Le premier exil, de Santiago Amigorena – Par Samir Belahsen

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Dan Mitrione, un agent qui a fréquenté bien des pays d’Amérique latine, est venu pour enseigner la torture… Il teste d’abord son savoir sur des sans-abris : « Il possédait, en quantité incalculable et qualité inégalable, cette faculté d’être inhumain qui est, finalement, la seule vraie méchanceté dont les hommes sont capables ». Quand les Tupamaros l’ont enlevé et exécuté, Sinatra et Jerry Lewis ont fait un concert pour aider sa famille.

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« J’ai accepté, pour me soulager du poids de mon mutisme, de m’étourdir dans le mutisme de l’écriture ».

Santiago Amigorena

« Si nos seules patries sont l’enfance et la langue, l’amour et l’amitié, sont nos seules nations ».

Santiago Amigorena

Après Une enfance laconique (1998), dont la narration s’achève lorsqu’il apprend à écrire, dans le Premier Exil (2021)» Santiago Amigorena revit sa jeunesse aphone en Uruguay.

On l’avait un peu découvert dans « Les Premiers Arrangements (2000) ».

Le Premier Exil s’inscrit, en fait, dans le projet autobiographique, formé de récits des différents chapitres de sa vie. Chaque livre est rattachée à un ensemble formant une fresque autobiographique où il est à la fois l’auteur, le narrateur et le personnage principal même si les parutions n’ont pas suivi l’ordre du temps. 

Dans toutes ces œuvres, les fantômes protecteurs sont Dante, Dostoïevski et Proust.

L’histoire : le salut vient de l’écriture

Le premier exil relate les années passées par la famille en Uruguay. Santiago a sept ou huit ans, il a quitté l’Argentine avec ses parents lors du coup d’État du général Juan Carlos Ongania. L’appellation officielle est la « Révolution argentine » (1966) qui avait instauré la dictature militaire et renversé le président Arturo Illia , élu en 1963. Une « révolution » libérale, catholique, nationaliste et anti-communiste qui déclarait : « l’autorité est au-dessus de la science ». 

C’était un basculement pour toute la région qui allait apprendre la mort du Che, un an plus tard en Bolivie, le Brésil et le Paraguay vivaient déjà sous des dictatures militaires.

L’Uruguay, où ils s’installent, connaît les débuts d’une lutte armée, menée par les Tupamaros. La violence y sera incontrôlable conduite par les paramilitaires, et leurs maitres inspirateurs états-uniens. C’est ce qui nous amènera au second exil de l’auteur…

Mais l’enfance du narrateur ressemble à toutes les enfances : l’Uruguay est d’abord l’« éternelle promesse d’un temps vacant ». 

L’enfant, exilé, reste organisé : « École – psychanalyste, école – dentiste, école – psychanalyste, école – dentiste. « Mes journées, quoi qu’il en fût, étaient rythmées comme une partition de salsa. » 

A part ça, il joue aux billes, il collectionne tout, des coquillage, des capsules de bouteille et les tickets de métro. 

Déjà « proustien », Santiago a peur de l’obscurité, et, redoute le moment du coucher. 

Les interrogations permanentes de l’enfant-narrateur sur la mémoire, le silence, la parole, l’école et l’amour ponctuent le récit. 

Tout proustien pourra se délecter…

« En amour, nous pouvons être légers et vaillants comme Shakespeare, célestes et puissants comme Dante, profonds comme Spinoza ou tourmentés comme Nietzsche, mais nous pouvons aussi être prévisibles et ternes, comme tant d’autres philosophes et comme tant de mauvais poètes » 

La terreur : l’apparition de l’oncle Sam

Tupamaros avait fait exploser un dépôt de la société Bayer qui, personne ne l’avait oublié à l’époque, avait produit le Zyclon B pour aider les nazis, produisait de l’agent orange pour aider les Américains à tuer les vietnamiens. Tommy, un Américain perché dans une maison haute, enseigne à l’enfant la dactylographie. A proximité, s’est intruse une maison, mystérieuse, dont il ne faut pas s’approcher :c’est le siège de la CIA. 

Dan Mitrione, un agent qui a fréquenté bien des pays d’Amérique latine, est venu pour enseigner la torture…

Il teste d’abord son savoir sur des sans-abris : « Il possédait, en quantité incalculable et qualité inégalable, cette faculté d’être inhumain qui est, finalement, la seule vraie méchanceté dont les hommes sont capables ». 

Quand les Tupamaros l’ont enlevé et exécuté, Sinatra et Jerry Lewis ont fait un concert pour aider sa famille. Pour sa succession, les mêmes officiers français qui avaient usé de la gégène à Alger transmettraient leur savoir à Buenos Aires (1976).

Comme Amigorena qui a osé en guise  de conclusion :« Plaignons-nous constamment mais ne nous plaignons pas trop », j’oserais un peu plus : Indignons-nous toujours et n’oublions rien !

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