Il y a 23 ans, Hassan II nous quittait – Par Abdelaziz Tribak

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Et l’on se retrouve après 23 ans de la mort de Hassan II avec un pays « potable » (surtout lorsque l’on compare avec son entourage « naturel »). Un pays où le meilleur est toujours possible

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Hassan II est décédé le 23 juillet 1999. Cet instant fatidique est arrivé alors que j'étais à Paris en visite à ma sœur. J'estimais que la "transition" avait été savamment préparée, notamment par la constitution consensuelle de 1996 et par le geste historique de « l’alternance » (fruit d’un mûrissement politique collectif, de l’ancienne opposition notamment)… Mais, sait-on jamais en politique ? 

Surtout qu'à l'époque "Al Adl wa al Ihsan" en était encore aux visions et rêvait de "Qawma", avec les mêmes médias de l'hexagone qui en faisait leur dada... Et puis quelques gauchistes dont le mur n'était pas encore tombé. Et ceux « en haut » qui rêvaient d’une place meilleure, voire primordiale, dans le nouvel échiquier politique qui s’annonçait…Mais, j'étais plutôt serein. 

La figure de Hassan II avait pris pour moi la grande dimension qu'elle avait dans les faits. J'avais réajusté mes lunettes auparavant. Je revenais de loin. J'avais fait partie de la génération qui avait scandé dans moult ruelles du pays "مطيشة بلا ملحة و الحسن خصوا ذبحة) "même Google n'arriverait pas à la traduire avec la rime)... Mais j'ai eu le temps de revoir tout cela depuis. Après la chute de la « fièvre » militante j’ai eu de longues années pour réfléchir à tout cela, par moi-même et loin des œillères idéologiques étroites de mes années de jeunesse militante. D’ailleurs, j’ai vécu un moment « cocasse » en 1993, lors d’une réception au quartier des ministères organisée à l’occasion de la soirée électorale de l’époque. Nous étions quatre anciens détenus gauchistes parmi le public « sélect » du plateau de retransmission des résultats quant Hassan II est venu jeter un coup d’œil au public présent. Nous avons beaucoup rigolé et commenté l’événement, nous quatre, dont deux étaient journalistes professionnels. A nous quatre nous valions 70 ans de taule à l’époque, et là nous répondions sagement au salut lointain de Hassan II. Qui a dit qu’elle ne tournait pas ? 

Toujours est-il qu’en ce 23 juillet 1999 j’étais à Paris et très touché par la mort du Roi. Le 25 juillet c’était le jour de l’enterrement de Hassan II, et entretemps, nous avions reçu la visite de notre ami Francis Schwan (décédé fin 2019). Francis était un militant de longue date d’Amnesty International, un grand humaniste laïc, qui avait accompagné ma « carrière » de taulard durant sa plus grande partie. Il y est entré par une lettre et n’en est pas encore « sorti » malgré sa mort. A ma libération, fin1986, F. Schwan avait pris du temps pour saisir toute la portée de ma « mutation » politique, et tout en restant sur son front de lutte pour la libération des détenus politiques, au Maroc et ailleurs, nos rapports étaient devenus quasi familiaux jusqu’à sa mort. 

Là, ce 25 juillet, il se trouvait avec nous à Paris, à « cogiter » sur Hassan II, et surtout à essayer de penser le temps politique marocain qui s’annonçait.

 Au-delà de nos « réflexions », ma sœur (qui ne partageait pas forcément l’ensemble de mes points de vue) et moi étions profondément émus. Et cette émotion a fini par gagner l’ami Francis très sensible à notre état d’esprit. Jusqu’au point que le responsable d’Amnesty International et son ancien coordinateur pour le Maroc ait décidé de nous accompagner à la mosquée d’Evry-Courcouronnes pour y suivre collectivement la retransmission de la procession funéraire devant accompagne Hassan II à sa dernière demeure. 

Encore fallait-il atteindre cette mosquée (à une 30 de kms de Paris) à temps à l’époque où Mister Google n’était pas encore aussi serviable. Il fallait nous voir courir dans les bouches de métro et les quais des trains de banlieue. Ma sœur et moi avions l’âge et l’émotion pour le faire. Francis avait l’âge de ma défunte mère, quand même, et avait rédigé pas mal de rapports « chauds » contre la politique « répressive » du « régime » de Hassan II. Mais il était là pour accompagner notre douleur et à courir avec nous comme un jeune premier pour être à temps à la mosquée parmi des citoyens marocains éplorés par la perte d’un leader aussi attachant ayant marqué de son empreinte le Maroc de l’après indépendance. Etait-ce par solidarité avec nous, ou aussi par une sorte de « fascination » envers la personnalité d’un homme aussi particulier ? Je n’ai jamais posé la question à mon ami Francis, et ce n’est pas le genre de question à poser en tout cas. 

Toujours est-il qu’on a battu des records de course et qu’on s’est retrouvé en sueurs à la mosquée parmi des centaines de compatriotes tout à leur peine. 

Ma relation à la mosquée se limitait, à l’époque, aux cérémonies funéraires. Et curieusement, la seule fois où je m’étais senti en « paix » intérieur dans une mosquée, en paix d’âme et de corps, c’était lors d’une manifestation dans la médina de Salé, en 1972, contre le « régime » de Hassan II. Après une charge policière musclée (ce qui était rare à l’époque car Oufkir jouait le « pourrissement » de la situation), je n’ai trouvé mon salut qu’en me faufilant à l’intérieur d’une mosquée où je suis resté très longtemps à repenser le monde avant de m’en aller sain et sauf. 

J’avais promis à Francis un « tableau » grandeur nature sur l’attachement des Marocains à la Monarchie et à la personne du Roi Hassan II. Et ces funérailles m’ont réaffirmé dans mes convictions et mon cher Francis (que je me suis empêché de « bousculer ») en a sûrement tiré quelques conséquences. 

L’Histoire « immédiate » a reconnu les mérites de Hassan II, dans la construction d’un nouvel état marocain, et l’Histoire éternelle prendra le temps qu’il faut. Bien sûr tout ne fut pas à l’eau de rose sous Hassan II, mais toute analyse se doit de situer les événements dans leur contexte. Hassan II n’avait pas face à lui des enfants de chœur ni des démocrates rêveurs… pas la peine d’y revenir là-dessus. Et parmi le cortège des chefs d’états présent lors des funérailles combien ne traînaient-ils pas des casseroles, eux ou leurs prédécesseurs ? Les temps ont changé, les mœurs politiques aussi (ou presque). 

Et l’on se retrouve après 23 ans de la mort de Hassan II avec un pays « potable » (surtout lorsque l’on compare avec son entourage « naturel »). Un pays où le meilleur est encore possible, malgré tous les aléas, mais où le pire n’est pas tout à fait relégué aux oubliettes. Une partie du pays tire de l’avant, une autre ne s’occupe que de ce qui l’intéresse et une autre tire vers le bas. A tous les étages ! L’ensemble avance pour le moment, malgré les « populismes » et l’insignifiance de certains acteurs politiques occupant les premières loges ! Pour le bien du Maroc et de tous, pourvu que ça dure ! 

Tétouan, le 25 juillet 2022

 

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