Entre la représentation et la mémoire - Nouveaux langages, pour de nouvelles visions (3ème partie) Par Badr Sellak

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Tableau du peintre casablancais REBEL SPIRIT (El Bellaoui Mohammed AKA) – La résurgence des icônes du passé dans la culture visuelle d'aujourd'hui est symptomatique de l’incapacité à imaginer, à concevoir un mode totalement radical, et diffèrent de le nôtre

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L'Afrique au firmament du Siel – Par Badr Sellak

De nos jours, la culture visuelle est de plus en plus syncrétique, ressemblant à un pastiche des symboles et d'esthétiques reconnus. Ce retour, et réintégration, des éléments passés, allant des inspirations pop art, de l’élan futuriste des années 1980, à d’autres visions et sensibilités qui ont marqué leurs époques, est possiblement révélateur d’une condition culturelle; la recherche d’une affinité, ou approche, expérimentale, en réinventant les symboles reconnus pour créer de nouveaux concepts et langages.

Cette sensibilité fait désormais figure de fil rouge dans les circuits artistiques et curatoriaux au Maroc. Dans un contexte plus large, cette passion redécouverte de l‘art marocain est en phase avec une tendance d’une proéminence accrue au sein de plusieurs scènes artistiques. De la nostalgie pour l’élan futuriste de la culture pop des années 1980s, désormais de plus en plus présent dans la culture visuelle du jour, aux sensibilités et motifs à la pop art, tellement reconnus, et toujours aussi convoités, ainsi que la prévalence d’un langage visuel composé des symboles et des références de la pop culture et des œuvres artistiques. Il ne s’agit plus d’une tendance ou d’un mouvement artistique, mais plutôt d’un phénomène théorique qui se manifeste dans plusieurs disciplines, et qui remet en contexte l’évolution en termes de thématiques évoqués par la production artistique et culturelle de chaque période.

Pour Mark Fisher, cette constante évocation des éléments du passé est plutôt symptomatique d’une condition culturelle, imposée par les particularités de l’époque du capitalisme tardif. Une dissémination accrue des images, dans un paysage médiatique qui ressemblait de plus en plus à une incohérente séquence de signifiants flottants ; des signes usés et ressassés, résultant en une culture visuelle composée des signes polysémiques ou résiduels. Telle est la culture du capitalisme tardif ; issue d’une rupture de la chaîne signifiante, qui lie chacun des symboles et des signes qui composent notre langage. Des couches de références où le sens est perdu. 

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Loin d’être une problématique propre uniquement à la production artistique du marché de l’art, il s’agit désormais d’une question philosophique, plus ou moins abstraite. A en croire les théories de Fisher, ou même de Jameson, cette résurgence des icônes du passé dans la culture visuelle d'aujourd'hui est symptomatique de l’incapacité à imaginer, à concevoir un mode totalement radical, et diffèrent de le nôtre, contrastant contre l’élan créatif des mouvements artistiques du 20ème siècle, marqué par une incessante hardiesse à créer et à imaginer de formes inédites et expérimentales, à une cadence accrue. Cela, couplé à la capacité technologique à disséminer les images et les signes à une cadence accrue, est exactement ce qui a engendré cette rupture de la chaîne symbolique ; la réduction de cette dernière en une série de signes incohérents, itinérants dans l’espace symbolique, ou comme le décrit Frederic Jameson « une expérience de purs signifiants matériels, ou, en d'autres termes, une série de présents purs et sans rapport dans le temps ».

Selon Mark Fisher, l’affaiblissement du lien historique entre les explorations artistiques de chaque génération se manifestait, comme phénomène pertinent à la production artistique, depuis les années 1990. Il décrit les symptômes d’un tel phénomène en termes de prévalence de la nostalgie dans l’œuvre artistique, et l’incapacité à imaginer un avenir radicalement différent, donnant lieu à une projection dans un radicalisme, qui n’existe que dans le passé. Qu’il s’agisse de la nostalgie qui devient de plus en plus un élément récurrent dans la culture visuelle de notre époque, où la prévalence des références reconnues, rappelant les œuvres iconiques des décennies passées, cela révèle une incapacité à imaginer une alternative aux conditions qui ont engendré cette tendance, ou ainsi affirme les théories de Fisher ou de Jameson. Selon Fisher, « ce qui hante les impasses numériques du XXIe siècle, ce n'est pas tant le passé que tous les futurs perdus que le XXe siècle nous a appris à anticiper. Plus largement, et la disparition de l'avenir signifiait la détérioration de tout un mode d'imagination sociale ».

Néanmoins, le retour au passé, autant de significations qu’il implique, dissimulent, pour bien et mal, une sorte de volonté collective ; ce même dont la culture contemporaine semble manquer, et tente de retrouver dans son retour au passé. Dans ce sens assez particulier, le retour des éléments du passé dans l’œuvre artistique et la culture visuelle, la prévalence d’un effet anachronique, trahit plus que l’incapacité de concevoir une vision opposante à notre réalité vécue. Il s’agit d’une évocation des spectres qui hantent toujours ; l’articulation des visions et de rêves perdus des notions passées, égarés dans un torrent de formes culturelles et de tendances artistiques. « Je vois que nous sommes arrivés à un point où nous avons presque tout essayé », affirme Hicham Matini dans une interview, « c'est un peu comme la musique, où on ne peut pas créer de nouvelles notes, mais il est possible d’utiliser ce qui est déjà établi, les symboles qui nous sommes familiers, pour créer des concepts inédits et de nouveaux langages visuels ».

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Pour la naissante scène contemporaine au Maroc, les élusifs recoins de la mémoire s’imposent déjà comme fil rouge. Au vu d’un engouement envers le modernisme des artistes marocains pionniers, et la continuité, ou accumulation, des réflexions plastiques au fil des générations, ce qui est éprouvé dans les récents efforts curatoriales au Maroc, ainsi qu’auprès de plusieurs artistes, atteste d’un véritable nouvel essor de ce qui semblait manquant dans l’ensemble de la scène artistique contemporaine ; un sens de localité et d’ancrage dans une lignée artistique. Si l’éthos artistique au Maroc se berce se désormais de plus en plus dans la mémoire culturelle, et tente d’établir une sorte de langage et penchant plastique distinct, certains tropes prévalant deviennent graduellement reconnus comme domaine esthétique favorisé par de nombreux artistes contemporains de la région, et ayant fait l’objet des réflexions de plusieurs artistes marocains pionniers.

De nos jours, la scène artistique contemporaine lorgne la création de nouveaux signes et symboles au-delà des tropes et des icônes emblématiques. L’œuvre des artistes comme Rebel Spirit, Hicham Matini et Abdelhak Zerrou, entre autres, éprouve la transformation des sens associés aux signes culturels reconnus, tout en conservant leur contexte historique et esthétique, et réclamant une sensibilité qui lui est propre. Si les mêmes signes semblent réapparaître, cela fait preuve d'une sorte de prévalence de clichés, ou de motifs connus autour de ce type d'exploration plastique. Pour que la mémoire culturelle, l’identité et la particularité de l’expérience du Maroc contemporain devienne un véritable dispositif artistique élaboré, davantage d'efforts artistiques, expérimentaux, et de recherche sont requis afin de pouvoir informer une lignée d'explorations artistiques sur la plasticité de cette expérience.