Les chaussettes trouées de M. Ouahbi – Par Naïm Kamal

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Abdellatif Ouahbi, du temps où il était avocat de la défense

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Par Naïm Kamal

Une vidéo de deux minutes qui circule beaucoup, montre le ministre de la Justice dans ses œuvres. Pas peu fier, Abdellatif Ouahbi y annonce la création d’un bureau au niveau des Cours d’Appel de Rabat, répondant au nom bigbrotherien de Bureau des données numériques. Oubliant au passage de préciser qu’il s’agit aussi de données personnelles. A sa décharge, peut-être ne le sait-il pas. 

Ce bureau, déjà relié au ministère du Transport, à la Conservation foncière et bientôt à la Direction Générale de la Sureté Nationale ainsi qu’à toutes les autres administrations du pays, y compris et, surtout, les impôts, permettra au parquet de savoir en temps et en heure tout de tous. 

En cas d’accident de voiture entrainant une détention, par exemple, le procureur pourrait d’un clic savoir si la voiture appartient ou pas à l’auteur de l’accident pour lui éviter de passer un ou deux mois de détention provisoire, le temps que la procédure aboutisse. A en croire le ministre. C’est un peu simpliste ou exagéré, mais ça part de bonnes intentions. Comme le chemin de l’enfer. 

Une autre bonne intention veut qu’en cas de convocation d’un justiciable devant son juge, le parquet accède, toujours d’un clic, au Fichier CIN de la DGSN et informe le concerné à son adresse indiquée dans ce fichier. Il sera considéré comme informé, même s’il ne se trouve plus à cette adresse. La loi l’astreignant à procéder à chaque déménagement au changement d’adresse, c’est son problème si en réalité il n’a pas reçu la convocation et peu importe tous les si, si et si. 

Mais le must des bonnes intentions, c’est lorsque Grand Frère Ouahbi indique être en négociation avec la Banque centrale pour accéder, encore d’un clic, aux comptes bancaires des Marocains. De telle manière, dit le ministre qui sait sélectionner ses exemples, et s’assurer le soutien des femmes divorcées ou potentiellement divorçables, qu’un mari ne peut plus prétendre n’avoir pas grand-chose pour se soustraire aux pensions qu’il devrait à son ex-bien aimée. « On saura ce qu’il a et ce qu’il n’a pas », déclare M. Ouahbi, tout heureux d’accéder au statut d’omniscient. Et tant pis si pareille éventualité, pas très conforme ni aux règles, ni aux libertés constitutionnelles, provoque une désaffection citoyenne généralisée pour le système bancaire.

M. Ouahbi cherche-t-il à devenir irrémédiablement inénarrable, mais dans sa tête a germé une idée qui inspirerait même un mauvais scénariste pour un bon film sur les signes avant-coureurs du totalitarisme : il veut pas moins que contraindre chaque citoyen à disposer d’un numéro de téléphone spécifique, exclusivement dédié pour qu’il soit joignable par toute administration à tout instant. 

A l’heure qu’il est on ne sait pas encore s’il s’y est attelé tout seul, mais semblable trouvaille, même Géo Trouvetou ne l’aurait pas trouvée.   

On est tous un peu habitués à ses illuminations et presque tout le monde se souvient de sa réplique à un interlocuteur qui le contrariait. Il avait lancé au brave homme interloqué, avoir les moyens de tout savoir sur lui, même qu’il porte des chaussettes trouées. 

On ne sait toujours pas non plus si M. Ouahbi le fait exprès ou s’il est doué pour cela, à moins que ce ne soit indépendamment de sa volonté, mais apparemment le mal s’aggrave. 

Et au train où vont les choses, il y a fort à craindre qu’un jour il proposera de greffer à tous les Marocains un implant regroupant toutes leurs données personnelles, doté en supplément d’une fonction GPS de géolocalisation. Seulement et probablement alors la chaussétophilie de M. Ouahbi sera comblée. Il pourrait enfin savoir en temps réel qui  couche et qui découche, voire qu’à l’occasion l’implant lui fournira-t-il aussi l’adresse de la CNDP : la Commission nationale de contrôle de la protection des données à caractère personnel. 

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