Une nouvelle présidence, entre conjecture et réalité – Par Mohammed Germouni

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Le 27 avril 2025. M. Trump rentre à Washington, DC, depuis sa résidence de Bedminster, New Jersey, après s'être rendu à Rome pour les funérailles du pape François. (Photo par Mandel NGAN / AFP)

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Réélu triomphalement en novembre 2024 pour un second mandat non consécutif, Donald Trump renoue avec le pouvoir dans un climat de polarisation extrême, d’instabilité mondiale et de défiance institutionnelle. Pour Mohammed Germouni, Donald Trump, à l’image d’un Roosevelt des temps modernes, le Roosevelt d’avant la deuxième guerre mondiale, réinvente une Amérique protectionniste, imprévisible et farouchement partisane, tout en redessinant les contours d’une démocratie sous tension.

Le retour spectaculaire d’un président hors normes

La victoire aux élections de novembre dernier du président Trump pour un second mandat fut relativement écrasante jusqu'à rendre le camp démocrate adverse quasi inaudible depuis. Il aura été aussi le premier à se faire élire une seconde fois et de façon non consécutive, à l’instar d’un ancien président, Grover Cleveland, ce qui n’est pas une mince prouesse dans un pays aussi vaste.  Beaucoup a été écrit sur le sujet avant et depuis ce scrutin par une diversité d’observateurs de talent et d’intéressants analystes politiques qui ont occupé et occupent encore les divers réseaux sociaux désireux de rendre compte à leur façon de la signification d’un tel évènement dans l’histoire contemporaine de cette grande puissance.

Au vu du déroulement des évènements depuis la prestation de serment de président élu, une analyse fouillée, développée de façon cohérente, dans le cadre d’un éditorial du magazine anglais, « The Economist » (Nov.9,2024, Welcome to Trump’s World), juste au lendemain des résultats du vote américain, m’est revenue à l’esprit par la pertinence du propos et mérite peut-être d’en rappeler si possible l’essentiel.

Tout d’abord, l’ère qui démarre avec ce nouvel élu s’inscrit sous les signes d’une modernité qu’on ne saurait contester, combinant les apports des dernières évolutions technologiques et une grande dispersion du nombre de media américains. Aussi, devient-il de plus en plus complexe de pouvoir distinguer ce qui relève de la politique et de la loi tout court et ce qui concerne plutôt la politique issue de la déferlante industrie des variétés et du spectacle. Curieusement cette même nouvelle phase de l’histoire qui s’ouvre renvoie à son tour à une certaine idée que les observateurs se faisaient d’une certaine Amérique d’antan, par exemple d’un président qui a marqué les  mémoires du siècle dernier, un certain Franklin D. Roosevelt, qui, avant que la lutte contre un fascisme alors triomphant dans le monde ne le convainque qu’il était dans l’intérêt de son propre pays d’aider à ramener l’ordre et la prospérité au reste de la planète, était d’abord hostile à l’immigration, ensuite ironique quant au commerce extérieur et  enfin sceptique sur les relations avec les pays étrangers. Surtout que ces Années trente du siècle dernier furent des époques sombres pour une grande partie de l’humanité et qui peuvent se répéter avertit l’éditorialiste.

Toutes proportions gardées, le récent triomphe électoral du président actuellement en poste semble avoir également eu l’ampleur de celui naguère enregistré encore par l’emblématique Roosevelt qui, élu au lendemain de la Grande Crise de 1929, avait même pu diriger de façon continue cette grande nation jusqu’à sa mort, en avril 1945.

Un programme radical, un style inclassable

Ayant gagné le scrutin dans presque la plupart des États de la fédération, avec le monde déjà presque à ses pieds, Monsieur Trump va éprouver le besoin à son tour de prendre le contrôle des institutions de Washington. En effet sa victoire a été complète avec un Sénat devenu républicain et une Chambre qui ne l’est pas moins, car face à la rivale démocrate Kamala Harris, et comme les sondages l’avaient déjà prédit, le vote des hommes latino lui fut acquis ainsi que celui des femmes américaines.

Le camp démocrate a désormais tout le loisir de se lamenter, et surtout de vérifier qu’il avait pratiquement tout faux, tant les sondages du temps de la présidence Biden indiquaient déjà que le pays prenait une « mauvaise direction ».  Ainsi la culture dite de la diversité et les aspects relatifs au genre masculin-féminin et au transgenre, qu’il défendait, auraient causé beaucoup de torts, en tout cas astucieusement exploités par l’adversaire républicain. Encore plus dommageable fut l’échec à contenir les immigrés illégaux et une frontière avec le Mexique devenue une véritable passoire, autant d’erreurs commises par un parti au pouvoir qui a continué de les couvrir, pour ne se rendre compte que trop tard qu’il n’avait pas vraiment de candidat réel à opposer à Trump.

Mais quelque chose de plus profond se prépare depuis, car en ignorant les tentatives d'empêcher le transfert normal du pouvoir à un Biden déclaré gagnant, en 2020, les électeurs auraient ainsi refusé de valider cette version. Plus que cela, ils auraient approuvé l'utilisation sans bornes de l'esprit de parti comme fondement de la politique, jusqu’à calomnier les adversaires démocrates et les qualifier de corrompus, voire de traîtres. Ceci a répandu cynisme et désespoir sur les mérites d’une équipe qui gouverne, ce qui n’est pas de nature à servir la démocratie américaine. Constitué de non conformistes, opposés aux internationalistes bienveillants qui ont dirigé le pays depuis la Deuxième Guerre, le mouvement « Make America Great Again » (MAGA) a conclu qu’une majorité d'électeurs l’a adopté et les yeux ouverts.  L’ordre ancien est à détruire, mais alors par quoi le remplacer ?

On va noter ainsi un retour accéléré au mercantilisme d’antan, à l’opposé d’une Amérique qui défendait jusqu’ici le libre-échange, car faut-il le rappeler que l’actuel président est un vieux partisan des droits de douane et un fervent croyant au protectionnisme. Selon lui, les déficits commerciaux prouvent que les étrangers prennent les Américains pour des imbéciles. Ce président et ses partisans militent en faveur de baisses d'impôts, ce qui creusera encore le déficit budgétaire. Certes, une déréglementation massive promise pourrait bien être bénéfique. Cependant, ajoute l’auteur de l’éditorial, en considérant un assoiffé de pouvoir et avide de flagornerie, il risque de conclure des accords privilégiés avec ses partisans inconditionnels, tel un certain Musk par exemple, première fortune mondiale, et en lui souhaitant de ne pas tomber dans des pièges qu’il a pu éviter lors du premier mandat. Cependant, la crainte est réelle d’une certaine radicalisation et d’un manque de retenue, surtout de la part de l’un des présidents le plus âgé en poste, surtout si certaines capacités commençaient à faire défaut. Il évitera cette fois-ci  en tout cas, toute nomination aux postes de responsabilité d’une personne pouvant contrarier ses plans, et il usera au maximum des suffrages populaires recueillis pour contrôler le Congrès.

Une politique étrangère disruptive, à hauts risques

Si depuis cette présidence Roosevelt, la politique étrangère américaine se faisait à travers des alliances, à l’opposé l’actuel président aime d’instinct bien secouer ses alliés, de même qu’il apprécie fort qu’on insiste sur son coté imprévisible qui désarçonne l’adversaire. Il est certes en mesure de conclure un accord sur l’Ukraine avec Poutine mais sans mettre fin pour autant à la guerre, comme il est aussi capable d’exercer une pression sur l’Iran ou dissuader la Chine d’utiliser ses capacités militaires pour dominer l’Asie. Si de telles menaces n’étaient que fanfaronnades cela peut encourager les velléités agressives tant russes que chinoises.

Un tel climat d’incertitudes entrainera des coûts notamment pour l’Europe, l’obligeant au minimum d’augmenter ses dépenses d’armement.  Jusqu’ici l’influence globale de l’Amérique s’est exercée par le pouvoir de l’exemple sur divers plans dont sa capacité de s’en tenir à ses propres règles. Des lors, le mouvement populiste mondial qui était en perte de vitesse depuis 2020, va retrouver un renouveau. A cet égard, l’éditorialiste avertit, qu’un mauvais exemple à donner serait l’utilisation du système judiciaire contre les adversaires démocrates.  Car sans l’intérêt bien compris et surtout éclairé des États-Unis comme principe général de régulation, le monde risquerait d’appartenir aux tyrans, et Trump fera remarquer à son habitude que le problème n’est pas celui de l’Amérique mais celui du Reste du monde!