Un détail mineur ! – Par Samir Belahsen

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L’immense écrivaine palestinienne Adania Shibli, interdite de rencontre, interdite de prix, interdite de parole

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Le 11 octobre dernier, l’Institut du Monde Arabe avait annoncé sa décision de reporter à une date ultérieure des événements programmés dans le cadre de l’exposition Palestine” en raison de la guerre entre le Hamas et Israël. 

Hier, le 17 octobre on a appris que l’immense Adania Shibli n’allait plus recevoir sa récompense au salon du livre Frankfort. La raison : Les récentes attaques du Hamas contre Israël.

Sous le fracas des bombes israéliennes qui écrasent les hopitaux, c’est le mutisme strident que l’on impose. Silence, on tue !

LiProm, l’association organisatrice du prix qualifie ces attaques de “barbares” et a expliqué qu’elle voudrait cette année rendre les voix israéliennes “particulièrement audibles”. La rencontre prévue entre l’autrice et le public est elle aussi annulée.

L’association avait prétendu que la décision avait été prise en accord avec Adania qui a catégoriquement démenti.

Plus de 600 personnalités du monde de l’édition et de la littérature ont signé et publié une lettre ouverte pour s’insurger contre cette décision.  On peut en citer les Prix Nobel de littérature Abdulrazak Gurnah, Annie Ernaux et Olga Tokarczuk, Naomie Klein…, on peut lire dans cette lettre publiée par Le Monde :“La Foire du livre de Francfort a la responsabilité de créer des espaces permettant aux écrivains palestiniens de partager leurs pensées, leurs sentiments et leurs réflexions sur la littérature en ces temps terribles et cruels, sans les fermer”.

L’éditrice, Barbara Epler, avait écrit au New York Times :

Annuler la cérémonie et tenter ainsi d’étouffer la voix d’Adania Shibli, en raison de la guerre en Israël, est un acte lâche. Mais dire qu’Adania Shibli avait donné son accord (alors même que Gaza traverse une si grande épreuve) est bien pire.”

Lâcheté et mensonge

Ce sont les ingrédients inséparables des crimes les plus abominables.

Je ne peux m’empêcher de faire le lien avec le roman qui était censé être récompensé : Un détail mineur…

Ce roman concis, bien mûri, qui flétrit le viol comme arme de guerre et donne à penser l’oubli de l’horreur et l’horreur de l’oubli.

En 2003, Haaretz avait révèlé qu’en août 1949 des soldats sionistes avaient kidnappé et violé collectivement, puis assassiné et enterré une jeune bédouine du Néguev. 

Adania Shibli reprend ce crime et le raconte en deux étapes. Dans la première moitié, elle relate le déroulement du quadruple crime avec une objectivité quasi chirurgicale. Kidnapping, viol, assassinat et enterrement. L’officier israélien anonyme est maniaque de l’ordre et de l’hygiène, sa présence est hypnotique. La victime, elle aussi n’est jamais nommée. 

Dans la deuxième partie est narrée à la première personne, sur un ton très subjectif et ironique, par une Palestinienne d’aujourd’hui, obsédée par le fameux “détail mineur” de l’incident : sa date, le fait qu’il se soit produit vingt-cinq ans jour pour jour avant sa naissance. 

Bravant les obstacles imposés par l’occupant, elle parvient à se rendre dans le Néguev dans l’espoir d’exhumer le récit occulté de la victime. Elle se meut détective à la recherche de la vérité …

Un roman décapant qui dénonce le viol comme banale arme de guerre, et aborde subtilement le jeu de la mémoire et de l’oubli.

La bédouine est violée une seconde fois plus de 74 ans après son assassinat. Le fameux officier innomable est toujours là pour interdire, étouffer, violer, bombarder, nier et enterrer.

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