Enseignants : Face aux tentatives de détournement du mouvement, le MEN n’aurait-il pas mieux fait de patienter ? Par Bilal TALIDI

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Des observateurs ont qualifié d’absurde et d’insensée la décision de la Coordination de l’enseignement secondaire qualifiant et de la Coordination unifiée de poursuivre la grève pour des durées allant de deux à trois jours par semaine. Ils considèrent, et ce n’est pas exclu, « que cette décision est mue par la volonté acharnée de détourner un acte éminemment revendicatif, et déjà pas justifié, vers des objectifs inavouables sans rapports avec les intérêts présumés du corps enseignant »

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Nul doute que l’accord du 26 décembre aura mis un terme aux suspicions ayant marqué le rapport du gouvernement avec les enseignants pour avoir répondu à un nombre considérable d’aspirations des instances représentatives des enseignants. Tant est si bien que tout portait à croire à une fin imminente des tensions entre les deux parties avec le retour collectif des enseignants en classe, en vue de rompre enfin avec une déperdition scolaire longue, très longue de plus de trois mois.

Des observateurs, à l’instar du directeur du Site Quid.ma, Naïm Kamal, ont qualifié d’absurde et d’insensée la décision de la Coordination de l’enseignement secondaire qualifiant et de la Coordination unifiée de poursuivre la grève pour des durées allant de deux à trois jours par semaine. Ils considèrent, et ce n’est pas exclu, que cette décision est mue par la volonté acharnée de détourner un acte éminemment revendicatif, et déjà pas justifié, vers des objectifs inavouables sans rapports avec les intérêts présumés du corps enseignant ». De point de vue estime qu’il s’agit-là de l’exploitation d’une dynamique solidaire de ce corps pour l’engager dans des batailles à d’autres fins sans perspectives, « en travaillant à la dépréciation systématique des accords conclus, quitte à sacrifier à l’essentiel des acquis inédits réalisés au profit de cette frange ».

Le ministère de l’Education nationale (MEN), le gouvernement et beaucoup de Marocains s’attendaient au retour des enseignants en classe, mais ont été désagréablement surpris par le maintien du niveau important de mobilisation en faveur de la poursuite de la grève, particulièrement parmi les enseignants du secondaire qualifiant. Sentant que toutes les options ont été épuisées, surtout que l’Etat a donné le meilleur de lui-même à la faveur de l’accord du 26 décembre, le MEN s’est retrouvé dans une situation où il n’avait d’autres options que de brandir la révocation des grévistes, une mesure entamée à compter du 8 janvier.

Pour justifier cette mesure, le ministre de tutelle a évoqué, lors de la séance des questions orales à la Chambre des représentants, des actes subversifs menés par certains enseignants soupçonnés, selon lui, d’entraver le bon fonctionnement des établissements scolaires, d’inciter les élèves à s’absenter au nom de la grève et d’empêcher, par différentes formes d’intimidation, le retour des non-grévistes en classe.

Le dernier incident ayant suivi la justification du ministre concerne la destruction subie par un établissement scolaire de Sidi Slimane au sujet duquel le MEN a ouvert une enquête.

Il ne s’agit pas ici de s’arrêter sur les bases juridiques de la révocation, surtout après la suspension du décret controversé et de l’ensemble de ses dispositions disciplinaires, pas plus d’ailleurs que d’interagir avec la justification, du reste pas nécessaire, que le ministre a présentée dans ce sens devant le Parlement. D’ailleurs, un des directeurs provinciaux du MEN était mieux inspiré en précisant à la chaîne Al Aoula que la majorité des enseignants ont rejoint leurs classes et que des notes d’explication ont été adressées à la minorité d’entre ceux qui ne l’ont pas encore fait pour justifier leur absence.

Il ne sert à rien de s’appesantir sur ces considérations qui font intervenir un interminable débat juridique, dont la seule évocation pourrait à nouveau déclencher un retour de la tension du départ. Le plus important est de se concentrer sur cette incompréhension ayant amené le MEN à se précipiter sur l’approche répressive, alors même que toutes les démarches allaient immanquablement vers l’arrêt définitif de la grève.

De prime abord, il faut dire que l’accord du 26 décembre a provoqué un séisme au sein de la Coordination de l’enseignement secondaire qualifiant, fer de lance de ce débrayage. Cet accord a convaincu un nombre important d’enseignants à arrêter la grève, avant même que la Coordination ne se prononce sur le sujet. Comme pour épaissir la confusion, la Coordination a sombré dans l’attentisme, au moment où plus des deux tiers des rapports provenant des établissements scolaires de toutes les provinces étaient pour l’arrêt de la grève. Il a fallu une semaine à la Coordination pour rendre publique une position dans laquelle elle reconnaît l’impact de l’accord du 26 décembre sur les bases, tout en maintenant un souffle contestataire qui se traduit par la ‘’réduction’’ de la grève à deux jours par semaine.

On peut parfaitement comprendre que le ministère de tutelle, soumis à de multiples pressions, préoccupé principalement par le sauvetage de l’année scolaire !, n’ait prévu d’autres réponses à l’accord que le retour des enseignants en classe. Pris de court par la décision de la Coordination, il la considère désormais comme un acteur politique qui cherche autre chose que la réalisation des revendications du corps enseignant. D’où son passage direct et immédiat à l’approche coercitive.

Nul n’ignore que les prémices du détournement du mouvement revendicatif et de sa politisation, ont émergé dès l’accord du 10 décembre et se sont manifestés davantage avec l’accord du 26 décembre, surtout après que la Coordination a refusé de rendre publics les rapports émanant des bureaux provinciaux et régionaux sur l’avis des établissements scolaires au sujet de la suspension de la grève. L’erreur du ministère serait son passage à l’approche coercitive au moment même où le fossé commençait à se creuser entre les meneurs de la grève et les bases de la Coordination, avec le retour de pas mois de 40% des enseignants en classe.

En tentant de prendre leurs distances avec les décisions de la direction, les bases cherchaient aussi à immuniser « leur » Coordination, en tant que levier de combat pour les jours à venir. C’est ce qui explique cette confusion dans les décisions des établissements scolaires, certains optant pour la suspension définitive de la grève, d’autres pour une suspension partielle et d’autres observant la décision de la Coordination dans le cadre de la « dernière semaine » de la contestation.

Objectivement, l’on peut dire que la décision relative aux révocations a été à double effet. Le premier est que l’Etat a tout fait, tout donné, pour assurer le retour des enseignants en classe, faute de quoi il se réserve le droit de passer à la méthode dure. Une partie des enseignants ressentent d’ores et déjà la portée de cette logique dissuasive. Le second consiste en le risque d’avoir un effet boomerang. Il tient au fait que cette décision risque de provoquer une nouvelle tension inutile, au moment où les enseignants s’arrangeaient pour un retour progressif en classe. Une semaine de patience aurait probablement suffi pour réussir le retour intégral des enseignants et isoler complètement les agents de la politisation du dossier. Il aurait suffi d’actionner des procédés diplomatiques bien rôdés et de laisser aux directions provinciales du MEN le soin de faire leur job en douce, avant de passer au chapitre des sanctions et des mesures disciplinaires.

La direction provinciale du MEN de Rabat pourrait probablement servir de modèle en la matière. Après avoir ordonné un nombre très limité de révocations, elle maintient grande ouverte la porte des médiations pour mettre un terme aux tensions. Dans cet effort, elle a réussi en grande partie et compte poursuivre sur la même lancée pour persuader le peu de récalcitrants dans certains établissements scolaires.

On aurait tant aimé que des directions provinciales du MEN empruntent cette démarche, que soit instituée une ‘’semaine de souplesse et de médiation et que toutes les bonnes intentions se mobilisent pour trouver ensemble à la tension ambiante une solution à l’amiable, sans préjudices ni complications du bon fonctionnement pédagogique.

 

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