2023: DES ANTI-VŒUX, POURQUOI PAS ? - Par Mustapha SEHIMI

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La loi de finances 2023 a été adopté en seconde lecture par la Chambre des représentants votée le 8 décembre dernier par 102 députés contre 27, soit moins d'un tiers des membres ! Faut-il s'étonner alors d’un sentiment antiparlementaire vivace témoignant d'un insuffisant enracinement démocratique ?

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POLITIQUES PUBLIQUES ET PERFORMANCE - Par Mustapha SEHIMI

Une tradition donc : les vœux à la famille, aux proches, aux relations appréciées - c'est fait. Et si l'on se risquait ailleurs, dans un autre paramètre : celui des anti-vœux ! Un exercice sans doute singulier, incongru même, mais qui a le mérite de se "lâcher" pour dire autrement ce que l'on a sur le cœur depuis des lustres.

Et d'abord - inclination oblige- le champ politique. Comment se porte-t-il ? Il a bien été dopé le mois dernier par le Mondial au Qatar, surtout avec l'exploit historique des Lions de l'Atlas. Un moment qui va marquer la mémoire collective durant des décennies sans doute. Mais comment capitaliser cette séquence à nulle autre pareille ? Des retombées dans le tourisme, c'est sûr. Mais seront-elles durables ? L'attractivité du Maroc, dans d'autres secteurs va-t-elle aussi en bénéficier ? Oui, si une véritable stratégie est mise en œuvre : pas tel ou tel road show, ici et là, mais des actions et des réformes en profondeur. Il en est question dans le discours officiel actuel. Qu'en est-il au vrai ? La charte de l’investissement ? Annoncée par SM le Roi voici plus de deux ans et demi, elle n'a été adoptée que dernièrement ; il reste une bonne année pour finaliser et acter ses textes d'application. 

Hors champ: le "lourd"...

Lenteur, lenteur... La réforme fiscale est-elle mieux lotie ? Les 3èmes assises ont été organisées au début de mai 2019. Près de quatre ans après, quoi de bien concret ? Des demi-mesures, des amendements à la marge, mais rien de bien fondamental. Reste pratiquement encore hors champ le" lourd" : l'évasion fiscale, la fraude et davantage d'équité- c'est cela 1'"Etat social"... Sans parler de la fuite des capitaux - en 2022, les Marocains se sont classés de nouveau premiers dans l'achat de logements en Espagne.

Alors ? Continuer à regarder ailleurs. La réforme du système éducatif, autre contrainte majeure, est-elle bien appréhendée ? L'efficience des politiques publiques est à la traîne. Ainsi, l'on pâtit d'un système inégalitaire, accentuant les inégalités, avec un système hybride qui se consolide : d'un côté, le secteur public (écoles, collèges et universités) toujours à la peine – en voie de restructuration, dit-on…et de l'autre le secteur privé qui se développe à tout crin, mais au profit de ceux qui peuvent acquitter des dépenses financières élevées. Un processus inévitable, au Maroc et ailleurs, sauf que tout doit être entrepris pour y apporter des corrections sociales - l'égalité des chances plaidé et consacré dans le rapport du NMD, c'est aussi cette exigence. Mais qui s'en soucie en termes concrets ? 

Quant au pouvoir d'achat, sa préservation reste problématique. Officiellement, il est fait mention de 8% d’inflation environ pour l'année écoulée, sauf à préciser qu’elle  e situe plutôt à 12 /15 % même sur la base de la quinzaine de produits de grande consommation. Et les 2% annoncés pour 2023 sont accueillis avec beaucoup de scepticisme. Le grand chantier de la protection sociale est mis en œuvre sauf à relever que le gouvernement n'a pas dit comment il allait mobiliser les 5 milliards de DH annuellement nécessaires d'ici 2026.

Reste la pratique institutionnelle. Les organes constitutionnels jouent-ils pleinement leur rôle ? Voire. Le parlement ne trouve pas vraiment ses marques ; la loi de finances 2023 a été adopté en seconde lecture par la Chambre des représentants votée le 8 décembre dernier par 102 députés contre 27, soit moins d'un tiers des membres ! Faut-il s'étonner alors d’un sentiment antiparlementaire vivace témoignant d'un insuffisant enracinement démocratique ? De plus, cette institution n'utilise pas tous les mécanismes lui permettant d'assurer de manière optimale son contrôle des politiques publiques, le gouvernement corsetant au surplus la place et le rôle de l'opposition. Quant à l'exécutif actuel en place depuis octobre 2021, il s'est placé dans une équation d'exercice a minima de ses attributions. 

Voilà bien en effet une disposition d'esprit qui le voit "attendre" les impulsions et les orientations Royales pour s'atteler à des réformes : Code de la Famille, statut et rôle des Marocains du Monde, etc. Pour 2023, faut-il encore continuer à gérer cette forme de gouvernance décalée, en retrait, sans initiative ni imagination ? L'état des lieux du système partisan pousse certainement dans ce sens. En laissant de côté des formations de l'opposition qui n'ont pas la main sur les politiques publiques, force est de relever que dans la majorité prévaut largement la difficulté à se mobiliser autour d'une capacité réformatrice. La formation istiqlalienne de Nizar Baraka fait face à un inconfort certain ; ronge même ses sangs en attendant et en espérant une relance. Le RNI de Aziz Akhannouch et le PAM de Abdellatif Ouahbi sont-ils audibles ? Leur visibilité paraît réduite à leurs responsables respectifs, l'un Chef du gouvernement et l'autre ministre de la Justice.

L'année écoulée a été difficile et complexe pour toutes sortes raisons cumulatives connues (impact pandémie Covide 19, sécheresse, effets conflit Ukraine/ Russie, etc.). Celle qui commence doit être celle de la relance économique ; elle ne se décrète pas avec un discours lénifiant, d'auto- satisfaction et d'annonces ; elle requiert des conditions à réunir sur la base de réformes conséquentes. Il importe également de ne pas évacuer d'autres, dites de troisième génération", notamment le primat de la politique en lieu et place d’une approche par trop gestionnaire, se voulant " technocratique "… ; sur la situation des droits de l'homme et des libertés ; des questions sociétales liées en partie au code pénal, à la condition féminine et à tant d’autres.

Des anti-vœux pour 2023 et retour finalement souhaité aux vœux en 2024 ? On verra bien dans un an...

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