Du théâtre et de la fréquentation des maîtres Par Ahmed Massaia

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Asmae Houri, talentueuse metteuse en scène, et Rachid Bromi, son partenaire de création et de vie, connu pour ses ingénieuses compositions musicales au théâtre, au montage d’un spectacle, Anastasia/Résurrection, dirigé par Eugénio Barba (au centre) en Hongrie entre le 7 et le 27 mai.

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Il y a des évènements culturels qui ne doivent pas passer inaperçus. Tout simplement parce qu’ils participent avant tout au développement de notre art dont la présence dans les plus grands rendez-vous culturels de par le monde fait cruellement défaut. (Ne me parlez pas du cinéma, c’est une autre affaire. Le nôtre est déjà sur le toit du monde avec la participation de quelques-uns de nos films au prestigieux festival de Cannes et de l’une de nos brillantes metteuses en scène, Meryem Touzani, comme membre du jury de ce même Festival. C’est déjà ça). 

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Vue du montage du spectacle - Pour les deux artistes marocains, dynamiques et imaginatifs, c’est une belle opportunité de pouvoir fréquenter un géant du théâtre mondial et des sensibilités culturelles et artistiques aussi diversifiées

L’évènement dont il est question concerne la participation active de deux de nos talentueux artistes de théâtre au montage d’un spectacle, Anastasia/Résurrection, dirigé par Eugénio Barba en Hongrie entre le 7 et le 27 mai. Le spectacle  auquel participent plusieurs artistes venus du monde entier, dont nos deux artistes, Asmaa Houri et Rachid Bromi du Théâtre Anfass, sera présenté au Théâtre National de Budapest au terme de cette concentration. 

Asmae Houri est une metteuse en scène, ayant déjà prouvé à plusieurs reprises son immense talent et Rachid Bromi, son partenaire de création et de vie, est connu pour ses ingénieuses compositions musicales au théâtre. Pour ces deux artistes dynamiques et imaginatifs, c’est une belle opportunité de pouvoir fréquenter un géant du théâtre mondial et des sensibilités culturelles et artistiques aussi diversifiées. Eugénio Barba, le père de l’anthropologie théâtrale, directeur de l’Odin Teatret et de l’ISTA (International School of Theatr Anthropology), disciple du grand Grotowski n’est pas à sa première expérience multiculturelle. Comme son maître dont il est pendant trois ans l'assistant au Théâtre-Laboratoire d'Opole en Pologne entre 1961et 1964, dont il relate l’expérience dans son important ouvrage « La terre de cendres et diamants », il ne cesse de répandre et de partager ses expérimentations autour du travail sur le corps et sur la voix. L’histoire du théâtre mondial est riche de témoignages sur la transmission et l’apprentissage, déterminants autant pour la carrière du disciple que pour les approches, les théories et les méthodes en théâtre.  La fréquentation d’un maître a de tout temps déterminé la carrière et l’esthétique d’un artiste même quand le disciple dépasse le maître et le complète.

Cette expérience autour d’un maître comme Eugenio Barba est un évènement parce que la participation de nos femmes et hommes de théâtre auprès des grands ne pourrait que bénéficier par ricochet à notre théâtre. Viendra le jour où nos deux artistes se rappelleront de cette expérience unique avec l’auteur de « L’énergie qui danse », un ouvrage de référence pour tout chercheur ou praticien de théâtre. Et croyez-moi, Eugénio Barba ne laisse pas indifférent. Eugénio Barba vous estampille à jamais. 

J’ai eu l’occasion et l’honneur d’être son répondant lors du grand colloque intitulé « Enseigner le théâtre », au Théâtre de La Colline à Paris en 1995, organisé par mon amie Josette Féral de l’Université du Québec à Montréal (UQAM), un colloque auquel avaient participé les plus grands metteurs en scène du monde (Ostermeier d’Allemagne, Anne Bogart de New York, Robert Cantarella, Jacques Lassalle, Daniel Mesguish, Marcel Bozonnet, de France, etc, parce que la liste est très longue). Mais, au milieu de toute cette armada de femmes et d’hommes de théâtre aussi intéressants les uns que les autres, il n’y avait d’yeux que pour cet homme au blouson de cuir marron élimé dont la réputation a conquis le monde. L’homme est immense, génial, déroutant mais humble comme le sont les génies. Comme l’était Peter Brook. Comme l’était Jacques Lecoq. Comme l’est Ariane Mnouchkine. Comme l’est Were Were Liking ou Pina Bausch. 

Pour un théâtre en devenir comme le nôtre, l’évènement d’aujourd’hui, comme peuvent l’être d’autres opportunités similaires, est susceptible de montrer la voie à l’élargissement de nos expressions et de nos méthodes en matière de théâtre. La multiplication des rencontres et des ateliers  dans le cadre de la formation des formateurs permet de sortir de l’ornière du nombrilisme et de la complaisance béate. Eugenio Barba a réuni autour de lui des artistes venus des quatre coins du monde dont chacun profitera des expériences des autres et enrichira à coup sûr sa propre sensibilité et ses moyens expressifs. Tout est possible pour peu qu’on s’arme de patience, d’abnégation et de labeur surtout. Se nourrir d’un bout de ciel limite notre vision du monde. Asmae Houri et Rachid Bromi, comme bon nombre de nos artistes qui peinent à offrir au public, avec les maigres moyens dont ils disposent, des images et des expressions en sont conscients pourvu qu’on veuille bien l’entendre du côté de la rue Ghandi. Le théâtre, comme toute forme d’art, a besoin d’échanges et d’expérimentations, d’ouverture sur l’autre, proche et lointain, le différend. En attendant, il faut sourire au lendemain, même s’il paraît sombre et incertain, car, comme le dit notre jeune artiste Asmae Houri, « le partage d’un sourire suffit. Le théâtre fait le reste ». Sourire à l’inconnu, n’est-ce pas s’ouvrir à des univers inédits et enrichissants ?