Fnideq, une colère royale et gouvernance urbaine

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De cette région longtemps délaissée, qui faisait honte aux Marocains revenant d’Espagne, Mohammed VI en a fait une zone que les Espagnols ont commencé à nous envier. Mais voilà, la corruption a cette particularité qui lui est malpropre de tout corrompre, quel que soit le sens que l’on donne au terme.

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Colère ! Colère royale à Fnideq, à la fin de la semaine dernière. Le Souverain a pu voir in situ les infractions et les violations de la réglementation de l'urbanisme. En cause, un projet immobilier d'un promoteur Elite Sakane pour non respect de la hauteur des immeubles, émiettement sur la voie publique ainsi que sur le littoral. Une enquête a été diligentée par l'inspection générale du ministère de l'Intérieur, dès lundi 10 août courant. Elle a convoqué et entendu deux walis - Mohamed Mhidia de la région Tanger-Tétouan -Al Hoceima et son prédécesseur, Mohamed Yacoubi, aujourd'hui wali de Rabat- Salé -Kénitra - ainsi que le gouverneur de la province Mdiq- Fnidek, Yassine Jari, ainsi que des responsables locaux. 

Cette mission poursuit aujourd'hui ses auditions et ses investigations. En attendant, nul doute que les constructions incriminées seront détruites comme celles qui avaient été réalisées en 2015, dans la même ville, par suite des violations de la réglementation dans des conditions pratiquement de même nature. 

Pareille situation ne peut que pousser à formuler bien des interrogations de principe. La première est celle-ci : la violation caractérisée des textes régissant l'urbanisme est-elle une fatalité, une sorte de composante "structurelle" pourrait-on dire, de l'aménagement ? L'historique est en effet accablant : à Casablanca en différentes circonstances dont la dernière en février 2020, à Taghazout voici quelques mois, à Salé avec le tronçon du tramway, sans parler d'autres villes. Un fait donc global, centré évidemment surtout dans les zones urbaines. La deuxième observation regarde ce que l'on pourrait appeler le "pourquoi et le comment» ? Par quels processus, arrive-t-on à initier puis à "fabriquer de telles violations de la réglementation en vigueur ? Il y a bien là, en termes de traçabilité, des cellules souche qui se développent et prospèrent, pour reprendre une terminologie épidémiologique tellement surmédiatisée ces temps-ci ... 

Une première réponse est donnée par l'identification des intervenants. 

Au premier rang, les agences urbaines, puis les autorités étatiques et les collectivités locales d'un côté ; de l'autre, des personnes physiques ou morales avec une mention particulière pour les promoteurs immobiliers. C'est l’équation des deux parties, leur entente voire leur collusion qui est alors finalisée pour mener à bien le projet. Tout cela se fonde sur une base "légale", en l'occurrence l'octroi d'une dérogation. Par rapport à quoi ? A un schéma général d'aménagement et d'urbanisme défini au plan national avec ses déclinaisons régionales et locales. En l’espèce, ce sont les agences urbaines qui valident et accordent les dérogations. Le "cluster" est là, à ce niveau ! Celles-ci sont au nombre de 30, 29 sous la tutelle du ministère de l'habitat et de l'aménagement du territoire, seule celle de Casablanca, depuis sa création en 1981, relevant du ministère de l'Intérieur. Aux termes du dahir 10 septembre 1993, les agences urbaines ont des missions précises : études des schémas directeurs, de leur exécution et de leur orientation ; avis conforme sur les projets ; contrôle de conformité; enfin l'assistance technique. 

Si ce système perdure encore, il faudra s'attendre à d'autres violations de la réglementation. Et les seules corrections qui y seront apportées avec les sanctions appropriées ne viendront que de la vigilance royale avec ses "colères". Pour autant, cela suffira-t-il ? L'on ne peut en effet attendre du Souverain d'être constamment sur la brèche à cet égard, en veille permanente, sillonnant le Royaume pour identifier les infractions à la réglementation sur l'urbanisme : il a déjà tant à faire par ailleurs!... 

C'est dire que c'est le système de contrôle qui reste défaillant. Et cela met en cause le gouvernement, les départements les plus concernés (habitat et intérieur) ainsi que les collectivités locales. Plus encore, n'est-ce pas le peu d'intérêt accordé aux politiques publiques d'aménagement urbain et territorial qui est en cause ? Du laisser-aller et du laisser-faire ont prévalu depuis des lustres ; des réseaux d'intérêt ont réussi à supplanter et à contourner, notamment par la voie des dérogations, la politique affichée du gouvernement ; un système hydrique a fait ainsi sa place, sans autre forme de procès, couplant une partie observant strictement la réglementation et une autre évoluant en dehors de ce périmètre, pratiquement ouvert par les dérogations. 

Si bien que seule une nouvelle et forte impulsion royale est de nature à "normaliser" le secteur de l'aménagement urbain. De nouvelles colères du Souverain ? Elles sont les bienvenues, évidemment ; mais ne doivent-elles pas se prolonger par une profonde réforme du système actuel mettant fin à une politique heurtée, hoqueteuse ? Un chantier qui sa place dans les priorités d'avenir et la réflexion actuelle sur un nouveau modèle de développement.