La vision de réformes de A. Miraoui – Par Bilal TALIDI

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Le ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation Abdellatif Miraoui. Ses déclarations d’intentions controversées induisent nombre de questions sur la vision des réformes qui les sous-tendent : le ministre porte-t-il un diagnostic précis de la crise de l’Enseignement supérieur qui lui sert de tableau de bord justifiant ses annonces liminaires ?

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Au court de cette semaine, le ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche scientifique et de l'Innovation Abdellatif Miraoui a fait part de trois de ses intentions. La première présage la résolution imminente du problème d’un certain nombre d’étudiants marocains d’Ukraine par leur inscription dans des universités en Bulgarie et en Roumanie. La deuxième concerne l’abandon des facultés pluridisciplinaires, et la troisième a trait à la révision du système de licence désormais subordonnée à l’obtention d’un diplôme en langue anglaise.

Le ministre, il faut ne pas l’oublier, avait déjà pris deux autres décisions, l’une suspendant le Bachelor, l’autre consistant à priver les fonctionnaires titulaires d’un doctorat d’enseigner à l’université dans le cadre de la formule de transferts des postes budgétaires, en privilégiant uniquement l’option de la création de nouveaux postes.

Une politique de tâtonnement

Ces déclarations d’intentions controversées induisent nombre de questions sur la vision des réformes qui les sous-tendent : le ministre porte-t-il un diagnostic précis de la crise de l’Enseignement supérieur qui lui sert de tableau de bord justifiant ces annonces liminaires ? Ou l’homme, n’en revenant pas encore d’être ministre, est en train d’avancer ce qui lui passait par la tête du temps où il présidait l’Université Cadi Ayyad de Marrakech ?

On ne reviendra pas ici sur une déclaration antérieure affirmant que son Département travaillait à l’intégration des étudiants marocains d’Ukraine dans les universités marocaines, car l’on est convaincus que cette affaire inopinée dépassait son appréciation, ou - peut-être - que plus d’un voulaient mettre en exergue la capacité de l’Université marocaine à gérer des problématiques de cette envergure. Mais la plateforme mise à la disposition des étudiants d’Ukraine a vite fait de dicter la prospection d’autres pistes, comme celles que nous avons suggérées dans un article précédent, s’ouvrant sur des possibilités dans certains pays de l’Europe de l’Est, notamment la Roumanie et la Bulgarie.

Une fabrique de diplômes inutiles

L’objet de cet article est plutôt la discussion de la vision de réformes que porte le ministre pour les facultés pluridisciplinaires et particulièrement pour les filières littéraires que nombre de responsables du Département de tutelle considèrent comme une fabrique de lauréats inadaptables au marché de l’emploi.

Il ne s’agit pas de soulever une controverse sur l’importance de ces filières ou sur la vision portée par certaines expériences en matière de leur amélioration pour en faire des leviers de développement. Mais seulement de rappeler comment l’ancien ministre de l’Enseignement supérieur Lahcen Daoudi rechignait à concevoir un quelconque avenir à ces filières et rejetait toute possibilité de leur réforme, refusant d’entendre toute proposition dans ce sens. On rappellera aussi la restructuration tentée par l’ancien Secrétaire d’Etat chargé de l’Enseignement supérieur et de la Recherche scientifique, Khalid Samadi, pour sortir les filières littéraires de leur crise, en leur intégrant  de nouveaux contenus (beaux-arts, langues orientales, dialogue des religions et des civilisations...)

Des généralités

M. Miraoui s’est contenté, lui, d’annoncer devant la Chambre des conseillers l’abandon des facultés pluridisciplinaires, en arguant leurs «méandres» contenues dans le dernier rapport de la Cour des comptes, et en affirmant que ces facultés mentaient aux Marocains, ne leur fournissaient aucun enseignement, et délivraient des diplômes inadaptés au marché de l’emploi. Des propos si forts qu’une mise au point avec le ministre s’impose.

Depuis son arrivée au ministère, il n’a cessé de prendre des décisions stipulant l’arrêt des politiques et des systèmes en place (Bachelor, transferts des postes, licences conditionnées à un diplôme en langue anglaise, facultés pluridisciplinaires,...), sans jamais livrer un projet de réformes associant les acteurs du secteur, qui permettrait aux partenaires de saisir les sens et les voies qu’emprunteraient ses prochaines politiques publiques.

Huit mois après sa prise de fonction, le ministre continue de servir des généralités sur la recherche scientifique, la nouvelle génération de chercheurs, la maîtrise des langues internationales, les critères stricts de sélection au Master et doctorat, ou encore le recrutement des cadres de l’université. En somme une orientation sans rapport avec le vécu du milieu académique sur le terrain.

En dépit de toutes ses déclarations, le ministre a été finalement contraint de cohabiter avec une réalité que les cadres de l’université ont imposée dans le sillage de la pandémie du Covid-19, tant et si bien que l’enseignement à distance (e-learning) s’apparente à un congé payé en continu, particulièrement au cours des premiers mois de sa prise de fonction. Il n’a ainsi pris aucune mesure pour évaluer la réalité des accréditations créées dans les cycles du Master ou du doctorat, et a opté pour le maintien de la même méthode adoptée en matière de sélection pour le recrutement, devenue la risée de tous en raison de la prédominance du népotisme, des allégeances, des clans et des compromissions aux dépens de critères de la recherche scientifique. 

Pour ne rien arranger, des cas de harcèlement sexuel ont éclaté avec ce qui est communément appelé le scandale des «bonnes notes contre sexe» dont les répercussions sur l’image de l’université sont sans précédent.

Pris de court, le ministre a commis des erreurs fatales dans la gestion de ce dossier avec la mise en place d’un numéro vert et d’unités d’écoute au sein de toutes les universités, avant de revenir aux procédures administratives et juridiques avec l’ouverture d’enquêtes transparentes sur les plaintes qui continuaient de pleuvoir sur les bureaux des instances universitaires sans qu’aucune enquête ne soit diligentée. Ce qui a contraint les plaignants à recourir aux médias et aux réseaux sociaux amenant le ministère public à actionner ses prérogatives.

Ce que l’on attend

Il est vrai que des critiques acerbes sont adressées aux facultés pluridisciplinaires qui ont essaimé au point de prendre des allures de collèges ou de lycées. Des petites villes, ne disposant pas du minima de conditions leur permettant d’accueillir une institution universitaire, ont exercé des pressions sur les responsables pour y créer, au nom du rapprochement de l’université des citoyens, des facultés réduites à leur simple expression, un amphi. Il en a résulté une carte universitaire en mosaïque sans substance ni consistance académiques, n’obéissant à aucune stratégie scientifique et de recherche.

On attendait du ministre quelques idées sur le développement de certaines filières, comme les études islamiques, la sociologie, les sciences politiques, et les spécialités linguistiques qu’imposent les choix stratégiques du Maroc en termes de coopération sur le continent africain et d’ouverture sur l’Europe de l’Est. Mais pas seulement. On attendait aussi que sa vision soit attentive aux transformations du système des valeurs et aux mutations sociales et sécuritaires à l’œuvre dans le pays de manière à pouvoir orienter ces disciplines vers la recherche des réponses nécessaires au Maroc de demain. 

Car, il ne s’agit plus uniquement de la vision traditionnelle qui insiste sur l’ouverture sur les langues internationales, mais de l’ouverture sur les langues africaines et de l’Europe de l’Est, de l’approfondissement de la connaissance des cultures de plusieurs nouveaux peuples (anthropologie) avec lesquels le Maroc a établi des passerelles stratégiques. Les mutations dans le système des valeurs commandent également d’aiguiller les recherches sociologiques de manière à permettre au pays de répondre aux défis qui s’imposent en vue de préserver ses constantes religieuses et nationales.

Ce que l’on souhaite du ministre c’est une vision, ou du moins ses prémices, nous permettant de cerner un tant soit peu la logique de ses décisions et palper que derrière il y un substrat qui invite à l’interaction, suscite l’adhésion et incite par la persuasion à la contribution à son développement sur la base de convictions partagées.

 

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