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La crise de la politique au Maroc et le discours de l'opposition en crise – Par Bilal Talidi
Abdalilah Benkirane, ancien chef du gouvernement et secrétaire général du PJD
Le parcours de chaque démocratie se mesure en partie par les discours du gouvernement et de l'opposition. Le premier est généralement évalué en fonction de la référence (le programme gouvernemental), et de la mesure dans laquelle les actions chiffrées qu'il contient sont réalisées, ainsi que du degré de responsabilité politique et de l'ampleur des décisions cruciales adoptées face aux crises.
Le discours de l'opposition est également évalué selon les considérations précédentes, mais aussi en fonction des biais sociaux, de la position de classe à laquelle le parti s'identifie, et de savoir si la politique gouvernementale sert les classes laborieuses ou moyennes ou ne profite qu'aux classes nanties.
On a déjà eu à apporter un regard critique sur les politiques et le discours du gouvernement. Cet article est consacré au discours de l'opposition, dont les partis reposent sur des idéologies, des thèses politiques et des biais sociaux différents, et dont les angles d'attaque de la politique gouvernementale, ne convergent pas nécessairement et en tout cas pas toujours.
On peut dire que l'argument le plus fort partagé par le discours de l'opposition est celui qui se base sur la critique de la performance par rapport aux mesures chiffrées du programme gouvernemental, notamment ceux concernant la baisse du taux de croissance par rapport aux attentes, l'augmentation du taux de chômage à un niveau sans précédent avoisinant les 14 %, l'augmentation du nombre d'entreprises en dépôt de bilan, la baisse des investissements étrangers dans le pays, ainsi que le recul ou les difficultés dans les classements et indices internationaux comme l'indice de perception de la corruption et l'indice de développement humain, entre autres.
Ce type de discours critique est utile, car il vise principalement à évaluer la politique économique du gouvernement et sa performance politique en fonction des objectifs qu'il s'est fixés. Il contribue également à établir une base de critères que les citoyens peuvent utiliser pour évaluer les résultats et la performance du gouvernement. Il est aussi susceptible d’inciter les responsables gouvernementaux à ne pas dormir sur leurs lauriers et également d’attirer l’attention sur les carences et les manquements.
Le problème surgit de manière incompréhensible lorsque de nombreuses formes de contradiction s'infiltrent dans le discours de l'opposition, justifiées parfois par le besoin de surenchérir, et alimentées d'autres fois par le désir de créer une image caricaturale de la performance du gouvernement, mais par des procédés et moyens qui manquent de sérieux et de crédibilité.
Trois formes de contradiction suscitent de nombreuses questions quant à leur contenu et leurs motivations. La première concerne le discours critique des politiques de réforme de la Caisse de compensation. Il est établi que le gouvernement précédent, que dirigeait le PJD (Parti de la Justice et du Développement) et auquel appartenait également le PPS (Parti du Progrès et du Socialisme), insistait sur la réforme complète de cette caisse L'ancien Chef. Du gouvernement, Abdalilah Benkirane, insistait pour dire que s'il avait continué au gouvernement, il n'aurait pas hésité à supprimer les subventions du gaz butane, du sucre, et autres. Il défiait l'actuel Chef du gouvernement en critiquant le gouvernement de Aziz Akhannouch pour n’avoir pas osé achever cette réforme. Mais voilà qu’aujourd'hui, sans se soucier de la contradiction, une grande partie du discours de l'opposition, y compris celui des dirigeants du PJD, critique ce gouvernement pour avoir augmenté de 10 dirhams le prix du gaz butane, affirmant que cela nuit aux citoyens marocains et aggrave leur appauvrissement !
Le deuxième type de contradiction dans le discours de l'opposition se manifeste dans la critique de la politique du Chef du gouvernement dans règlement de certains conflits sociaux, en réduisant cette politique à des pots-de-vin électoraux. Ce qui révèle une crise morale chez certains dirigeants de l'opposition. Auparavant, lorsqu'ils étaient au gouvernement, ils reprochaient au chef du Rassemblement National des Indépendants (RNI) de refuser le soutien direct aux couches défavorisés par crainte que ce soutien direct profite électoralement au PJD. Aujourd'hui, ils lui reprochent de prendre des décisions dans ce sens dans le cadre du dialogue social, visant à améliorer la situation sociale de nombreux fonctionnaires.
Politiquement, ce discours est inacceptable, car le rôle du parti politique, quel qu'il soit, n’est pas de s’opposer pour s’opposer, mais de produire des politiques d’équilibre entre les intérêts de l'État et ceux de la société, de manière à préserver aussi des équilibres économiques et financiers de l'État sans considération pour les bénéfices électoraux que les partis de la majorité peuvent tirer de la politique de leur gouvernement car il y va dans tous les cas de l’intérêt des citoyens. Un parti réformiste démocratique soucieux de l’intérêt commun ne devrait pas produire pareils arguments en opposition avec la nature et l'essence de la démocratie. Les partis qui dominent la scène politique et dirigent le gouvernement prennent à la fois le risque de perdre de leur popularité lorsque la gestion gouvernementale le leur impose des mesures impopulaires, et à l’inverse, la possibilité de réaliser des gains électoraliste quand leur politique le leur permet. La notion de pot-de-vin électoral n'a de sens que dans le contexte de l'achat de voix pendant les campagnes électorales, et non en produisant des politiques qui convainquent les gens de l'efficacité ou de l'incapacité du gouvernement.
La troisième forme de contradiction concerne la politique sociale. Le discours de l'opposition ne distingue pas les orientations de l'État en matière de soutien au système de protection sociale, mises en œuvre par le gouvernement, et la composition politique et sociologique du gouvernement (hommes d'affaires), qui orientent sa politique vers la satisfaction des intérêts des milieux d'affaires. Le discours de l'opposition tombe ainsi dans une vague de contradictions en critiquant le gouvernement sous cet angle, rendant les mesures de mise en œuvre des orientations de l'État sujettes à suspicion, alors qu'il était attendu de l'opposition qu'elle rationalise cette politique et ne faire de critique que quand ces politiques servent que les intérêts de classes spécifiques, contrariant fondamentalement la politique sociale de l'État.
Entre Idriss El Azami et Abdallah Bouanou, il y a un grand écart dans la manière de critiquer la politique gouvernementale. Le premier reste cohérent avec ce que son précédent poste au gouvernement lui imposait, en tenant compte des ressources de l'État, de la manière dont elles sont dépensées, et des effets sur les équilibres économiques. On le voit critiquer la politique de financement innovant du gouvernement Akhannouch, discuter de ses effets négatifs sur les ressources de l'État, et critiquer sévèrement la "générosité" du gouvernement face à la pression sociale et son impact sur les équilibres de l'État à moyen et long terme. Le second, en revanche, adopte une attitude burlesque, ne respectant pas la cohérence avec la vision de son parti lorsqu'il était au gouvernement, et ne voit dans la politique gouvernementale et ses résultats dans le règlement des conflits sociaux que des pots-de-vin électoraux, ce qui en soi est un aveu de son efficacité !
Le gouvernement actuel, comme tout gouvernement, présente des incohérences notables et plus que des nuances entre ses différents ministres notamment en matière de communication politique et de gestion des crises sociales comme ce fut le cas avec le ministre de l’Éducation nationale. Cependant, le problème est qu'une partie importante du discours de l'opposition, par ses incohérences, crée une confusion autour de l'identité de l'opposition, de ce qui elle est et de ce qu'elle veut. Car quoi qu’il en soit, c’est une erreur de croire que la collectivité est amnésique et que les citoyens ne distinguent pas ce que dans la critique de l’opposition et précisément en opposition avec ce qu’elle faisait quand elle était aux affaires.