La débâcle des voisins socialistes, quelles conséquences ? – Par Dr Samir Belahsen

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Le Premier ministre espagnol, Pedro Sanchez, hôte du Roi Mohammed VI dans sa résidence royale des Sablons, le 7 avril 2022. Sur la photo, à la gauche du Souverain, le Prince héritier Moulay El Hassan et le Prince royal Moulay Rachid

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Le visiteur … Par Samir Belahsen

« Il parait que le soutien actif de nos socialistes de l’USFP ne leur a pas porté bonheur » m’explique un ami. 

Plus sérieusement, essayons de comprendre !

L'Espagne a connu une évolution significative de son champ politique partisan au cours des dernières décennies. De profonds changements socio-économiques, des crises politiques et des facteurs régionaux ont contribué au façonnage du paysage politique espagnol. 

Rappelons donc les principaux événements et tendances qui ont façonné l'évolution du champ politique partisan en Espagne.

La Transition démocratique :

Après la fin du régime dictatorial de Francisco Franco en 1975, l'Espagne a entrepris une transition démocratique vers un système politique pluraliste. C’est là que vont émerger des partis politiques qui ont joué un rôle crucial dans la construction d'une démocratie solide. Les deux principaux partis politiques qui ont émergé pendant cette période étaient le Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) et le Parti populaire (PP).
Ces deux partis ont donné à l'Espagne un système politique bipartite, dominé par le PSOE et le PP. 

Le PSOE, vieux alors de près d'un siècle, s'est converti alors à la social-démocratie et à l'Atlantisme, et a remporté plusieurs élections, gouvernant le pays à plusieurs reprises. Il a pu aisément s'affranchir du poids du passé qui l'a contraint à la clandestinité sous Franco et l'a soumis à sa féroce répression.

Le PP, un parti de centre-droit, est également devenu un acteur politique majeur, formant des gouvernements et contribuant à une certaine stabilité politique du pays. Ce parti, même s'il n'a été fondé qu'en 1989, il est quelque part le prolongement du le Mouvement national, parti unique dirigé par Franco, plusieurs franquistes y trouveront leur compte. 

Montée des mouvements régionalistes :

L’Espagne a également été confrontée à des revendications régionales croissantes, principalement en Catalogne et au Pays basque. Ces régions ont vu émerger des partis politiques régionaux, tels que Convergence et Union (CiU) en Catalogne et le Parti national basque (PNV) au Pays basque. Ces mouvements régionalistes ont cherché à obtenir une plus grande autonomie et ont influencé la dynamique politique nationale.

Fragmentation et polarisation :

La crise économique mondiale de 2008 a eu un impact profond sur l'Espagne, entraînant une montée du chômage, une austérité budgétaire et une détérioration des conditions de vie pour de nombreux Espagnols. Cette crise a miné la confiance dans les partis traditionnels et a donné lieu à une instabilité politique. De nouveaux partis politiques, tels que Podemos (gauche) et Ciudadanos (centre-droit), ont émergé en tant qu'alternatives aux partis établis, remettant en question le bipartisme dominant.

L'émergence de Podemos et de Ciudadanos, ainsi que d'autres forces politiques régionales, a conduit à une diversification du paysage partisan. Cette fragmentation a rendu difficile pour un parti politique d'obtenir une majorité parlementaire absolue, conduisant à des gouvernements minoritaires et à des coalitions.

Si l’on compare le champ politique espagnol à ses voisins du nord, on doit remarquer son extrême polarisation, il n’existe pas de véritable tradition de centre.

Le parti socialiste dirige depuis Novembre 2019 une coalition fragile avec la gauche radicale et des partis régionaux.

La débâcle de la gauche :

C’était un dimanche bleu. La défaite du Parti socialiste et de ses alliés à gauche est une vraie débâcle. (31,5 % des suffrages contre 28,1 %).

Au niveau des régions on s’attend au basculement de six des douze régions qui étaient en jeu, dont Valence, l'Aragon et les Baléares. C’est le même schéma pour les villes, le PP est en train de négocier les alliances avec Vox (extrême droite banalisée) pour former les majorités. Ciudadanos qui a connu une débâcle historique a décidé de ne pas être de la partie et zappe cette fois-ci les législatives.

 Au lendemain de sa sèche défaite, à six ou sept mois de la fin de son mandat, Pedro Sanchez a opté, lui, pour la dissolution.

« J'ai pris cette décision au regard des résultats, les élections soient municipales et régionales, elles transmettent un message qui va au-delà. Je l'assume à la première personne. »».

Il a expliqué cette débâcle notamment par la crise du Covid et la guerre en Ukraine.

Les élections législatives auront lieu le dimanche 23 juillet. Sanchez arrivera-t-il à mobiliser le peuple de gauche par la peur de Vox ? Ce serait presqu’un miracle mais c’est là son pari de carrière.

Le Maroc et la droite espagnole 

Les résultats de ces élections intéressent le Maroc dans ce sens où les relations entre les deux pays ont connu une nette amélioration depuis que sous l’impulsion du Premier ministre socialiste Pedro Sanchez, Madrid à évolué l’égard de la question du Sahara vers une position, minimale à mon sens, de soutien clair à l’initiative marocain e d’autonomie qui n’est pas pour Rabat un plancher mais un plafond. 

Cette embellie entre les deux royaumes serait selon plusieurs observateurs menacée. Les déclarations des leaders de l’opposition actuelle le laisseraient penser.

Je ne le pense pas pour deux raisons.

La première est d’ordre économique, une fois au pouvoir on mesure mieux les intérêts en jeu. L’embellie a ouvert le champ à un business déjà important en termes d’échanges commerciaux et d’investissements. L’Espagne caracole dans le classement de la coopération du Royaume et le Maroc compte plus de mille entreprises espagnoles.

La deuxième est d’ordre stratégique. Elle implique des dimensions humaine, politique, territoriale, et sécuritaire. Ce sont ces dimensions qui ont amené, en janvier 2022, lors de la traditionnelle réception annuelle du corps diplomatique, le Roi Philippe VI d’Espagne à évoquer le partenariat stratégique avec Rabat. Il avait exhorté le Maroc à « commencer à matérialiser maintenant » une nouvelle relation avec l’Espagne, « sur des piliers plus forts et plus solides ». C’est lui qui avait également annoncé à cette occasion que les gouvernements des deux pays « ont convenu de redéfinir conjointement une relation pour le XXIe siècle », avec l’objectif, a-t-il dit, de « trouver des solutions aux problèmes qui préoccupent nos peuples », et a appelé les deux pays à « marcher ensemble » pour lancer leurs nouvelles relations bilatérales. Il entendait par là que les engagements pour l’avenir seront des engagements d’Etats et non pas une position de gouvernements soumis aux caprices des élections.

Cette sortie inédite du souverain espagnol intervenait suite à la crise aigüe entre les deux royaumes provoquée par l’hospitalisation dans le secret du chef des milices du Polisario. Auparavant, en 2021, le Roi Mohammed VI avait indiqué la voie en déclarant qu’il prenait en charge personnellement et directement le dossier des relations maroco-espgnoles, une démarche couronnée par l’Iftar historique de Ramadan, 7 avril 2022, qui a vu le Premier ministre hôte du souverain dans sa résidence royale des Sablons.  

Une déclaration commune a sanctionné cet entretien-Iftar. Dans son préambule, elle affirme que le Maroc et l’Espagne, conscients de l’ampleur et de l’importance stratégique des liens qui les unissent et des aspirations légitimes des deux peuples à la paix, à la sécurité et à la prospérité, entament aujourd’hui la construction d’une nouvelle étape dans leur relation bilatérale. Basée sur les principes de transparence, de dialogue permanent, de respect mutuel, de respect et de mise en œuvre des engagements et des accords signés par les deux parties, cette nouvelle étape répond à l’appel de Sa Majesté le Roi Mohammed VI, à « inaugurer une étape inédite dans les relations entre les deux pays », et de Sa Majesté le Roi Felipe VI à « marcher ensemble pour matérialiser cette nouvelle relation ». 

Ce n’est pas un secret, des parties en Espagne sont toujours aux aguets et travaillent à la déstabilisation de ces rapports. Mais toute remise en cause, fut-ce d’un iota, de cette orientation et de ces engagements compromettrait pour très longtemps la crédibilité de l’Espagne et les relations entre les deux pays et réduirait à néant toutes les dimensions de la coopération avec le Royaume chérifien. 

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