Enseignants : autopsie des coordinations et d’un échec annoncé du ministre de l’Education - Par Bilal TALIDI

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Chakib Benmoussa, ministre de l’Education nationale

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On comptait beaucoup sur lui pour que cette arlésienne qu’a toujours été la réforme de l’enseignement trouve sa voie pour sortir à la vie concrète. Lui, c’est Chakib Benmoussa. Et c’est facile de l’évoquer aujourd’hui en parlant d’un échec annoncé parce que sa réforme n’est pas mauvaise. Lui a fait défaut, c’est malheureux de le dire, l’instinct politique et l’aptitude manœuvrières pour entrainer un corps enseignant, pour une bonne partie incompétent, par définition réfractaire à toute réforme et perméable au noyautage et à la surenchère. (Quid)

Sans surprise, les enseignants en grève depuis des mois ont rejeté le dernier accord conclu entre le gouvernement et les quatre syndicats ‘’les plus représentatifs’’ du secteur, optant pour la poursuite de leur bras de fer avec le gouvernement jusqu’à l’abrogation ou au retrait du décret du nouveau statut unifié.

Ce phénomène n’est pas sans soulever des questions profondes, certaines en lien avec les messages que renvoie le rejet de cet accord, tandis que d’autres renseignent sur la nature des structures qui coordonnent et mènent réellement le combat au sein des établissements scolaires.

S’agissant du premier volet, l’accord gouvernement-syndicat a révélé au grand jour la fragilité de la représentativité autant des centrales « les plus représentatives » que des syndicats qui ne siègent pas au sein de la commission ministérielle du dialogue. La situation actuelle fait ressortir que le centre de gravité a échappé aux instances syndicales qui négocient sans assises populaires avec le gouvernement. Cela a donné lieu à ce spectacle piteux de longues heures de dialogue avec les représentants du gouvernement sans qu’à l’arrivée, ils soient en mesure de démontrer une quelconque influence sur le corps enseignant qui obéit à des structures qui n’étaient autour de la table des négociations.

Ces structures qui se sont depuis longtemps choisies l’appellation de Coordinations de l’enseignement secondaire qualifiant, pour bien se distinguer des circuits syndicaux officiels, ont opté, bien avant la publication de l’accord entre le gouvernement et les syndicats, pour un débrayage progressif, assurant que leur revendication essentielle consiste d’abord à abroger le décret contesté, avant d’engager des discussions sur l’amélioration des salaires. Fortes de leur prise sur le corps des enseignants, elles signifiaient ainsi au gouvernement que c’est avec leurs représentants que les négociations devraient avoir lieu. 

La leçon politique derrière l’échec de la médiation syndicale et l’émergence de nouvelles structures d’encadrement, défiantes à l’égard des syndicats et rétifs à des accords comportant pourtant une offre consistante en termes d’amélioration de salaires, invite à de nouveaux comportements gouvernementaux tenant compte de la réalité du terrain pour mieux l’immuniser contre tout potentiel noyautage.

Sans être nécessairement en accord avec les résistances des enseignants à une réforme vitale pour l’Education, il faut bien comprendre que les coordinations, susceptibles de faire école dans d’autres secteurs, sont des formes d’organisations qui signent la défiance à l’égard de la culture politico-syndicale prévalente jusque-là, appellent un diagnostic précis de leur fonctionnement , de leur forme organisationnelle et de leur nature sociologique permettant à ces nouvelles mouvances contestataires qui, appuyées à une large base sociale, se déploient et interagissent avec beaucoup de spontanéité, d’aisance et d’efficacité.

L’architecture organisationnelle de ces coordinations, sans être nécessairement véritablement démocratique (on verra comment), se caractérise par sa souplesse pyramidale qui donne aux bases la plus grande part dans la prise de décision et de l’action qui s’ensuit. Elle part de la plus petite cellule (l’établissement scolaire) autour duquel s’articule l’acte contestataire. Les enseignants choisissent leur représentant et tiennent avec lui des réunions régulières, en continu si nécessaire, pour faire parvenir la vision de chaque établissement au niveau de la coordination provinciale. Le représentant provincial, ainsi investi, participe au conseil national de la coordination, l’instance chargée d’élaborer les grandes lignes du combat qui seront adoptées ensuite par l’instance centrale.

La structure de base, le noyau dur, se caractérise par son ouverture à tous les enseignants à tout moment de la journée au sein de l’établissement, et également de nuit via les réseaux sociaux. Au niveau provincial, ces noyaux s’activent au sein de réseaux leur permettant d’échanger des informations, des documents et des données en lien avec les instances de coordination au sein de chaque groupe. Le partage des contenus écrits et audiovisuels constitue un levier de mobilisation efficace qui permet de maintenir vivace la flamme du combat. 

Cependant, la ‘’démocratie des bases’’ a ses limites au sein de ces groupes, ce qui préfigure déjà ce que pourrait être à l’avenir le fonctionnement des coordinations. Les non-grévistes et les réfractaires sont étiquetés, stigmatisés et cloués au pilori à une large échelle, ce qui les condamne à n’avoir de choix qu’entre l’adhésion ou l’ostracisation complète. Pour ‘’immuniser’’ le mouvement contestataire, ces groupes veillent à maintenir la distance nécessaire avec l’administration, toutes composantes confondues, et redoublent de vigilance contre « les mouches électroniques ».

Globalement, il existe 23 coordinations. La plus puissante est celle de l’enseignement secondaire qualifiant, du fait que ses membres se considèrent, d’une part, comme la catégorie la plus lésée par le nouveau décret unifié et, de l’autre, parce qu’ils détiennent la carte déterminante des classes certificatives.

On ne peut ignorer la question du souffle politique qui animerait ces coordinations. Toutes les tendances extérieures au jeu institutionnel y cultivent leur terreau. On y retrouve les ‘’cinquante nuances’’ islamistes, mais aussi la Fédération nationale de l’enseignement (FNE, Tendance démocratique), dominée par Annahj Addimocraté (extrême gauche) qui se confondent souvent avec les activistes de l’Association Marocaine de Droits de l’Homme (AMDH). Il semblerait que cette mouvance soit la plus proche de ces coordinations sans en avoir la tutelle, mais on peut imaginer aisément que ces activistes comme ceux des mouvances islamistes travaillent d’une manière ou d’une autre à l’intransigeance et à la radicalisation des coordinations.

Il semble aussi qu’il existe entre la FEN, les mouvances islamistes et ces coordinations une relation plutôt marquée par un degré non négligeable d’indépendance, car régie par la logique gagnant-gagnant. Alors que la Fédération épouse le dossier revendicatif des coordinations indépendamment de leur seuil syndical et politique, ces dernières estiment que, faute de disposer d’un statut représentatif, il est de leur intérêt pragmatique de se rapprocher des syndicats qui adoptent leurs revendications.

Il parait ainsi que les coordinations, et particulièrement celle du secondaire qualifiant, jouissent d’une large indépendance et seraient assez autonomes dans la gestion de la lutte, à travers leurs structures pyramidales, sans pour autant se priver du soutien de tout syndicat qui se ferait l’écho de leurs revendications.

Il est évident que l’Etat a bien cerné la structure organisationnelle de ces coordinations et saisi que la raison principale de ce sursaut revendicatif inédit tient aux préjudices subis par les enseignants du secondaire qualifiant. Sauf que l’approche pour y remédier a été incomplète. Le gouvernement a peut-être estimé qu’il suffisait d’un arrangement financier pour assurer le retour des enseignants en classe. C’était fort probablement là une erreur d’approche ! Aux yeux des coordinations, il fallait annoncer d’urgence deux mesures décisives, à l’instar de celles en rapport avec l’article des sanctions : le maintien sans changement des missions et des heures de travail de l’enseignant et des dispositions légales antérieures y afférant.

 

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