Le Maroc, une obsession algérienne

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Naoufel Brahimi El Mili est un politologue algérien qui, selon sa biographie, enseigne à sciences Po Paris. Il est l’auteur du tome 1 qui court de 1962 à 1992 sur les relations franco-algériennes. A la une de couve on peut déjà voir alignées les photos  des présidents Charles de Gaule, Houari Boumediene, Valery Giscard d’Estaing, Chadli Benjedid et François Mitterrand. Ils ont en commun les yeux frappés d’un bandeau noir comme s’il s’agissait de vulgaires criminels qu’on vient de prendre la main dans le sac.

J’avoue n’avoir rien compris à la sémantique de cet acte. Ni avant et moins encore après avoir lu le livre qui porte un long titre : France – Algérie, 50 ans d’histoires secrètes, tout ce qu’on n’avait pas osé écrire. « Rien que ça » pour reprendre un tic de langage de l’auteur. D’habitude je me méfie de ce genre d’accroches. Souvent elles dissimulent une supercherie et constituent des attrape-nigauds. Mais comme c’est mon cher ami Khalil Hachimi Idrissi qui me l’a offert d’un air entendu, je me suis fait un devoir d’aller jusqu’au bout de la corvée. En fermant le livre à la quatre-cent-troisième page, je sentais encore un creux, un grand creux au fond de ma tête.

L’un de mes grands étonnements - déceptions, c’est qu’au milieu de toutes les références citées par l’auteur, à aucun moment il n’a été fait mention de Mohammed Harbi qui a payé plus qu’à son tour. Historien, celui-ci a occupé des postes importants au sein du FLN avant et après l’indépendance. Cet oubli n’a aucun mystère : l’historien n’est pas boumédienniste, proche, entre autres, de Krim Belkacem, un historique du FLN assassiné en 1970 par des barbouzes du régime algérien en Allemagne. Et c’est le grand tort de N. Brahimi El Mili, n’avoir pas pu vraiment se libérer de sa sympathie pour Boumediene, d’avoir écarté de son champ de décryptage les vrais critiques du régime.

« 50 ans d’histoires secrètes», a promis l’auteur qui a juré de dire « tout ce qu’on n’avait pas osé écrire ». Trop prétentieux pour être vrai. Le livre se résume à une longue compilation d’articles de presse et de citations d’hommes politiques glanées dans des interviews ou dans des mémoires laissés à la postérité par leurs auteurs. Il a bien essayé de les agencer pour donner à son ouvrage un semblant de témoignage d’un connaisseur des arcanes algériens, mais l’effort s’arrête là. Ce qu’il révèle, ce n’est que de l’open, rien que de l’open. Les luttes intestines, les intrigues diplomatiques, la mégalomanie d’Alger née de l’Algérie Mecque de tous les révolutionnaires, ses prétentions au leadership du tiers-monde sous tendues par sa paranoïa de la grande révolution victime de tous les complots, les relations passionnelles avec la France et Paris Mecque de tous les Algériens ou presque, les va-je-ne-te-hais-point-qui-jalonnent les rapports entre l’ancien colon et la jeune république indépendante, rien que du recyclé.

Mais attention, dans France – Algérie, il y a le Maroc. Tout entre ces deux pays, souligne l’auteur, se définit par rapport à l’attitude de Paris à l’égard de Rabat et du Sahara. Jamais le régime algérien ne baigne autant dans le bonheur que quand les relations entre le royaume chérifien, perfide, forcément perfide, et la monarchie élyséenne, suspecte, forcément suspecte, ne sont pas au beau fixe. Les officiels algériens et leurs intellectuels ne l’avouent jamais. Naoufel Brahimi El Mili a « osé l’écrire ». Le Maroc est une obsession algérienne. C’est la seule audace de son livre.