Le baiser de l’araignée

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Le vieux généralissime que personne n’attendait à un si singulier destin, avait 80 ans. Au moment où Abdelaziz Bouteflika arrivait au pouvoir en 1999, Ahmed Gaïd Salah, un général qui n’avait pas beaucoup l’estime de ses compères au Club des officiers, était sur le départ à la retraite. 

Officiellement il est mort d’une attaque cardiaque survenue à l’aube, statistiquement son moment préféré pour s’en prendre à ses victimes. Médicalement ça colle…

Sa destinée, ou son mentor Abdelaziz Bouteflika qui avait besoin d’un officier à la mesure de sa main, sans doute les deux, en ont décidé autrement. Un adage arabe dit que les « choses se jugent par leurs fins » et celle d’Ahmed Gaïd Salah l’a prédisposé à occuper une place de choix dans l’histoire de son pays. 

Elle le retiendra comme un improbable chef d’état-major, devenu recordman à ce poste, qui, à coups d’alliances et de contre-alliances, a surpassé, en les liquidant tour à tour, l’essentiel des « grands généraux » de l’Algérie :

De Khaled Nezzar contraint à la fuite à Mohamed Lamari isolé et poussé à la retraite, et de Mohamed Médiane, alias Taoufiq, qui croupit dans une geôle d’une république démocratique et populaire de plus en plus méconnaissable, au grand ménage dans les commandements des régions militaires, juste avant la candidature avortée de Bouteflika à un cinquième mandat, on ne peut pas dire que Gaïd Salah a fait dans la dentelle ou a été regardant sur le détail.

Les annales en garderont aussi l’image d’un Brutus qui a participé à l’assassinat de son César, mais aussi comme le général qui n’a pas voulu (ou n’a pas pu) réprimer le hirak dans le sang. 

Officiellement il est mort d’une attaque cardiaque survenue à l’aube, statistiquement son moment préféré pour s’en prendre à ses victimes. Médicalement ça colle. Ça colle d’autant plus que ce vieil homme de 80 ans, qui sillonnait la vaste Algérie d’un bout à l’autre dans une conjoncture d’extrême tension, ne s’économisait pas. Il portait sur lui une surcharge pondérale qui arriverait à bout de n’importe qui, et il a subi ces 11 derniers mois un stress qui ferait sauter le plus solides des électrocardiogrammes. 

Mais dans une Algérie si opaque, au pouvoir si mafieux, où même le décès en 1978 de Houari Boumediene, le père-fondateur de cette Algérie qui se déploie sous nos yeux, est frappé de suspicion, la mort de Gaïd Salah, une fois le deuil passé, fera, à ne pas en douter, jaser. 

Cette mort à point nommé, trois jours après l’investiture d’un nouveau président, comme si une fois sa mission accomplie les muscles de son cœur ont décidé de prendre un repos bien mérité ; cette décoration, apanage des chefs d’État dont on ne gratifie que les partants ; cette ayat du Coran qu’on réserve aux obsèques, chantant les louanges de ceux qui parmi les croyants « ont atteint leur fin », juste avant la remise de la haute distinction, tout concourt pour faire que la mariée était trop belle.

Et surtout ce baiser du nouveau président à la fin de la cérémonie d’investiture, une embrassade de la patrie reconnaissante ou le baiser de l’araignée qui étreint pour mieux étouffer ?