chroniques
LA GUERRE, POURQUOI FAIRE ? – Par Gabriel Banon
Photo prise à la frontière israélienne avec la bande de Gaza le 29 octobre 2023 montre un nuage noir de fumée s'élevant de la bande de Gaza dans le cadre des batailles en cours entre Israël et le groupe palestinien Hamas. L'armée israélienne a augmenté le nombre de ses troupes combattant à l'intérieur de la bande de Gaza, a déclaré un porte-parole le 29 octobre 2023. Des milliers de civils, Palestiniens sont morts depuis le 7 octobre 2023, depuis l’attaque de Hamas (Photo par FADEL SENNA / AFP)
Le monde ne cesse de guerroyer. En Europe la guerre d’Ukraine entre dans sa deuxième année et voilà que maintenant le Moyen-Orient s’enflamme.
Beaucoup d’écrivains et de penseurs se sont penchés sur la question : qu’elles sont les causes qui amènent l’affrontement armé ? Peut-on aisément distinguer les « causes profondes de la guerre ». Une telle tentative relève de la biologie, de l’anthropologie, de la psychologie, de la sociologie et de la démographie. Il y a aussi l’analyse politique traditionnelle de la guerre, qui met en avant les « circonstances favorisant la guerre.
Depuis la nuit des temps, l’immense majorité des sociétés humaines à travers l’histoire a connu la guerre, au point que l’idée d’un phénomène ancré dans la « nature humaine » s’est imposée.
L’agression collective semble avoir été avantageuse du point de vue de l’évolution, car l’homme est le seul primate capable d’exterminer froidement ses semblables. Tel est le thème développé par l’éthologue Konrad Lorenz (1903-1989) et le préhistorien André Leroi-Gourhan (1911-1986) et, plus récemment, par les tenants de l’approche sociobiologiste comme Edward Wilson, pour ne citer que lui. Elle prend le contre-pied direct de l’approche « rousseauiste », selon laquelle l’Homme est fondamentalement bon et pacifique.
On observe une forte corrélation entre l’existence de certaines structures démographiques et la propension au conflit armé.
La paix peut-elle ou doit-elle passer par la guerre ?
C’est une évidence : la paix est plus souhaitable que la guerre, tout le monde est absolument d’accord là-dessus, mais chacun a sa forme de paix. Du coup, si la paix est une situation préférable à la guerre pour tous, on peut se demander pourquoi l’histoire des humains est remplie de tant de guerres.
Un historien du 19e siècle avait calculé que, dans l’Histoire, les temps de véritable paix ne représentaient pas plus de 9%.
Pourquoi autant de guerres ?
C’est une première bizarrerie, observe Matthieu Peltier. Dans la majorité des cas, la paix est le but affiché par ceux qui déclenchent les guerres. Ainsi, Hitler promettait à l’Europe une paix de mille ans après sa victoire. Dans son discours devant le Reichstag en 1939, il prononce plus de 12 fois le mot '’paix'’.
Dans leur ensemble, les guerres se proposent toujours d’être une manière de rétablir un équilibre permettant une paix plus juste que celle qui précède la guerre. Aristote disait ainsi que c’est pour vivre en paix que nous faisons la guerre.
Ceci ressemble évidemment beaucoup à une contradiction – faire la guerre pour avoir la paix -, mais il convient de se demander si cette apparente contradiction ne vient pas du double sens du mot '’paix'’.
De quelle paix parle-t-on ?
On peut distinguer deux visions très différentes de la paix :
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La première consiste à considérer la paix simplement comme l’absence de guerre. C’est la définition négative de la paix : nous sommes en paix quand nous ne sommes pas en guerre. Dans ce cas, être en paix nécessite de ne pas prendre les armes. Et dans cette perspective, la reddition immédiate d’un des deux camps amène directement la paix, puisqu’elle met fin à la guerre.
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On peut aussi penser la paix positivement, comme un contenu en soi. Ainsi pour Johan Galtung, politologue norvégien fondateur de l’irénologie, science de la paix, "la paix positive est un état où figure la coopération, une vie à l’abri de la peur, du besoin, de l’exploitation, la croissance et le développement économique, l’égalité et la justice, le pluralisme et le dynamisme, et où la violence est moindre, mais pas absente."
Spinoza dira tout simplement que la paix est un ordre, mais un ordre juste.
C’est ici qu’intervient l’idée de guerre juste, celle qui va permettre d’instaurer ce qui sera un véritable état de paix.
Ainsi, dans cette conception positive de la paix, une dictature comme celle de la Corée du Nord, où les gens ne disposent d’aucune liberté, n’est pas vraiment une situation de paix, explique Matthieu Peltier. C’est ce que l’on pourrait appeler une période de calme. En
1918 Richard Grelling, juif allemand opposé à la guerre que menait son pays contre le reste de l’Europe disait : "Lorsque tous les autres moyens ont échoué, la libération du monde de la dominance militaire ne peut se faire, dans des cas extrêmes, qu’en combattant."
A la place de si vis pacem, para bellum (si tu veux la paix, prépare la guerre), un autre principe semblable peut devenir nécessaire : si vis pacem, face bellum (si tu veux la paix, fais la guerre).
Dans ce cas, il juge que laisser gagner l’assaillant pour mettre un terme à la guerre ne procurera pas la paix, dès lors que la liberté, la démocratie ou l’égalité auront tout simplement disparu.
En conclusion, on peut probablement dire que la guerre n’est pas souhaitable mais qu’elle fait partie intégrante de l’histoire de l’humanité. Sans la force, il est fort probable que n’importe quel peuple se fera un jour écraser.
Le philosophe Pascal disait que dans l’idéal, il faut mettre ensemble la justice et la force. Et pour cela, faire en sorte que ce qui est juste soit fort, et que ce qui est fort soit juste. Souhaitons-le pour ce Moyen-Orient aujourd’hui à feu et à sang.