Les mots et les valeurs – Par Dr Samir Belahsen

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Nora Sub Laban, soutenue par son fils Ahmad, l’index vers le ciel, adresse sa complainte au Tout Puissant, suite de l'expulsion de sa famille de sa maison dans le quartier musulman de la vieille ville d’Al Qods pour faire place à des colons juifs, le 11 juillet 2023. 150 familles palestiniennes de la vieille ville sainte et des quartiers voisins sont actuellement menacées d'expulsion, un dégât collatéral quasi quotidien auquel le monde s’est accoutumé depuis 1948. (Photo par AHMAD GHARABLI / AFP

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Les mots et les appellations utilisés peuvent jouer un rôle crucial dans la manière dont les événements sont perçus et compris par les différentes parties et par le reste du monde.  Dans un conflit entre deux nations, les mots peuvent être utilisés comme des outils de manipulation ou de propagande pour influencer l'opinion publique en faveur d'un camp ou d'un autre.

Les termes tels que "résistants" et "terroristes" illustrent bien cette réalité. Les deux termes se réfèrent à des groupes qui s'opposent à un régime ou à une occupation, mais l'utilisation de l'un ou l'autre dépend souvent de la perspective de celui qui les emploie. Les médias, qui jouent un rôle clé dans la diffusion de l'information, peuvent également choisir de privilégier un terme plutôt qu'un autre en fonction de leurs affiliations ou de leurs intérêts politiques.

De même, l'expression "dégâts collatéraux" est souvent utilisée pour décrire les victimes civiles dans un conflit. Cela peut donner l'impression qu'il s'agit d'incidents regrettables mais inévitables, minimisant ainsi la responsabilité ou l'intention derrière ces pertes tragiques.

La "guerre des mots" est un enjeu important, car elle peut influencer profondément la perception du public, les actions politiques et les décisions prises dans le cadre du conflit. Il est essentiel d'adopter une approche critique dans la réception de l'information et de chercher à comprendre les différents points de vue et les motivations derrière les termes utilisés.
Voyons quelques exemples historiques où les mots et les appellations ont joué un rôle significatif dans des conflits ou des événements :
Pendant la seconde Guerre mondiale, les forces alliées ont qualifié les bombardements stratégiques allemands sur des villes civiles de "terreur aérienne", tandis que les Allemands les désignaient comme des attaques "précises" contre des cibles militaires.

Pendant la colonisation du Maroc, un nationaliste résistant était qualifié de terroriste par les médias français. Au Maroc, la "guerre de pacification", une guerre de 40 ans, menée durant la période de conquête coloniale et de répression militaire par la France au Maroc entre 1907 et 1934, en dépit de son atrocité, n’a jamais livré le nombre de ses victimes. Mais pour avoir un ordre de grandeur et un repère de comparaison, les morts de la guerre du Rif qui n’a duré que 5 ans (1921 -1925), sont estimé entre 90 000 et 100 000.

En Algérie aussi, on parlait par euphémisme d’opérations de pacification… pour évoquer des opérations barbares contre des civil.

Durant la guerre froide chargée de tensions entre les États-Unis et l'Union soviétique, les deux camps utilisaient des termes spécifiques pour décrire l'autre. Les États-Unis employaient souvent le terme "empire du mal" pour désigner l'Union soviétique, tandis que cette dernière utilisait des expressions comme "impérialistes" pour décrire les Américains.

Pendant la guerre du Vietnam, les États-Unis utilisaient le terme "opérations de pacification" pour décrire leurs actions militaires, tandis que les Vietnamiens les considéraient comme "agressions impérialistes".

Dans le contexte complexe du conflit Arabo-sioniste, les deux parties utilisent des mots différents pour décrire les mêmes événements. Les pro-palestiniens se réfèrent souvent à leur ennemi comme des "occupants" ou des "colons". Ceux-ci utilisent des termes comme "terroristes" ou "menace existentielle" pour parler des Palestiniens.

Dans le monde arabe, je crois, parmi les concessions majeures faites à l’ennemi, il y a celle des appellations. L’implantation ex nihilo et deux ex machina d’un Etat israélien en Palestine n’est plus appelé le plupart du temps l’entité sioniste, mais Israël, l’Etat d’Israël et à la limite l’Etat hébreu cependant que du coté de Tel-Aviv aucune concession n’a été faite à la solution onusienne de deux Etats, tant s’en faut.  

La majorité de nos médias et de nos responsables utilisent la terminologie occidentale pro-sioniste. Je me rappelle d’un temps (que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre) ou cela choquait.

Cette bataille de la terminologie, il faut bien l’avouer, les pro-palestiniens 

l’ont quasiment perdue dans tout le monde arabe.

Ces exemples illustrent comment les mots et les appellations peuvent être utilisés pour influencer la perception des événements, justifier certaines actions, inaction, trahisons ou pour discréditer l'adversaire. 

Adopter la terminologie de l'adversaire peut certainement être perçu comme une concession, car cela peut impliquer une acceptation tacite de la façon dont l'adversaire définit les choses. Cependant, la question de savoir s'il est approprié ou non d'utiliser la terminologie de l'adversaire dépend du contexte spécifique et des objectifs recherchés.

Dans certains cas, l'utilisation de la terminologie de l'adversaire peut être nécessaire pour établir un dialogue constructif et trouver un terrain d'entente. En montrant une volonté de compréhension mutuelle, cela peut contribuer à réduire les tensions et à favoriser des négociations plus fructueuses.

Cependant, il est également important de prendre en compte les implications et les conséquences de l'utilisation de cette terminologie. Adopter les termes de l'adversaire peut parfois avoir un effet de légitimation ou de normalisation de leurs actions, ce qui peut être problématique si ces actions sont considérées comme illégitimes ou moralement condamnables.

Il est essentiel de rechercher un équilibre entre la volonté de dialogue et de compréhension, tout en restant fidèle à ses propres valeurs et en évitant de donner une légitimité indue à des actions ou des positions contraires à ces valeurs.

Il reste qu’en choisissant ses mots on choisit son camp.

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