La leçon tunisienne remet-elle en question le déterminant de la diplomatie marocaine ? - Par Bilal TALIDI

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Le Roi Mohammed VI le 20 août 2022 s’apprêtant à adresser un discours à la Nation à l'occasion du 69-ème anniversaire de la Révolution du Roi et du Peuple. A ses cotés, le Prince héritier Moulay El Hassan et le Prince Moulay Rachid

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La décision du Maroc de faire de la question du Sahara un déterminant fondamental dans ses politiques et ses relations extérieures, mettant fin aux accommodements avec des positions marquées d’ambiguïté et d’ambivalence de certains pays a généré une interrogation lancinante : 

Le Royaume est-il en mesure d’imposer ses paramètres sans que ses intérêts vitaux n’en subissent les contrecoups dans un environnement régional empreint de fluctuations et d’incertitudes ? Et sii le Maroc est résolu à faire valoir ce principe, indépendamment des conséquences potentielles, sa diplomatie dispose-telle de la réponse appropriée aux changements des positions des alliés traditionnels et nouveaux ? 

Une démarche qui a fait ses preuves

Le Maroc a réussi, à maintes reprises, d’amener à des positions confortant son approche du dossier du Sahara des Etats européens (Suède, Allemagne, Espagne) aussi que des pays arabes (Egypte et plus ou moins les Emirats arabes unis et l’Arabie saoudite). Depuis qu’il a érigé la question du Sahara en déterminant de ses partenariats stratégiques, le Royaume n’a jusqu’ici subi aucun revers. 

Tour à tout, Rabat est parvenu à reprendre sa position pionnière au sein de l’Union africaine, à isoler l’Algérie sur la scène arabe, notamment au niveau des Etats du Golfe, à amener un nombre considérable de pays européens à reconnaître la proposition marocaine d’autonomie comme une solution réaliste et crédible, et à réaliser d’importantes percées dans des espaces naguère chasse gardées des thèses séparatistes (nombre de pays d’Afrique et d’Amérique latine). Last but not least, le Maroc a tissé des relations stratégiques avec Moscou et Pékin lui permettant de s’assurer, si ce n’est un certain soutien, du moins une sorte de neutralité et d’équilibre dans les positions de ces deux puissances mondiales.

La thèse de la souplesse

Si ces arguments, semblent irréfutables, et révèlent en creux la pertinence du mantra diplomatique marocain, une antithèse creuse toutefois son sillon. Elle argue que la récente visite du président français Emmanuel Macron en Algérie, l’accueil réservé par le président tunisien Kaïs Saied au chef des séparatistes au TICAD VIII, et la dynamique des relations algéro-mauritaniennes au cours des derniers mois sont des indicateurs qui imposent la révision de l’approche et l’observance d’une bonne dose de souplesse dans la gestion de ce principe sacro-saint, en fonction du contexte international et de ses imbrications complexes. 

Pour ce point de vue, l’approche ainsi suggérée serait d’autant plus fondée que l’Algérie, en tant qu’acteur, producteur et incubateur de tous les complots et manœuvres ourdis contre l’intégrité territoriale du Royaume, retrouve un confort financier et positionnel en raison de la demande européenne sur ses livraisons énergétiques, dopées par la perspective de voir ce pays jouer un rôle dans la compensation des livraisons gazières russes, et de la hausse des cours des hydrocarbures sur les marchés mondiaux.

C’est là sans soute un raisonnement qui ne manque pas de son propre bon sens et mérité discussion. L’Algérie a accru de façon inédite son emprise sécuritaire et économique sur la Tunisie de Kaïs Saied. Elle a servi d’intermédiaire pour tisser des liens voulus secrets entre la Tunis et le Téhéran des ayatollahs et plus précisément le Hezbollah libanais. Elle est en passe de faire de la Tunisie une arrière base logistique de l’extension russe en Afrique du Nord. L’Algérie a également travaillé les élites tunisiennes de sorte à instiller en elles l’acceptation de son influence, en leur faisant miroiter qu’elle détient la panacée de la crise économique et financière étouffante de leur pays.

Ce que sait le Maroc

Le Maroc pouvait-il ignorer ces données ? Rien n’est moins sûr. En politique, nul n’est obligé d’affronter l’adversaire avec ses mêmes armes, a fortiori lorsque celles-ci ne sont pas égales. La manne financière dont dispose l’Algérie habituée à investir dans ce qui lui assurerait la chimérique position d’Etat pivot au lieu de se consacrer à son propre développement, lui permet assurément de s’investir dans la crise économique de la Tunisie et pourrait même pousser Tunis à modifier sa doctrine politique et à revoir une certaine neutralité qu’il a souvent observée vis-à-vis du conflit du Sahara. Ce ne serait certainement pas la première fois que Tunis depuis l’indépendance se soit positionné clairement contre les intérêts supérieurs du Maroc pour ses propres calculs ou pour le compte de puissances qui ont la main sur sa politique extérieure. 

L’Algérie peut aussi fournir à la France une marge de manœuvre lui permettant de contenir celle de Rabat qui appelle ses partenaires à plus de clarté au sujet du Sahara. Elle peut également s’investir dans les crises que traversent certains pays africains et de pousser la Mauritanie, par exemple, à s’éloigner de la position marocaine. 

Les faiblesses d’Alger

Mais, en politique, la carte financière ne peut suffire à elle seule. Le Maroc a accumulé de son coté plusieurs acquis difficiles à saborder par le simple achat des consciences. Il y également un contexte international et régional induit par la guerre russe en Ukraine. Il limite drastiquement le recours au seul sonnant et trébuchant pour influer sur les positions de certains pays.

L’Algérie peut se réjouir du nombre de pays européens qui la courtisent pour augmenter ses livraisons énergétiques. Mais si elle veut recourir à l’arme du gaz et du pétrole pour dresser certains pays de l’UE contre les intérêts vitaux du Maroc, Alger n’a d’autre choix que de basculer dans une tranchée autre que celle de la Russie, ce que Moscou ne saurait admettre d’un allié stratégique qui se transformerait alors de facto en une force sape, allant à l’encontre de ses tactiques énergétiques en matière de gestion de son conflit avec l’Europe et plus généralement avec l’Occident. Dans cette guerre Moscou joue sa survie. C’est ce qui fait en partie qu’en dépit des apparences et ses folklores, la visite de trois jours en Algérie du président français Emmanuel Macon ne semble pas avoir eu les résultats escomptés.

Les pays européens, la France en particulier, ne sauraient accepter un partenariat stratégique avec l’Algérie sans un éloignement de la Russie, fut-il relatif, et sans que les dirigeants du Palais El Mouradia ne changent leur position au sujet du dossier malien, de sorte à aider Paris à récupérer le terrain perdu au cours des derniers mois au Mali, mais aussi dans d’autres pays traditionnellement ‘’fidèles alliés’’. C’est ce qui incite le président Macron martèle à tout bout de champ que le retrait des forces françaises du Mali ne signifie pas la fin de son influence dans ce pays.

L’œil de l’OTAN

Il est en conséquence impensable qu’en s’appuyant sur sa manne financière l’Algérie puisse avoir les coudées franches pour faire ce que bon lui semble et, corollairement, saborder les choix du Maroc de faire du Sahara le prisme à travers lequel il perçoit et établit ses relations et ses alliances stratégiques avec les autres pays.

Dans le sillage du rapprochement entre Alger et Moscou permettant à la Russie d’étendre son influence au Mali, la Mauritanie, aux côtés du Maroc et du Sénégal, est retenue, et son comportement observé, dans la stratégie de l’OTAN pour contrecarrer la présence russe dans au Sahel et en Afrique de l’Ouest.

Même la Tunisie, d’habitude chouchoutée, s’est réveillée un jour sur des déclarations fortes et inhabituelles du Secrétaire américain à la Défense recelant une menace à peine voilée au pouvoir en place, en raison soit disant de l’entorse faite au processus démocratique dans le pays.

Quelques élites tunisiennes invoquent « la décision souveraine » et le «rejet de l’ingérence dans les affaires internes », croyant que la mise en demeure américaine était liée à la position de Washington au sujet de la suspension par Kaïs Saied des institutions et de la Constitution pour asseoir ainsi son autoritarisme. Elles oublient seulement que ces mises en garde n’émanaient pas du Département d’Etat américain, mais du ministère de la Défense, ce qui traduit la colère de Washington contre l’extension de l’influence de la Russie et de l’Iran dans la région et un désaveu du rôle trouble que joue la Tunisie dans ce domaine à travers son alignement sur l’Algérie au service de son agenda.

Le gaz, nécessaire mais pas suffisant

L’importance de la manne financière est indéniable. Tant elle peut causer des troubles et provoquer des confusions. Mais le Maroc, par sa compréhension précise de la situation internationale et régionale, est pleinement conscient des limites de cette carte et de l’horizon qu’elle permet de dégager. 

L’Algérie peut croire et s’en réjouir d’avoir amené la France à ses côtés aux dépens du Maroc. Mais le président Macron, à peine a-t-il quitté l’Algérie qu’il a annoncé, comme par inadvertance, sa visite au Royaume en octobre prochain. Une démarche qui renseigne sur une conviction profonde de Paris qui ne supporterait jamais, tout comme par le passé, le maintien d’une tension avec Rabat et que la France n’est pas prête de renoncer l’équilibre précaire, qui arrange sa diplomatie, entre le Maroc et l’Algérie. 

Il est vrai que l’Europe a besoin de l’Algérie, mais elle perçoit mal son rôle de sous-traitant de l’influence russe. Le besoin en gaz algérien s’il est nécessaire n’est pas suffisant pour dissuader le Vieux continent d’œuvrer de toutes ses forces, notamment avec ses partenaires traditionnels, à contenir géopolitiquement l’Algérie et l’empêcher de renforcer la présence russe dans la région.

La même Tunisie, dont le président a reçu en grandes pompes le chef des milices et répondu par des contrevérités au communiqué marocain, a dû réitéré, consciente tout de même de ses limites, son attachement à la ‘’neutralité’’ dans le dossier du Sahara, révélant par la même le degré d’hésitation qui secoue sa structure diplomatique et l’étroite marge de sa liberté d’action.

En définitive, tout milite en faveur du maintien du principe érigeant la question du Sahara en fondement des politiques extérieures du Maroc, qui jusque-là a fait ses preuves. Ce qui s’est passé en Tunisie ou risque de se produire dans tout autre pays n’implique pas nécessairement la révision de l’approche actuelle au profit d’une démarche présumée pragmatique. Il s’agit bien au contraire de redoubler de vigilance, de renforcer les efforts et de consolider la structure diplomatique, particulièrement dans les pays où des dérapages similaires à ceux de la Tunisie sont susceptibles de se produire. 

 

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