Quelque chose ne tourne pas rond dans le champ politique marocain - Par Bilal TALIDI

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Abdalilah Benkirane s’en tient à ses doutes de toujours sur les parties instigatrices du Hashtag et les appelle à se découvrir. En même temps, il considère que si le gouvernement et son chef doivent tomber, cela ne peut revenir, s’il le juge nécessaire, qu’à la décision du Souverain conformément au cadre constitutionnel et institutionnel.

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Les protestations qui fourmillent sur les réseaux sociaux contre la hausse des prix des carburants révèlent qu’il y a quelque chose qui ne tourne pas rond dans le champ politique marocain.

Le gouvernement, qui dispose d’importants moyens pour véhiculer son discours et sa communication politique, est en mesure d’élaborer une réponse propre à la problématique de la hausse des prix des carburants. Outre les canaux des médias publics, certaines de ses composantes disposent d’un réseau média qu’elles pourraient mobiliser pour transmettre leur réponse politique et technique de la manière la plus appropriée pour gagner l’adhésion du public.

Des partis tétanisés

Les partis de l’opposition déploient, eux, un double discours. 

Le premier consiste à mettre à l’index le présumé conflit d’intérêts, en arguant une avidité supposée des sociétés des hydrocarbures qui jouirait de la complicité implicite du gouvernement et de l’atermoiement institutionnel (le Conseil de la concurrence en l’occurrence). L’Opposition institutionnelle rejoint ainsi la campagne sur les réseaux sociaux sous le signe du « dégagisme » ciblant le gouvernement.

Le second discours critique, un peu abusivement, l’incapacité du gouvernement à prendre des mesures pratiques pour alléger la souffrance des citoyens et lui reproche en même temps son incapacité à produire une communication audible et compréhensible à même de faire comprendre aux Marocains, chiffres à l’appui, la composition des cours des hydrocarbures et l’ensemble des éléments qui déterminent les prix actuels des carburants à la pompe.

Le dysfonctionnement réside donc chez les acteurs politiques, ceux de la coalition gouvernementale comme ceux de l’opposition parce que logiquement les éléments de réponse à la controverse des prix ne peut se trouver que chez eux. 

Dans le premier cas de figure, ces prix reflètent la réalité des hausses croissantes des cours de pétrole sur le marché mondial, auquel cas la carence se trouverait dans la performance politique et communicationnelle de l’Exécutif, les gouvernements étant censés faire face aux crises et non pas les justifier. Et même s’il n’est pas suffisamment outillé ou n’est pas en possession des moyens pour résoudre les crises, le gouvernement peut au moins mettre en branle sa force rhétorique et communicationnelle pour couper court aux suspicions du conflit d’intérêts ou de l’exploitation supposée de la crise par les compagnies des hydrocarbures pour leur enrichissement illégal aux dépens des citoyens. 

Dans le deuxième cas de figure, on suppose un réel conflit d’intérêts ou du moins l’avidité des sociétés des hydrocarbures que le gouvernement est incapable de brider. Dans ce cas précis, la logique voudrait que les partis d’opposition assument pleinement leur fonction fondamental qui leur impose l’encadrement de l’acte protestataire.

La constitution, rien que la constitution 

Dans le contexte marocain, la situation présente des aspects paradoxaux. Le citoyen, qui a censément voté pour les partis de la coalition gouvernementale lors du scrutin du 8 septembre, même si l’on ne peut objectivement mesurer sa part dans la contestation, est en partie le premier à monter au créneau et cherche désormais de nouvelles options pour exercer la politique et, partant, pour exprimer son acte protestataire. Cette action, il la mène loin des partis de l’opposition qui visiblement partagent ses mêmes préoccupations et lui empruntent parfois son propre vocabulaire, à l’instar de ce qui se dit autour du conflit d’intérêts.

Les déclarations du Secrétaire général du PJD, Abdalilah Benkirane qui distingue l’acte du parti politique de l’acte protestataire sur les réseaux sociaux, pourraient aider à éclairer la nature de cette faille politique. S’il reconnait un sens politique à la protestation numérique, il refuse un quelconque engagement des citoyens derrières des appels occultes sur les réseaux sociaux. Il s’en tient à ses doutes de toujours sur les parties instigatrices du Hashtag et les appelle à se découvrir. En même temps, il considère que si le gouvernement et son chef doivent tomber, la décision ne peut se faire que dans le cadre constitutionnel et institutionnel. Il appartient uniquement au Roi, conformément aux dispositions de la constitution, de mettre fin, s’il le juge nécessaire, à l’action du gouvernement et de convoquer des élections législatives anticipées. En dehors de cette voie, la motion de censure, étant numériquement inaccessible, outre qu’elle s’ouvre sur plusieurs options, aucune autre option n’est admissible, car le pari sur un acte contestataire dans la rue, dans le contexte de la fragilité politique qui secoue le monde entier, équivaudrait à un saut dans l’inconnu.

Des aménagements politiques partiels ou globaux ?

Ces derniers jours, la Cour constitutionnelle a invalidé en cascade l’élection de cinq députés dans différentes régions du pays, en l’occurrence à Al Hoceima et Guercif (région du Rif), Casablanca-Médiouna (Centre) et Meknès (Nord).

Les politiciens observent la scène politique à travers une double lucarne : celle de la possibilité du passage de la protestation sur les réseaux sociaux à une contestation publique dans la rue, et celle des résultats des élections législatives partielles. Selon que ces dernières sanctionnent les candidats de la coalition gouvernementale ou les conforte [cet article a été écrit avant les résultats qui ont conforté le gouvernement NDLR]. Chaque issue de ces deux situations leur dicterait le comportement à adopter incapables qu’ils sont à anticiper le mouvement. 

Les hautes sphères, qui suivent de près ces différentes dynamiques, y compris l’interaction des partis politiques avec ces évolutions, s’intéressent en premier lieu à la menace potentielle à la paix sociale et à l’impact de la praxis politique sur cette donne, pour déterminer si la réponse aux challenges actuels nécessite des aménagements politiques partiels ou globaux.

Et à supposer une baisse de menace à la paix sociale, voire une baisse des cours des énergies, des indicateurs qui pourraient positivement affecter le climat social, ne devraient pas éluder, en dépit des résultats des partielles, la défiance patente. L’ignorer serait un pari aux conséquences imprévisibles. 

Toujours au même point

Lors du Hirak du Rif, les Marocains, et la classe politique en particulier, ont eu droit à un discours royal qui a formulé un jugement sévère imputant aux formations politiques la faillite de leur rôle de médiation sociale au point de mettre l’Institution royale en confrontation directe avec le peuple. Cinq ans après, on a l’impression d’être toujours au même point, les partis de la coalition gouvernementale comme ceux de l’opposition étant incapables d’encadrer les citoyens ou de rendre l’acte contestataire à son cadre institutionnel.

D’aucuns estiment que le problème réside dans les partis et leur incapacité à recruter des élites et à ouvrir leurs structures à de nouveaux cadres, en raison de l’avachissement de leur démocratie interne. A supposer que ce diagnostic, du reste vieux de plus de deux décennies, soit correct, la réforme de l’outil partisan est-elle une responsabilité exclusive des partis politiques ou celle du système politique dans son ensemble ? 

L’Etat dispose de ses propres instruments pour réformer l’outil partisan par l’élargissement du champ politique à d’autres acteurs (intégration des forces radicales dans une dynamique de négociation de longue haleine), et l’encouragement des transformations démocratiques au sein des élites partisanes, à travers les leviers financiers ou organisationnels (application stricte de la loi sur les partis, incitation à des amendements juridiques mettant fin au phénomènes des leaderships historiques, via la limitation du nombre des mandats à deux). L’Etat peut aussi bien garder une distance vis-à-vis des partis et les laisser gérer par eux-mêmes leurs affaires afin d’enterrer définitivement le concept des partis administratifs ou des partis d’’’allégeance’’.

Mais il y a urgence à changer les composantes des systèmes politiques, dont les instances partisanes. Elles ont tellement vieilli qu’elles n’impriment plus que léthargie à la pratique politique. Leurs fonctions n’ont plus de sens en raison de coalitions illogiques et contrenature. La gauche n’a plus de gauche que le nom, les partis libéraux n’ont ni saveur ni couleur, les islamistes votent contre leurs identité et doctrine, et les notables ont pris possession des structures des partis, au point où c’est désormais l’appareil administratif et judiciaire de l’Etat qui arbitre les divisions et divergences internes. Une situation politique assurément malsaine.  

 

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