Témoignages d’Européens du passé précolonial du Maroc, un ouvrage de Mustapha Hmimou

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De témoins étrangers venus au Maroc avec leur propre bagage culturel et leurs idées préconçues sur le pays, sur ses habitants et leur culture, sur son système de gouvernement et ses gouvernants. Et tous étaient, d'une manière ou d'une autre, des espions au service des intérêts de leur propres pays.

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TÉMOIGNAGES D’EUROPÉENS DU PASSE PRÉCOLONIAL MAROCAIN est un ouvrage documentaire, composé de textes choisis d'auteurs étrangers de France, d'Espagne, d'Angleterre et d'Allemagne. Auteurs qui ont visité et vécu au Maroc entre le milieu du XVIIIe siècle et le début du XXe. Quel que soient leur qualité et leur crédit, leurs récits font partie de l’histoire du Maroc. Ils renferment de précieux témoignages sur l’état des lieux du pays, sur son régime politique et ses gouvernants et surtout sur la vie sociale, culturelle, politique et économique au quotidien de son peuple. 

Mustapha Hmimou, auteur de Témoignages d’Européens du passé précolonial du Maroc

Comme tout témoignage humain, les leurs ne sont pas sans défauts. Leurs oreilles n’étaient pas des microphones et leurs yeux n’étaient pas des objectifs de caméra. Il s’agit plutôt de témoins étrangers qui sont venus au Maroc avec leur propre bagage culturel et leurs idées préconçues sur le pays, sur ses habitants et leur culture, sur son système de gouvernement et ses gouvernants. Et tous étaient, d'une manière ou d'une autre, des espions au service des intérêts de leur propres pays.

Leurs témoignages servaient à coup sûr de documents de renseignements aux pays européens qui, bien avant la découverte du continent américain, étaient déjà devenus des puissances maritimes coloniales et impérialistes sous prétexte de répandre la civilisation occidentale. Et chacun d'eux avait des ambitions coloniales au Maroc comme dans d'autres pays d’outre-mer. Par conséquent, il était dans l'intérêt de ses espions officiels ou officieux de s’enquérir autant que possible sur la véracité de ce qu'ils observaient et transcrivaient afin que leurs témoignages ne soient pas remis en question ou démentis par les explorateurs qui les ont précédés ou ceux qui viendraient après eux.

Cependant ces témoins n'étaient ni des historiens ni des sociologues. Leurs récits ne sont donc pas tous nécessairement des faits authentiques et leurs interprétations ne sont pas non plus scientifiques. Ce qu'ils ont vu de leurs propres yeux peut être déformé de bonne foi ou volontairement selon leurs préjugés ou leurs bonnes ou mauvaises humeurs. Il en est de même de ce qu'ils ont entendu autour d’eux de la part des traducteurs marocains, musulmans et surtout juifs, qui étaient pour la plupart analphabète sans instruction et superstitieux, et de la part des marchands et diplomates européens résidant au Maroc. Ceux-ci avaient également leurs préjugés qui pouvaient déformer les faits de bonne foi ou à dessein. Y faire le tri entre le vrai et le faux reste de la prérogative des chercheurs académiques et des historiens.

Quant aux communs des mortels Marocains, faute de mieux, ils peuvent tout de même entrevoir à travers ces témoignages une certaine réalité du passé de leur pays et surtout celle des conditions de vie au quotidien de leurs ancêtres qui y vivaient à ces époques. Réalité marocaine, souvent étayée par des comparaisons explicites ou implicites avec les conditions de vie dans les pays développés et bien avancés aux mêmes époques. C'est la réalité que nous ne pouvons toujours pas bien savoir ni à travers les témoignages rapportés par les Marocains de ces temps, ni dans les récits des chroniqueurs et des historiographes parmi eux, ni non plus de ceux qui leur ont succédé. Pourquoi ?

Les faits et les événements qui suscitaient l'attention et la curiosité de l'étranger, par rapport à ce qui se passait dans son pays d'origine, étaient si ordinaires pour tout Marocain de toute époque qu’il ne lui venait pas à l’esprit de les transcrire. Les témoignages des Marocains, comme simples chroniqueurs ou historiographes, se limitaient souvent et surtout aux faits et gestes des gouvernants, à leurs guerres récurrentes et aux menus détails de leurs luttes intestines pour le pouvoir. Et ce des fois avec assez d’apologie et de flatterie, à tort ou à raison, pour leurs commanditaires, ou pour ceux avec qui ils sympathisaient, et avec autant sinon plus d’invectives à l’encontre de leurs adversaires. Tout cela avec très peu de nouvelles qui nous intéressent sur la réalité des conditions terre-à-terre du pays et surtout celles de la vie du bas peuple, en plus de l'absence totale de toute description de la nature du système de gouvernement unique auquel ils sont habitués et n'en savaient pas d'autres différents qui pouvaient retenir leur attention.

Ainsi, compte tenu du peu que tous les communs des mortels Marocains connaissent aujourd'hui du passé de leur pays à travers les programmes scolaires et à travers divers médias, ils ne pourront que s'étonner voire s’offusquer souvent de ce que ces témoins étrangers ont rapporté de récits étranges et insoupçonnés sur le pays et son peuple. Des faits que seule l’élite savante du pays sait bien, notamment les académiciens. 

Cette nouvelle génération moderne d’académiciens marocains qui par ses précieuses recherches scientifiques a commencé depuis 1976 à nous fournir des œuvres sur l’histoire édifiante du pays où prédomine, plutôt et comme il se doit, la vie au quotidien du petit peuple sous le gouvernement de l’ancien régime. Des œuvres assez bien documentées qui rapportent avec un luxe de détails ce qu’on retrouve en vrac dans les témoignages de ces étrangers. Des œuvres en français et surtout en arabe, comme celui d’Ahmed Tawfiq, encore ministre au gouvernement du Maroc jusqu’à ce jour de 2023. Ouvrage intitulé « La société marocaine au XXIe siècle (cas de Inoultan de 1850 à 1912) ». 

Ces témoignages étrangers dont le fond ainsi corroboré, comportent un précieux et riche enseignement, en particulier pour les jeunes Marocains d'aujourd'hui et à venir. Ils sont surtout de nature à démystifier, comme il se doit, le passé de leur pays et de leurs ancêtres. Passé souvent sinon toujours beaucoup trop glorifié, au point qu’ils imaginent qu'il était bien meilleur que le présent, parce que tout simplement ses dirigeants étaient musulmans. Une glorification tous azimuts selon une politique postcoloniale, justifiée peut être au début de l’indépendance du pays selon un document académique, mais qui n’a plus raison d’être six décades après, vu surtout les risques de dérives extrémistes et fanatiques qu’elle comporte de nos jours.

Il est donc grand temps que ces nouvelles générations de marocains sachent que  leurs ancêtres, gouvernants et gouvernés, étaient de simples êtres humains aussi faillibles qu’eux-mêmes et non pas du tout des saints. Comme tout le monde et en tout temps, ils faisaient le bien comme le mal, et ils faisaient parfois et même souvent plus de mal que de bien. La meilleure preuve en est ce que nous savons de leur histoire rapportée en abondance et sans nulle complaisance par les chroniqueurs et historiographes musulmans à différentes époques. Et ce, au point qu’un esprit malin a dit par dérision que si un non-musulman aimerait aujourd'hui en savoir plus sur l'islam pour s’y convertir et commence par lire l’histoire des musulmans dans l’ouvrage intitulé : « LE DEBUT Et LA FIN » d'Ibn Kathir, il aurait désavoué le culte musulman et préféré garder le sien. Et c’est ce qui arrive toujours quand on confond l’Islam avec la vie au quotidien des musulmans faillibles comme tout être humain. 

Ce que les Marocains, comme le reste des musulmans d’ailleurs, ont l'habitude d'apprendre dans les programmes scolaires, de lire, de regarder et d'écouter tout le temps dans divers médias, de glorification exagérée du passé des musulmans au Maroc comme ailleurs, est de nature à leur faire croire que la justice du calife Omar, que les nobles enseignements de l’Islam, que la culture abbasside florissante à Bagdad et que la rayonnante civilisation omeyyade à Cordoue, ont tous prévalu dans tous les pays musulmans tout au long des siècles avant l'ère coloniale, et que la seule raison du retard actuel de leur monde musulman et de la corruption qui y règne de nos jours réside en tout et pour tout dans la modernité et la civilisation européenne importée.

En prenant connaissance des témoignages de ces étrangers, avec leurs mérites et leurs défauts, et conformément aux nobles finalités de l’islam, les Marocains et les jeunes en particulier réaliseront que le présent de leur pays est infiniment bien meilleur que son passé à tous égards, et que les conditions déplorables qui y subsistent encore, sont de très loin bien moins mauvaises que celles de leurs ancêtres. Forts de ces convictions, ils les plaindront gouvernants et gouvernés, sans les juger, mais ils tiendront plutôt compte de leurs circonstances de vie de ces époques dans le régime de gouvernement archaïque et des contraintes qui leur en pesaient. Et ils seront bien conscients des erreurs du passé pour ne pas les reproduire en aucune façon. Et en même temps, ils prendront bien conscience des innombrables bienfaits et progrès du présent, et chercheront à faire avancer davantage le pays, au lieu de trouver parmi eux certains, si minoritaires soient-ils, qui menacent sa sécurité et celle de son peuple afin de reproduire le fameux régime archaïque avec ses gloires chimériques. 

Des ouvrages de ces témoins étrangers nous n'avons reproduit ou traduit ici, dans un français plutôt moderne et digest, que les passages qui révèlent des aspects du passé du Maroc peu ou totalement inconnus de tous les Marocains, ou qui sont encore enveloppés d'une épaisse ambiguïté, notamment ceux qui concernent le sol, le peuple, son mode de vie au quotidien et surtout le mode de gouvernement de l’ancien régime.

Et nous espérons que ce livre stimulera l'appétit du lecteur marocain pour lire de telles œuvres ou celles qui ont été traduites en arabe pour ceux qui ne savent pas les lire dans leurs langues d’origine. Et ce, avec l'espoir que d'autres se porteront volontaires pour en traduire le reste pour d’ample profit. Nous espérons également que les académiciens prennent la peine de simplifier et de généraliser le fruit de leurs précieux travaux scientifiques en matière d'histoire inédite du Maroc. Nous espérons surtout que les divers médias prennent la peine d’en faire l’écho qu’ils méritent bien, afin que le plus grand nombre puisse en profiter. Nous avons exposé ces témoignages par ordre chronologique à partir du plus ancien à l’époque du règne de Sidi Mohammed Ben Abdellah. Epoque qui coïncide d’ailleurs avec la grande révolution française de 1789.

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