Benkirane est-il encore ne mesure de présider à la renaissance du PJD ? Par Bilal TALIDI

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L’évaluation de l’action de la direction à l’aune de la courte période qui la sépare de son installation révèle l’inexistence de tout travail sur l’horizon politique. On assiste plutôt à une concentration sur le système des valeurs, s’entêtant à écarter toute action sociale en lui substituant le ravalement de la façade des valeurs

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Au gré de la tournée que mène le secrétaire général du PJD Abdalilah Benkirane pour l’élection des nouveaux bureaux régionaux du parti, la presse s’empare, comme à l’accoutumée, des déclarations et positions de la direction du PJD qui font plus ou moins sensation, laissant la vague impression d’une éventuelle résurrection de ce parti qui pourrait retrouver toute sa place sur l’échiquier politique.

Ces déclarations font naturellement le bonheur des journalistes du fait qu’elles leur donnent du grain à moudre, font le choux gras de la presse, animent les manchettes des sites électroniques, et stimulent la réaction des adversaires, créant par la même une agitation médiatique et politique salvatrice qui rompt avec la léthargie dont souffrent les médias en l’absence d’événements palpitants.

Mais, cette dynamique agrémentée de pareilles déclarations suffirait-elle à convaincre d’une éventuelle renaissance du PJD ?

Les prérequis d’une renaissance

La réponse requiert, au plan politique, la prise en compte de trois caractéristiques fondamentales qui déterminent l’identité et le projet idéologique et politique de ce parti.

La première tient au fait que le PJD est l’enfant d’une pensée qui regroupe des sensibilités autour d’un projet idéologique et politique. Dès lors, toute initiative visant à donner un nouvel élan au parti passe immanquablement par le chantier idéologique en vue d’en faire un levier au service de l’objectif escomptée.

La deuxième concerne la composition sociologique du PJD qui en fait un parti plus proche de la petite bourgeoisie ou des classes moyennes sans impact décisif sur les rapports de production. Cette composition sociologique du PJD le cantonne dans les limites d’un mouvement réformiste dont le plafond est la préservation de la structure du pouvoir avec pour seule ambition d’en réformer autant que possible les structures dans un processus consensuel régi par une vision conservatrice pouvant aller parfois jusqu’à l’abdication sur des réformes si celles-ci venaient à créer une tension avec le pouvoir, voire l’annihilation son ambition réformatrice si la stabilité politique du pays l’exigeait.

La troisième caractéristique participe de sa nature organisationnelle. Très tôt, autrement depuis la scission au sein la Chabiba Islamiya en 1981, elle a consacré la discipline institutionnelle et la collégialité dans le processus de décisions

L’évitement du dialogue 

Des dirigeants du PJD simplifient à l’excès les choses, estimant que le problème du parti résidait la direction précédente, et que celui-ci a été complètement résolu par les résultats du Congrès extraordinaire et l’avènement de la nouvelle direction. De là à prétendre que le redressement a réellement commencé avec ce qu’ils appellent «la ligne de la reprise de l’initiative», il n’y a qu’un pas qu’ils franchissent allègrement.

Abdalilah Benkirane lui-même porte cette vision. Mais à leur différence, il tient compte d’autres dimensions de la crise, dont la nécessité d’opérer une transformation dans la culture du parti en vue de l’immuniser contre les tentations qui facilitent l’infiltration. Et c’est ce qu’il s’évertue de faire autant dans ses discours que dans ses prêches.  

L’actuel chef de file du parti considère que durant les deux mandats du PJD au gouvernement, le système des valeurs du parti a été corrompu, d’où l’impératif pour lui de mener bataille contre la culture du parasitisme et de l’opportunisme pour remettre le parti sur la bonne voie et rétablir en son  sein le référentiel des origines fondé sur la rectitude, la vertu et le servir des citoyens.

Il ne voit donc pas de nécessité à engager un dialogue interne qui, selon lui, ne ferait qu’attiser les dissensions et raviver la confrontation. Abdalilah Benkirane estime que les différends finiront par se dissoudre dans les batailles collectives du parti, et que les récalcitrants finiront par se rallier progressivement à la direction tant que celle-ci prendra des positions en phase avec l’identité et la vision idéologique du parti.

Le crédo benkiranien

Benkirane met également l’accent sur la transformation de l’appareil organisationnel du parti de manière à le mettre au service de la nouvelle légitimité de ses élites, objectif de la dynamique organisationnelle en cours et passage obligé pour le ralliement de tous à la nouvelle direction.

Mais qu’il s’agisse de la vision des simplificateurs ou de celle de Benkirane, plusieurs facteurs rendent difficile le retour du PJD sur la scène politique, à moins qu’il ne présente une réponse collective capable à la fois de mobiliser ses différentes élites et le parti dans son ensemble.

L’un de ces facteurs niche dans la réponse politico-doctrinale que la nouvelle direction compte présenter aux élites du parti et à ses membres.

On se rappelle que, lors de la période du «blocage», Benkirane avait pour coutume de dire à tout bout de champ que le Printemps arabe n’était pas terminé et pourrait revenir à tout moment, et qu’à moins de parachever le processus des réformes aucun pays n’est à l’abri des convulsions sociales et politiques. Il déclarait également que d’avoir privé le PJD du parachèvement de son expérience de réforme –puisque de son point de vue la composition du gouvernement ne reflétait pas les résultats du 7 octobre 2016- signifiait que la démocratie n’est pas encore mûre dans le pays. Dès lors le parti se devait de dire haut et fort cette vérité au peuple.

Du neuf avec du vieux

Mais aujourd’hui l’on est en présence d’un dilemme d’ordre idéologique et politique qui n’a pas encore trouvé sa voie à la résolution. Le parti tente, à en juger par ses nouvelles actions, de revenir dans l’arène politique en usant de sa thèse traditionnelle, sans apporter de réponse sur les perspectives politiques de son action et l’utilité de celle-ci. Si tel est le cas, cela voudrait dire que la fatalité d’un parti réformateur serait de finir par accepter l’intervention ‘’extérieure’’ dans la teneur de la démocratie en se résignant à la confection de ses résultats selon des considérations sans rapport avec les urnes, ou encore en se soumettant à la fabrication de résultats électoraux ‘’incompréhensible’’ comme ce fut le cas lors des élections du 8 septembre 2021.

Dans le discours de Benkirane, point de réponse à ce dilemme. Il se contente de ressasser sa thèse usuelle, en mettant l’accent sur la dimension des valeurs. Il agit comme si rien de ce qui est advenu du parti ne serait arrivé si ses élites étaient restées attachées à leur système de valeurs, et le PJD n’aurait pas été ainsi presque rayé de la carte politique. De ce fait, le PJD n’aurait d’autre alternative pour reprendre l’initiative que de revenir à son système de valeurs, seul prélude qui lui permettrait de redevenir un acteur influent sur la scène politique. 

Sans doute garde-t-il à l’esprit que durant l’exercice du gouvernement par le PJD, la demande du ‘’placement’’ a constitué un pôle attraction essentiel pour le recrutement et a donné lieu à la formation d’élites d’allégeance et de servitude. Cette triste réalité explique bien le phénomène de léthargie de certaines élites ou même du départ volontaire de bien d’autres dès lors qu’il n’y a plus de postes à distribuer ni de placements à faire. Mais elle ne justifie pas le repliement sur la seule thèse des valeurs.   

Condamné à l’inaction 

L’une des réponses aux problèmes du PJD réside dans sa nature sociologique. Elle se résume dans sa composition sociale caractérisée sociologiquement par la prédominance de la classe moyenne (enseignants, ingénieurs, médecins, avocats…) et intellectuellement par une large assise d’élites conservatrice hantée par l’approche prédicatrice dans son appréhension de la chose politique. Elle est reliée à une minorité de professionnels de la politique qui entretiennent avec elle des relations pragmatiques. 

Cette sociologie de l’organisation rend fort improbable tout pari sur l’action sociale pour redynamiser le parti et l’éloigne des défis économiques et des crises sociales comme voie d’accès aux classes démunies et aux classes moyennes qui voient leur pouvoir d’achat fondre comme neige sous les coups de butoirs de la hausse des prix et de la stagnation des salaires. Ce qui le cantonne dans l’inaction. 

Ce constat, l’attitude même de Abdalilah Benkirane le confirme. Notamment lorsqu’en s’adonnant au jeu de l’opposition, il critique le Chef du gouvernement Aziz Akhannouch sur l’augmentation des salaires des fonctionnaires, n’hésitant pas à affirmer que lui à sa palace, ne l’aurait pas autorisée dans le contexte actuel de crise, alors même que la fonction d’un parti d’opposition comme le PJD est de se ranger du coté de la revendication sociale et de sa satisfaction.

La politique des ralliements

La stabilité de la structure intellectuelle et idéologique interpelle fortement la mission de la direction du parti. Va-t-elle s’atteler à provoquer une profonde restructuration de la pensée du PJD à même de déboucher sur le changement de cette structure dans son ensemble, ou se perdra-t-elle encore une fois dans le discours qui flatte la base conservatrice, la plus large, parallèlement à la réalisation d’alliances pragmatiques avec la minorité politisée ? 

Une partie de la réponse à ces interrogations se trouve dans le comportement qu’adoptera le parti. Perpétuera-t-il le principe de la collégialité institutionnelle qui entrainera l’ensemble de l’organisation dans la dynamique préparatoire du congrès et débouchera sur la fin la confrontation, ou privilégiera-t-il sa ligne politique qui, dans son appréciation, aboutira à un moment ou un autre au ralliement de tous ? 

L’évaluation de l’action de la direction à l’aune de la courte période qui la sépare de son installation révèle l’inexistence de tout travail sur l’horizon politique. On assiste plutôt à une concentration sur le système des valeurs, s’entêtant à écarter toute action sociale en lui substituant le ravalement de la façade des valeurs croyant qu’elle suffirait à restaurer le parti dans sa position de référentiel au sein de la société. 

De même rien n’indique qu’il y ait une volonté de provoquer un changement intellectuel révolutionnaire susceptible de transformer les ensembles formant le parti en élites politiques. Une transformation qui exige la cessation de la drague faite aux conservateurs couplée à des alliances pragmatiques avec la minorité politisée. 

Enfin, tout le comportement de la direction actuelle laisse entrevoir qu’elle a choisi la parcours du ralliement au détriment du dialogue et de la réponse politique commune, les seuls à permettre la réunion des conditions de l’action collective.                 

 

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