TRIBUNE - GAZA : CES JOURNALISTES QU’ON ASSASSINE - PAR MUSTAPHA SAHA

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Les confrères et collègues des deux journalistes palestiniens Hasouna Slim et Sari Mansoor, tués lors d'une frappe israélienne, se recueillent, en attendant leur tour, devant leurs corps, le 19 novembre 2023. Plus de cent ont journalistes ont été délibérément assassinés par les sionistes, affirme le syndicat des journalistes palestiniens (Photo Bashar TALEB / AFP)

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Ce conflit est le plus funeste des conflits depuis un siècle, 83 journalistes au moins morts à Gaza en deux mois. Ramenés aux 71 morts pendant la guerre d’Irak en trois ans, aux 69 journalistes morts pendant la Seconde Guerre mondiale en six ans, 63 journalistes morts pendant la guerre du Vietnam en vingt ans. Retour sur une hécatombe préméditée.

Paris. Mercredi, 10 janvier 2024. Ils sont surarmés de caméras, d’appareils photo, de micros, de stylos, de blocs notes. Ils sont journalistes, reporteurs, correspondants, envoyés spéciaux. Les derniers témoins du génocide sioniste à Gaza. Ils sont les cibles prioritaires de l’armée israélienne.

Samedi, 6 janvier 2024. Deux roquettes provoquent la mort, dans leur voiture à Khan Younes, dans le sud de Gaza, de deux journalistes, Hamza al-Dahdouh, fils de Waël al Dahdouh, chef du bureau d’Al Jazeera, et  Moustafa Thuraya, vidéaste pigiste  à l’Agence France-Presse. Une éradication systématique du journalisme. Un crime de guerre à grande échelle. Un massacre sans fin. Une extermination totale. La chaîne internationale Al-Jazira demeure le dernier témoin. La famille de Waël al-Dahdouh, journaliste palestinien et chef du bureau de la télévision qatarie à Gaza, est décimée. Il est la voix des damnés de la terre sainte. Il n’a quitté l’antenne ni après l’assassinat, 25 octobre 2023, de son épouse, de sa fille de sept ans, de son fils de quinze ans, de son petit-fils d’un an et demi, ni après avoir été blessé le 15 décembre 2023 aux côtés de son collègue Samer Abou Daqqa tué sur le coup, ni après le meurtre de son fils aîné, Hamza al-Dahdouh, journaliste, vingt-sept ans. Il déclare : « Hamza était tout pour moi. Alors que nous, les Palestiniens, nous sommes pleins d’humanité, les sionistes sont emplis de haine meurtrière ». Il  couvre  jusqu’où bout les événements dans sa ville natale, Gaza, réduite en cendres, avant de transférer ses bureaux et ses équipes à Rafah. Il compense la conscience absente d’un monde livré aux manipulations politiques et médiatiques.

Dimanche, 17 décembre 2023. Une tribune signée par deux cents journalistes sonne désespérément l’alarme. « Chaque jour, nos consœurs et confrères palestiniens se mettent en danger pour documenter la situation et informer le monde sur la situation à Gaza. Le Comité pour la protection des journalistes, qui tient des  statistiques depuis 1992, signale que les derniers mois représentent la période la plus meurtrière pour les journalistes dans un conflit. C’est la plus grande atteinte à la liberté de la presse et d’expression jamais observée. Dans l’horreur qui étreint Gaza, les journalistes palestiniens sont en première ligne. Les violations contre la liberté́ de la presse commises par la machine de guerre israélienne ne sont pas nouvelles, à l’exemple de l’exécution de Shireen Abu Akleh le 11 mai 2022 à Jénine en plein reportage. Nous dénonçons, par ailleurs, l’asymétrie de la compassion à l’œuvre dans les médias français, justifiant l’injustifiable, et la partialité́ de la couverture médiatique, qui occulte la réalité́ de la guerre coloniale en cours. Nous dénonçons le fait que des journalistes soient sanctionnés et censurés dans leurs rédactions lorsqu’ils ne font pas preuve de complaisance par rapport à la version de l’armée israélienne. Nous apportons tout notre soutien au journaliste  Mohammed Kaci, désavoué par la chaîne TV5 Monde pour  une interview jugée trop critique.  Le relai biaisé des événements, la minimisation de la colonisation, la dédramatisation des carnages israéliens  sont une faillite journalistique et morale. La stratégie israélienne réduit au silence les populations civiles, détruit les infrastructures des médias. Notre rôle n’est pas de relayer la propagande militaire. Notre rôle est d’informer, de rapporter les faits réels ».

A Gaza, les écoles se transforment en charniers d’enfants, les maternités en cimentières de nouveaux nés. Des corps écrasés par les chars gisent dans les décombres. L’apocalypse dans toute son horreur. Les puissances occidentales apportent leur aide militaire inconditionnelle à l’armée sioniste. Elles garantissent son impunité dans le Conseil de Sécurité de l’Onu. Les journalistes palestiniens ne meurent pas de balles perdues et de dommage collatéraux. Ils sont expressément frappés pour empêcher toute documentation écrite, photographique,  audiovisuelle. Ils ne sont plus visés individuellement par un sniper. Des missiles téléguidés exterminent plusieurs reporters à la fois. Selon le Syndicat des journalistes palestiniens, soixante maisons de journalistes, vingt-quatre stations de radio,  soixante trois bureaux de médias ont été détruits. Le 9 octobre 2023, un raid de l’aviation anéantit le district de Rimal abritant le bâtiment Hiji et plusieurs médias. Le rédacteur en chef Saeed al-Taweel du site Al-Khamsa News, les correspondants Mohammed Sobboh et Hisham Alnwajha de l’agence de presse Khabar, sont tués.

Audrey Azoulay, directrice générale de l’Unesco publie un communiqué de protestation : « Je déplore la mort des journalistes Saeed Al-Taweel, Mohammed Sobboh et Hisham Alnwajha. Je demande une enquête indépendante pour déterminer les circonstances de cette tragédie. Les journalistes couvrant des situations de conflit doivent être protégés en tant que civils, conformément au droit international humanitaire et à la résolution 2222/2015 du Conseil de sécurité des Nations unies sur la protection des journalistes, des professionnels des médias et du personnel associé dans les situations de conflit ».  Toujours en octobre 2023, le journaliste Assaad Shamlakh est liquidé avec neuf membres de sa famille par une frappe aérienne de leur demeure à Sheikh Ijlin. En novembre 2023, la journaliste Alaa Taher Al-Hassanat et le photojournaliste Mohammed Moin Ayyash  sont éliminés de la même manière avec plusieurs de leurs proches. La terrorisation sioniste atteint parfois son objectif. Le dimanche 7 janvier 2024, Anas El Najar, correspondant du China Media Group annonce l’abandon de sa mission : « Ma couverture journalistique s’arrête là. Inutile de transmettre des informations de terrain à une planète qui n’a aucune humanité, aucun empathie ».

L'Organisation danoise International Media Support pointe ce conflit comme le plus funeste des conflits depuis un siècle, 83 journalistes morts à Gaza en  deux mois, 71 morts pendant la guerre d’Irak en trois ans, 69 journalistes morts pendant la Seconde Guerre mondiale en six ans, 63 journalistes morts pendant la guerre du Vietnam en vingt ans. Le Syndicat des journalistes palestiniens dénombre 109 reporters délibérément abattus en trois mois.Le Comité de protection des journalistes, basé à New York, confirme globalement ces chiffres, 72 palestiniens, 4 israéliens, 3 libanais. Les journalistes étrangers sont interdits d’accès sur le territoire palestinien ou soumis au contrôle permanent de l’armée israélienne. Quand un journaliste gazaoui meurt, il n’y a personne pour le remplacer. Personne ne peut s’exposer à une mort certaine. La journaliste Ayat al-Khadour dénonce  l’utilisation de bombes au phosphore blanc et  de bombes thermobariques : « Les occupants israéliens larguent des bombes au phosphore blanc sur la zone de Beit Lahia, des bombes sonores effrayantes. La situation est terrifiante ». Elle ajoute : « Cela pourrait être ma dernière vidéo ». Peu de temps après, le lundi 20 novembre 2023, elle tombe sous un bombardement. L’utilisation de bombes au phosphore blanc, fournies par les Etats Unis, est confirmée par le Washington Post  daté du 11 décembre 2023. L'origine américaine des obus est vérifiée par Human Rights Watch. Les mêmes codes de fabrication apparaissent sur des obus au phosphore blanc alignés à côté de pièces d'artillerie israéliennes dans la ville de Sderot, près de la bande de Gaza, sur une photo prise le 9 octobre 2023. L’armée sioniste veut, à tout prix, rendre sa guerre invisible au prix d’une monstrueuse boucherie. Les fake-news, l’intelligence artificielle, la peste internétique brouillent les pistes.

 

 

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