Aux origines d'Israël : Le sionisme chrétien – Par Mohamed Chraibi

5437685854_d630fceaff_b-

‘’Le « second coming » (seconde venue) de Jésus à Jérusalem où Il établira le Royaume de Dieu, une fois les Juifs « restaurés » sur la terre d'Israël’’

1
Partager :

On a pris l'habitude de voir le conflit dit israélo-arabe d'abord et israélo palestinien ensuite sous l'angle géo stratégique uniquement et d'expliquer l'appui inconditionnel de l’Occident à Israël par des considérations essentiellement politico-économiques. Dans cette optique, Israël perçu comme tête de pont de l’Occident (avide de pétrole) en Orient, aurait dû perdre de son intérêt pour les États-Unis depuis que ce pays est auto-suffisant dans cette matière. 

Il n'en est évidemment rien comme on a pu le constater avec l’événement en cours depuis le 7 Octobre. Dans la même logique, il était admis que l’appui indéfectible des États Unies à Israël était principalement dû à l'activisme incessant du puissant « lobby juif » auprès des congressistes américains. C’est tout aussi inexact et l'objet de cet article est de montrer que cette vision est largement erronée : l'attachement des États-Unis à Israël plonge ses racines dans le protestantisme évangélique américain, lui-même à l'origine de la naissance des États-Unis, comme le montre J.P. Filiu dans son dernier livre (1).

Le « second coming »

Au moment de l’indépendance américaine en 1776, le protestantisme britannique est traversé par une vague de revivalisme religieux  connu sous le nom générique d'évangélisme dont l'un des actes de foi est le « second coming » (seconde venue) de Jésus à Jérusalem où Il établira le Royaume de Dieu, une fois les Juifs « restaurés » sur la terre d'Israël. 

Avec cette « restauration », deux tiers des Juifs seront massacrés par l'Antéchrist (lui-même tué ensuite par le Christ) et le troisième tiers, sauvé par sa conversion à la vraie foi du Christ (le protestantisme) et libéré de l’emprise de l’église catholique, prendra son envol vers le royaume de Dieu où le Christ-roi rétablira le royaume de David. Cet événement connu sous le nom d'eschatologie protestante qui interviendra à la « fin des temps », quelque part dans le nord d’Israël, est proche et son signe annonciateur en est la fin de la domination musulmane sur la Palestine avec la chute espérée de l'empire ottoman. 

Les sermons et les livres sur cette prophétie se multiplient dès 1836 dont celui du prédicateur anglais McCaul, « La preuve par le Nouveau testament que les Juifs doivent être restaurés sur la terre d'Israël", et la déclaration de lord Shaftesbury (membre de la Chambre des Lords, 1853) : « Il est un pays sans nation et Dieu dans sa miséricorde et sa sagesse nous dirige vers une nation sans pays. Son peuple autrefois aimé et toujours aimé, les fils d’Abraham, Isaac et Jacob ». Déclaration qui prendra la formulation, appelée à une brillante postérité, « une terre sans peuple pour un pays sans terre » en 1901 sous la plume d’un autre pamphlétaire britannique (Israël Zangwill). 

Cette vague évangéliste entraîne dans son sillage, outre des prédicateurs et des hommes politiques, des militaires (comme le colonel Gawler, gouverneur de l’Australie du Sud) et de riches entrepreneurs comme Sir Moses Montefiore ou Thomas Cook, pionnier du tourisme. Parmi les prédicateurs, il convient de citer le révérend Bush, ancêtre des deux présidents du même nom) qui publia, en 1844, une carte de la Palestine découpée en tranches parallèles dont chacune est attribuée à l'une des treize tribus d'Israël.

La vague évangéliste atteint l’autre rive de l’Atlantique

En 1865 est créé le « Fonds d’exploration de la Palestine » qui finance des fouilles à travers toute la Palestine par des archéologues évangélistes dans le but de valider le récit biblique (Israël patrie des Juifs, du royaume de David (1000 avant Jésus) à leur expulsion par les Romains en 136) et, partant, le retour des Juifs sur leur Terre à la fin des temps conformément aux prophéties judéo-chrétiennes. Parallèlement des démarches sont faites auprès du Sultan ottoman demandant l’autorisation aux juifs de son empire et ceux d’autres pays de s’installer en Palestine en contrepartie de la prise en charge de la dette ottomane. En vain. 

La vague évangéliste atteint l’autre rive de l’Atlantique où le révérend et homme d’affaires Blackstone publie son «Jésus arrive » en 1878. Elle pousse des personnalités politique de haut rang et du monde des affaires à demander au président Harrison de faire en sorte que la « Palestine soit rendue aux Juifs ».

Il est nécessaire de marquer ici une pause pour réaliser que l'entente entre évangéliques et Juifs repose sur un malentendu, une sorte de marché de dupes : Dans l'esprit (et la lettre) des évangéliques c'est à ce moment-là que tous les Juifs se convertissent au christianisme ou sont tués. Les Juifs, de leur côté, se félicitent du soutien politique et financier des évangéliques aux colonies et à l'occupation parce qu'ils ne croient pas à la prophétie chrétienne de la fin des jours. Ou la voient différemment : ce sont les chrétiens (considérés comme hérétiques du Judaïsme) qui reviendront, ce jour, à la vraie foi, ou seront tués. 

De l’histoire ancienne ?

En tout cas, il est clair qu’avant de devenir un mouvement juif, le sionisme a d'abord été chrétien. Du reste, Theodore Herzl, lors du premier congrès du mouvement sioniste en 1907, y salue la présence des « sionistes chrétiens ». 

C'est de l'histoire ancienne, diriez-vous. Nullement. J. P. Filiu, dans son livre, rappelle le rôle joué par les évangéliques américains, courtisés par Bégin, dans l’échec de Carter et la victoire de Reagan lors des élections présidentielles américaines de 1980.

Et, encore plus près de nous, un article du journal israélien Haaretz du 17/4/24 (2) révèle que le lendemain de l’échec de l’attaque du 13 Avril 2024, des centaines de dirigeants évangéliques se sont rassemblés au Capitole à Washington pour implorer les membres du Congrès américain de ne rien faire pour empêcher la situation de dégénérer, pas pour empêcher l'escalade comme le souhaite toute personne ou gouvernement sensé dans le monde. Le pasteur John Hagee, fondateur des «Chrétiens Unis pour Israël » (3) a expliqué à ses partisans que l'attaque iranienne prouvait que « prophétiquement, nous sommes sur le point de la guerre de Gog et Magog qu'Ézéchiel a décrite dans les chapitres 38 et 39. ». Ce Hagee, est connu pour ses sermons, enflammés dans le genre «Quand Israël est impliqué dans une guerre majeure, faites attention... Quand vous voyez ces signes, levez la tête et réjouissez-vous. Votre rédemption est proche". Et donc, dans sa pensée, le barrage de drones et de missiles iraniens est un événement heureux.

(1) J.P. Filiu, est professeur des Universités en France et aux USA. Spécialiste de la Question Palestinienne, sur laquelle il a produit de nombreux ouvrages. Son dernier livre, « Comment la Palestine fut perdue et pourquoi Israël n'a pas gagné. Histoire d'un conflit (XIXe. – XXIe) » vient d'être publié (Seuil, février 2024)

(2) Iran's attack on Israël stoked Netanyahu's appetite for the Apocalypse.  (L’attaque iranienne a aiguisé l’appétit des alliés évangéliques de Netanyahu pour l'Apocalypse)

(3) le même groupe qui, entre autres choses, avait fait pression sur Donald Trump pour qu'il déplace l'ambassade américaine à Jérusalem.

lire aussi