II - ''L'URGENCE D'UNE POLITIQUE PATRIMONIALE NATIONALE'' – Par Omar Farkhani

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Ksar Abaddou – La préservation du patrimoine commence par l’élaboration d’une vision et une doctrine patrimoniales, or, rien de cela n’a encore été accompli ou même amorcé, au niveau gouvernemental, comme l’a récemment rappelé le Conseil Economique Social et Environnemental.

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L’héritage culturel spatial marocain est d’une richesse exceptionnelle, qualitativement et quantitativement. Il s’agit notamment de :

1 – Une trentaine de médinas relativement bien conservées et encore habitées, dont plusieurs sont classées par l’UNESCO en tant que patrimoine mondiale de l’humanité (Fès, Marrakech, Tétouan, Essaouira, auxquelles on peut ajouter le centre historique de Meknès).

2 – Près de 4000 Kasbahs et Ksours, situés dans le Sud-Est marocain, dont un millier sont encore habités, bien que dans un état physique relativement dégradé. Ksar Aït Ben Haddou (proche d’Ouarzazate) est aussi classé par l’UNESCO.  

3 – Les centres historiques des villes construites lors de la période du protectorat, dont la ville de Rabat classée patrimoine mondiale de l’humanité, au titre de toutes ses composantes urbaines historiques (La médina, les jardins historiques, la Qasba des Oudaïa, le site archéologique du Chellah, etc.).

4 - Certains autres sites antiques ou plus récents tels que la romaine Volubilis ou Mazagan la portugaise.

Lire aussi : I-  LE MANQUE DE RESSOURCES FINANCIERES ENTRAVE LA PROTECTION DU PATRIMOINE ARCHITECTURAL – Par Omar Farkhani

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Construite au xiie siècle, la porte Bab Boujloud, une des portes de Fès el-bali, se trouve entre le quartier Boujloud qui abrite la Médersa Bou Inania et Fès Jdid où se situe le Lycée Moulay Driss 

La sauvegarde de cet héritage ne doit pas se réduire à le muséification folklorique de quelques bâtisses et ensembles urbains, dans une visée touristique. Au-delà de sa dimension socio-économique, il doit être étudié et valorisé en tant que composante matérielle historique de l’identité culturelle marocaine, ainsi que gisement d’un savoir-faire architectural et technique séculaire, qui a encore beaucoup à nous apprendre.

Et compte tenu de la faiblesse endémique des ressources financières et humaines, les décideurs sont amenés à hiérarchiser les composantes de ce patrimoine national et à opérer des arbitrages visant à sélectionner ce qui doit être impérativement conservé et valorisé matériellement, et ce  que l’on peut sauvegarder sous forme de documents numériques et papiers à archiver dans un centre d’interprétation patrimoniale.

Pour réduite le facteur subjectif au minimum, La hiérarchisation devra être opérée en tenant compte de critères d’appréciation conceptuellement précis :

a - Valeur esthétique (ou valeur d’art actuelle), c’est-à-dire le niveau de conformité aux canons de la sensibilité artistique classique (communément admise comme telle par l’ensemble de la société).

b - Valeur historique identitaire, c’est-à-dire ce qu’elle représente dans l’imaginaire collectif des marocains. C’est ainsi que les Ksars et les médinas sont investis d’une forte charge d’authenticité nationale qui n’est pas accordée aux sites antiques ou au centre-ville colonial.

c - Valeur historique propédeutique. De l’étude académique de ces patrimoines, résulte des leçons importantes (techniques, esthétiques et fonctionnelles) relatives à chaque type de forme urbaine, selon les problématiques que l’on se pose (architecture durable, identité culturelle, savoir historique, etc.). 

d - Valeur d’usage actuelle. La mise en valeur de chaque forme urbaine patrimoniale est tributaire de ses usagers actuels. Par exemple, une médina surdensifiée sera plus difficile à traiter qu’un Ksar à moitié habité. 

e - Coût de la protection et de la mise en valeur. Il s’agit de favoriser la prise en charge des patrimoines dont le taux de retour sur investissement est proportionnellement élevé. 

f - Etat de la conservation technique et de la conception initiale du patrimoine. Mieux l’état initial est conservé sur le plan technique et conceptuel, plus l’opération de sauvegarde est aisée.

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Ouvert exclusivement aux occupants dès 1922, l’ancien Théâtre municipal de Casablanca assurera pendant 60 ans une véritable dynamique culturelle dans la ville et deviendra à l’indépendance une plaque tournante de théâtre marocain. Son histoire s’arrêtera avec sa démolition en 1984

Donc, il n’existe pas de recette prête à l’emploi. L’action de sauvegarde patrimoniale est une entreprise complexe, une équation à plusieurs variables, à manier avec prudence, au risque d’aboutir à des résultats contreproductifs et des effets indésirables graves. Cela signifie que les décideurs en charge de la sauvegarde doivent s’entourer d’équipes multidisciplinaires dotées de compétences spécifiques aux questions de patrimoine. 

Ils doivent en particulier commencer par leur faire élaborer une vision et une doctrine patrimoniales sur lesquelles fonder une politique et une stratégie de sauvegarde nationale, à décliner ensuite au niveau territorial. Force est de constater que jusqu’à présent, rien de cela n’a encore été accompli ou même amorcé, au niveau gouvernemental, comme l’a récemment rappelé le Conseil Economique Social et Environnemental.