Abdellatif Ouahbi, désinvolture et impertinence d’un ministre - Par Bilal TALIDI

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Le ministre de la justice Abdellatif Ouahbi

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Le débat et polémiques autour du concours pour le certificat d’aptitude à la profession d’avocat organisé récemment par le ministère de la Justice ne sont pas à prendre à la légère. 

Pas parce que les critiques ont utilisé la carte du népotisme et du favoritisme pour s’attaquer aux résultats du concours, dénichant des noms récurrents, ou homonymes, de proches parmi les admis. Mais parce que la gestion de ce dossier par le ministère de tutelle, en plus de la communication cahoteuse du ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi, avant et après le concours, a donné du grain à moudre à ce genre d’accusations.

Ni avantage ni motif d’exclusions

Concrètement, rien ne permet d’étayer ces accusations. La récurrence de noms de candidats proches de magistrats, d’avocats ou de dirigeants partisans du ministre de la Justice ne suffit pas pour crier au clientélisme ou à une corruption organisée en vue de leur accorder une aptitude non-méritée. Ces candidats ont les mêmes chances que les autres et le lien de parenté ne doit pas passer de ce qu’il était auparavant et l’est toujours, un privilège rentier, à un facteur d’exclusion. 

Ce qui n’exclut pas qu’en même temps, il faudrait s’entourer de garanties juridiques, éthiques et morales à même d’installer un climat de sérénité et un système d’égalité des chances où la parenté ne doit être ni un avantage ni un motif d’exclusion. 

Par son discours aussi burlesque que provocateur, M. Ouahbi a tenté d’expliquer que le problème réside dans la tête de facebookeurs qui écument les cafés et tentent de faire de la plateforme virtuelle un moyen de pression pour contester les résultats du concours. Gauchement, il a cherché à faire admettre à son monde que les admis parmi les fils d’avocats, de magistrats ou des responsables politiques ont bel et bien les aptitudes et les compétences requises, car «bon sang ne peut mentir ! ». 

Jusqu’à preuve du contraire

Aucun des critiques n’a les moyens de démonter ou de vérifier l’incompétence ou la compétence supposées des admis de la même manière que personne ne peut prouver que l’échec des autres candidats est fondé, sauf à exiger de refaire l’examen sous la houlette d’une commission nationale neutre dont l’éthique est avérée. 

Ce que dit le ministre en conséquence sur la compétence des admis est concevable jusqu’à preuve du contraire et il y a donc techniquement moyen de mettre de l’ordre dans le fouillis ainsi créé et de lever le voile sur ce qui s’est réellement passé.  

Mais l’os Abdellatif Ouahbi demeure. Tout le monde sait et depuis longtemps déjà qu’il n’a aucune envie de se rendre sympathique. C’est plutôt bien le contraire qu’il déploie. Ce faisant, il ne se rend pas compte que ce sont en partie ses frasques verbales, ce qu’il prend pour d’admirables effets de manche, et ses postures emphatiques qui compliquent davantage le problème.

Dans tous les concours précédents, il y a eu des candidats portant des patronymes de responsables du Département de la justice ou de responsables en lien avec la gestion de la chose publique. Mais jamais cette vraie ou fausse coïncidence n’a posé un problème d’une aussi grande ampleur. Et même si des fois la question était soulevée avec plus ou moins d’acuité, la communication des responsables en charge était empreinte de beaucoup de pondération et de rationalité, et moins de logorrhée.

Les ingrédients du buzz

Contrairement à ce qu’a laissé entendre M. Ouahbi, le hic n’est pas à part entière dans le camp des internautes. Car il est dans la nature de usagers des réseaux sociaux, voire dans la nature et la vocation même de ces réseaux d’être en permanence à l’affût des failles et des manquements qui leur permettent de produire des contenus propices à la critique et au sarcasme, ingrédients essentiels du buzz. 

C’est une réalité, heureusement ou malheureusement, incontournable et le problème réside bel et bien dans la gestion de ce dossier par le ministre lui-même et dans son style de communication. Les internautes n’ont fait que retourner ses armes contre lui.

A commencer par la solennité dont M. Ouahbi a entouré ce concours. Tentant de démontrer, à l’instar de son prédécesseur El Mostafa Ramid, l’importance du métier d’avocat dans le système judiciaire, M. Ouhabi s’est perdu dans les détails et a modifié la nature du concours, en optant pour le système canadien QCM. Pourtant, à supposer que ce système ait une quelconque utilité, il se devait de le confier à la Commission chargée des examens. En lieu et place, il a préféré se présenter comme en étant lui-même le concepteur et l’artisan. Et sans s’en rendre compte il a mis la puce à l’oreille des observateurs qui ont pressenti que derrière les modifications du concours il y avait peut-être anguille sous roche. De là à se préparer d’avance à en débusquer le sens et la portée, il n’y avait qu’une ligne du code pénal mal ficelée qu’ils ont allègrement franchie.

Le mauvais cocktail 

M. Ouhabi a beau expliquer avoir opté pour le QCM canadien par souci d’entourer ce concours de plus de transparence, mais sa propension à trop verser dans les détails a fini par le présenter aux yeux de l’opinion publique et du «peuple de Facebook» en particulier comme une personne intéressée.

De nombreux spécialistes en droit ont publiquement critiqué le nouveau système d’examen, considérant que si le QCM sied aux sciences dures, il est incompatible avec le droit, une discipline qui requiert la maîtrise de la dissertation, celle qui renseigne sur les connaissances juridiques du candidat et son aptitude à exercer le métier d’avocat, sachant que c’est bien la formulation linguistique qui révèle le degré de maîtrise des termes juridiques et leur utilisation précise.

Au-delà de ces critiques émanant non pas de Facebook mais d’experts en droit, le problème ne réside pas uniquement dans la modification du système d’examen. Il réside aussi dans l’obstination de M. Ouahbi à s’en approprier la paternité et à se présenter comme l’architecte de ce changement qu’il veille à mettre irréversiblement en œuvre, sans possibilité de recours ou de révision, et encore moins de dialogue avec ceux en désaccord avec sa démarche , se refusant à tout dialogue et ce qu’il comporte en termes d’arguments et de contre arguments.

Que ce soit en amont ou en aval du concours, le style de communication que M. Ouhabi, décrit plus haut, a amené les critiques aux aguets à donner une importance démesurée et inédite à ce concours, en termes de veille, de suivi, d’observation et d’amplification des gaffes.

A l’arrivée, le droit, le QCM et l’ego saillant du ministre ont donné un mauvais cocktail.

Le refus d’une enquête

Dès la parution des résultats, le ministre de la Justice s’est retrouvé sur la sellette face à un torrent de critiques qui, au-delà de l’espace virtuel, représentent une sérieuse interpellation publique exigeant des réponses sur les soupçons de favoritisme au profit de candidats proches de magistrats, d’avocats et de responsables politiques, avec un zoom  sur la récurrence susceptible de suspicion de patronymes parmi les heureux admis. 

Les explications de M. Ouahbi ont éveillé davantage les soupçons après avoir refusé l’idée d’une enquête sur le sujet, évoquant tantôt l’absence de crime ou de preuve justifiant cette procédure, tantôt le droit des fils de magistrats, d’avocats et de responsables à passer un concours réussi, comme le reste des candidats. Tentant de défendre non sans provocation le droit de son propre fils, il a expliqué que ce dernier est titulaire de deux licences et a fait des études au Canada. Visiblement emporté, il est allé jusqu’à déprécier le cursus des études de droit au Maroc et magnifié en revanche le système académique où son fils a fait ses armes (Montréal), tout en se prévalant de manière ostentatoire et provocatrice de son statut de père fortuné ayant permis à son rejeton de faire des études au Canada. Aux Etats Unis, pareil propos pourrait passer, au Maroc où les beaux riades se dissimulent derrière de sobres portes, où la pauvreté est prégnante, c’est une invite à la galère. 

Un rare manque d’inspiration

Sa communication maladroite a fait du système QCM aux yeux des candidats malheureux un dangereux moyen d’exclusion «dans la lutte des classes» pour avoir conditionné l'excellence académique (avoir une note de 19 pour accéder à une faculté de droit au Canada) à l’aptitude financière à se payer les frais d’écolage dans ces facultés prestigieuses. Il en a résulté dans les esprits que la réussite à un concours d’avocats tient moins à l’excellence académique de Ouhabi junior qu’à la fortune de Ouhabi père.

M. Ouhabi avait une chance de s’écarter de ses circonvolutions oiseuses, il l’a manquée. Il aurait été mieux inspiré de prendre ses distances avec la gestion et ma communication et déléguer cette mission à la Commission chargée des examens. N’aurait-il pas apparu plus intelligent s’il avait tourné sa langue sept fois dans sa bouche ou la garder dans sa poche, prendre de l’altitude pour s’en tenir, comme l’a fait son prédécesseur El Mostafa Ramid, à l’explication de la place et de l’importance du concours des avocats dans le renforcement du système judiciaire. Donner des signaux rassurants, pour calmer les esprits, sur la volonté de son Département d’entourer l’examen de toutes les mesures garantissant la transparence et l’égalité des chances de tous les candidats. Malheureusement, il a préféré traiter le sujet et les Marocains par-dessus la jambe. Indigne d’un ministre. 

 

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