Pandémie
Questions autour de la mobilisation mondiale face au Covid-19 (Par Aziz Hasbi)
Troublant de constater la similarité des mesures adoptées et la rapidité avec laquelle les pouvoirs publics à travers le monde les ont endossées ?
Coronasceptiques, négationnistes, conspirationnistes, ont fait entendre leurs voix discordantes depuis l’émergence de la pandémie du Covid-19 et tout au long de son développement. Leurs thèses ont le plus souvent troublé les esprits des populations et conquis ceux des crédules. Ces théories, aussi diversifiées que le sont leurs auteurs, sont parvenues à parasiter la communication relative à la maladie, d’autant plus que celle-ci a donné l’impression d’une absence de maîtrise des données relatives au virus en question, qui reste d’ailleurs entouré de grandes zones d’ombre.
Peut-on cependant balayer d’un revers de la main tous les postulats qui sont derrière l’ensemble de ces affirmations ? Les propagateurs de ces dires ne sont pas toujours des personnes indignes de foi. Parfois ce sont des personnalités du monde médical ou des scientifiques connus. Néanmoins la majeure partie de leurs hypothèses sont assez fantaisistes. La mise en cause de la mobilisation de Bill Gates fait partie de la panoplie des assomptions complotistes persistantes.
Mais certaines interrogations peuvent semer le doute et sont de nature à interpeller l’esprit.
Une vidéo, ayant circulé dernièrement sur les réseaux sociaux, apporte un témoignage troublant d’une jeune anglaise. Elle cite deux cas, dont celui de son propre père. Selon elle, les autorités ont tenu à délivrer des certificats de décès qui mentionnent le Covid-19 comme cause de leur mort, malgré les protestations des familles concernées, alors que celle-ci n’a rien à voir le Corona. Cette personne ne comprend pas pourquoi les autorités cherchent à gonfler le chiffre des victimes de la pandémie et se demande pourquoi et à qui cela profite-t-il. Questions bien légitimes.
Dans le même ordre d’idées, la mobilisation simultanée des Etats du monde, l’absence de corrélation entre le nombre des contaminations et celui des morts, la course effrénée et la compétition entre laboratoires, le développement de ce qui a été qualifié de « nationalisme vaccinal », suscitent moult interrogations et créent la confusion.
Une question récurrente alimente la curiosité des gens : pourquoi le monde s’est-t-il autant paniqué et a-t-il pris des mesures parfois précipitées qui ont mis les économies à genou ? Est-ce parce que le Covid-19 est plus virulent que ses prédécesseurs ? Peut-être. Mais le branle-bas de combat a été déjà impressionnant bien avant de connaître les caractéristiques dudit virus. Le désarroi des pouvoirs publics du monde entier face à l’épidémie n’a pas été de nature à rasséréner les populations. Est-ce parce qu’ils étaient pour la plupart pris de court et matériellement impréparés ? Oui, dans la plupart des cas. Ce qui avait surtout contribué aux doutes des premiers temps, c’étaient les affirmations contradictoires au sujet des moyens de lutte contre la maladie ; le masque a alimenté toute une controverse qui a nui à la crédibilité de certains responsables de pays censés être en mesure de parer à toute éventualité.
Le devoir de protéger
Le débat sur la mobilisation inédite et générale du monde face au Covid-19 a mis au jour des comparaisons entre les fléaux ayant décimé des millions d’êtres humains, des rappels historiques de faits sanitaires marquants, des analyses épidémiologiques, politiques, sociologiques, etc. Et pour cause : la situation créée par la pandémie est inédite. Ce qui peut cependant être considéré comme vraiment inédit, ce n’est pas la létalité de ce virus, puisqu’au départ on n’en savait rien. Ce qui est nouveau, c’est plutôt le mouvement collectif et quasi simultané vers l’état d’urgence sanitaire, le confinement, la fermeture des frontières, le langage guerrier qui avait émaillé le discours de certains chefs d’Etat. Jamais unanimité n’a régné aussi rapidement sur le monde ; le point de vue marginal des présidents américain et brésilien ne peut entamer cette globalité. Pourquoi toute cette mobilisation ?
La première réponse qui vient à l’esprit constitue un truisme. Elle consiste à mettre l’accent sur l’interconnexion du monde : de nos jours, le degré de communication entre les parties du monde est incommensurable. La vitesse à laquelle circule actuellement l’information faisait défaut dans le cas des pandémies d’antan. Oui, mais si l’on n’a pas de difficulté à admettre cette évidence, il n’en demeure pas moins troublant de constater la similarité des mesures adoptées et la rapidité avec laquelle les pouvoirs publics à travers le monde les ont endossées. On a eu l’impression qu’une force supérieure a dicté des instructions universelles qui ne peuvent souffrir aucune dérogation. Il est difficile de croire que l’OMS représente ce pouvoir supraétatique. Et alors, peut-il y avoir d’autres explications ?
Certaines des thèses évoquées ci-dessus incriminent les lobbies de l’industrie médicale mondiale qui sont à l’affût de gains et qui auraient manipulé les Etats afin de créer le climat propice pour vendre médicaments et vaccins. Cela semble bien gros : on ne voit pas comment les Etats du monde pourraient mener leur économie à la faillite. C’est pour le moins invraisemblable.
Par contre, on ne peut ignorer l’impératif démocratiquequi a fini par façonner une culture, toute relative, qui a conquis le monde. La naissance de cet impératif a fait la part belle à la démocratie libérale. Ceci a été rendu possible grâce au climat né de la fin de la Guerre froide et du renforcement de la mondialisation. Cette culture est porteuse de responsabilité de protéger que les gouvernants ont à l’égard des gouvernés. Les Etats traditionnellement démocratiques prévoient des mécanismes de contrôle des responsabilités qui pèsent sur les gouvernements. Mais même les Etats qui le sont moins sont sous une surveillance interne et internationale. Ainsi ceux qui dépendent de la coopération internationale pour subsister ont été amenés, dans leur majorité, à afficher des signes d’acceptation de cet impératif. Des conditionnalités politiques leur sont imposées par les bailleurs de fonds, qu’il s’agisse d’Etats ou d’institutions internationales. Ceci n’est pas une vue de l’esprit, mais participe de la volonté des puissances occidentales de chercher à promouvoir la démocratie libérale à travers le monde. L’idée de base est celle consistant à croire que l’adoption de la démocratie à l’échelle mondiale est un gage de paix et de sécurité pour les sociétés développées, ébranlées par les attaques du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis, l’hyperpuissance de l’après-guerre froide. Du reste, la pression créée par l’interventionnisme dans les affaires intérieures n’épargne pas les pays forts vivant sous d’autres types de régime, comme la Chine ou la Russie souvent interpellées pour des questions relatives au respect des droits de l’Homme.
Cette assimilation politique, recherchée ou subie, conduit les Etats du monde à éviter de rendre des comptes à leurs institutions ou à l’opinion publique internationale, en cas de négligence manifeste de leur responsabilité à l’égard de leurs populations. Ne pas protéger celles-ci d’une pandémie est l’exemple-type d’un manquement grave. On a d’ailleurs vu que tous les gouvernements ont adopté plus ou moins rapidement des mesures de lutte contre le Coronavirus. Même lorsque les chefs d’Etat américain et brésilien ont fait montre de réticence, les instances régionales de ces deux pays y ont remédié. Du reste, la mauvaise gestion de la crise sanitaire par le président Trump pèse lourdement sur sa campagne électorale en vue de l’échéance de novembre prochain.
Qu’on y croie ou pas, la démocratie est devenue un facteur des relations internationales. Cela ne fait pas systématiquement de tous les pouvoirs nationaux des adorateurs de la démocratie. Loin de là. Il existe certes des gouvernants sincèrement respectueux de ce modèle ; mais il y a aussi et surtout des gouvernants calculateurs qui ne négligent aucun paramètre de nature à renforcer leur pouvoir.