patron de l’AFP n’est pas faite pour dissiper. Il condamne, passage obligé, les attaques du 7 octobre et explique la ligne éditoriale de son agence qui dicte qu’on n’utilise pas le qualificatif terroriste, même pas pour Daech. Il précise que pour le sud global le Hamas n’est pas reconnu comme terroriste. Répondant aux accusations de partialité dans la couverture du conflit, Fabrice Fries, a rappelé la ligne qui guide les journalistes sur le terrain : « Témoigner en s’affranchissant de tout biais.» Ouf, on respire.  

Le lendemain ou le jour même, l’AFP modifie quelque peu, tout de même, sa terminologie, par glissement sémantique, s’exécutant sans perdre entièrement la face. Les militants de Hamas, deviennent des commandos. C’est plus militaire et offre l’avantage de les mettre sur un pied d’égalité avec la soldatesque de Tsahal. Elle ne parle plus, non plus, d’enfants palestiniens tués, mais de ‘’jeunes de moins de 18 ans’’, c’est différent, tandis que les tuées femmes disparaissent du décompte pour se noyer dans le total des assassinés. Plus pudique, le journal Le Monde, qualifie lui, les enfants en parlant de mineurs, c’est plus vague et évocateur des mineurs indociles des cités qui perturbent la quiétude des Français.  

Rétrécissement du champ pour mieux réduire à néant 

On s’en consolera. Dans tous les conflits, une bataille gigantesque sous-tend les affrontements. C’est la guerre des mots. Une guerre sans merci, sans retenue, sans répit, sans complexes. Toute la stratégie consiste, comme dans un spectacle, à mettre le public de son coté, délégitimer l’ennemi, le diaboliser, l’animaliser, le rendre tuable à volonté. Un combat sournois, de mots, de glissements sémantiques, de manipulation des idées et des esprits, où l’agresseur se présente dans la peau du loup sous les traits de chaperon rouge, à une opinion publique qui souvent, comme l’occidentale, ne demande qu’à se laisser convaincre pour ne pas quitter ses zones de confort.

La guerre des mots commence, le plus souvent, bien avant le début des hostilités réelles. Elle est parfois longue, continue, perpétuelle…

Chaque camp cherche à façonner l'opinion publique en utilisant des termes spécifiques pour présenter sa cause comme juste et légitime. Des slogans et des narratifs sont créés pour soutenir une vision particulière de la situation, en insistant sur les injustices subies et les revendications territoriales. Les médias, les réseaux sociaux et les discours officiels sont massivement déployés pour diffuser ces messages et influencer l'opinion publique en faveur d'un camp ou de l'autre. L’histoire retiendra les narratifs des vainqueurs, sachant que depuis la nuit des temps, c’est eux qui l’écrivent.

Ce conflit qui dure depuis 1948, présente un bon exemple de guerre des mots. Il mériterait une étude approfondie vu l’évolution des lexiques des uns et des autres. Certains États arabes qui parlaient de bandes criminelles, puis d’ennemi sioniste, d’entité occupante, ont glissé petit à petit vers l’appellation « Israël ». Pour certains, le conflit qui était il y a quelques années arabo-israélien est même devenu un conflit « Israélo-palestinien » et dernièrement le conflit « Israël-Hamas ». Comme si par ce rétrécissement du champ de la confrontation, on cherchait à réduire à néant les Palestiniens jusqu’à ce qu’il n’en reste plus. Plus tard, mais seulement plus tard on parlera de génocide. Les fedaiyyins, eux, sont devenus des combattants, des militants, des commandos, et même des terroristes pour quelques-uns et pour d’autres, ce sont des Djihadistes. A éliminer. 

La guerre des mots est ainsi, un moyen de façonner la perception de l'histoire et de la mémoire collective. Chaque camp revendique ses propres récits et versions des événements passés pour légitimer ses actions présentes. 

L'interprétation sélective de l'histoire est utilisée pour justifier les revendications territoriales, les réponses militaires et les politiques de chaque camp. Les lieux saints, les symboles culturels et religieux, les mythes, sont souvent utilisés comme des outils de propagande pour renforcer les identités, les haines et les revendications territoriales.

La guerre des mots a de profonds effets sur les populations touchées par le conflit. Elle crée des divisions entre les différents groupes, renforce les stéréotypes et rend la réconciliation difficile. 

Les discours de haine et de méfiance perdurent même après la fin des combats, entravant les efforts de paix et de réconciliation. A Gaza, c’est que ce que cherche Netanyahu et ses avatars de l’extrême-droite israélienne.

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