Le nécessaire ijtihad pour un Islam de France : I – Une brève histoire de l’Islam hexagonal

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Dans cet article qui s’inscrit dans la suite du discours du président français Emanuel Macron à Mulhouse où il s’élève contre « le séparatisme islamiste », Hamid Soussany dresse un état des lieux en Islam et apporte quelques réflexions sur l’Islam dans l’hexagone et défend le nécessaire ijtihad [effort d’adaptation et d’actualisation]    de l’Islam de France. De l’Islam consulaire au slafisme en passant par les frères musulmans qui articulent la religion en outil politique, l’auteur brosse un tableau des forces et courants en présence et de l’évolution de la perception de l’Islam en France.

Les dernières déclarations du Président Macron à Mulhouse, tendent à baliser la route épineuse d'un islam français, débarrassé des "influences étrangères". Qui dit influence dit finance. Quid donc du financement de l'islam, dans une République laïque qui "ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte". Exception faite du régime concordataire en Alsace Moselle, entré en vigueur en 1802 sous Napoléon Bonaparte, et qui a survécu à l'annexion allemande en 1871 et au retour dans la République française en 1919. Ce régime de concordat permet à l'Etat de salarier les prêtres, évêques, pasteurs et rabbins, avec un statut de fonctionnaires, l'enseignement de la religion est prodigué dans les écoles publiques à titre facultatif et puis, il existe deux facultés de théologie -catholique et protestante- à l'université de Strasbourg et de Lorraine. 

Si le projet de création d'une faculté de théologie musulmane à l'université de Strasbourg, tarde à voir le jour, une licence d'islamologie a été créée en 2016, et c'est Najat-Vallaud Belkacem, ministre de l'éducation nationale de l'époque qui l'avait annoncée. Une licence avec une approche universitaire sur l'Histoire des mondes musulmans. Elle sera suivie en 2019 par la création d'un master européen "inter-religieux et société" pour répondre "aux défis posés par la cohabitation religieuse de nos sociétés". Cependant, ces deux diplômes universitaires ne répondent pas au besoin de former des imams français.

Néanmoins, cette terre concordataire (Bas Rhin-Haut Rhin-Moselle) demeure par son statut dérogatoire, la porte du salut pour la construction d'un islam français, notamment par la création d'une école des imams et d'aumôniers français, avec un enseignement qui inclut les faits inter-religieux de la société française avec sa dimension laïque.

La volonté du Président Macron d'en finir avec les influences étrangères est en contradiction totale, avec l'accord signé en septembre 2015 par François Hollande et le Maroc pour que l'Institut Mohamed VI de Rabat forme de jeunes imams français.

La difficile mission d'organiser l'islam de France 

L'islam n'a pas de clergé, il n'y a point d'intermédiaire entre Dieu et les fidèles, pas d'organisation hiérarchique comparable à celle de l'Eglise, dire ceci, ne signifie pas un espace désertique dans les Etats musulmans. Dans les faits il existe des imams, des "savants" en islam, des conseils des oulémas et de fatwas sous contrôle des ministères des affaires religieuses qui gèrent, nomment et rémunèrent les imams, et aussi des services spécialisés pour surveiller les mosquées et les mouvements et partis islamistes.

En 1990 Pierre Joxe, ministre de l'intérieur lance le conseil de réflexion sur l'islam de France, qui après moult tergiversations, aboutit en 2002 sous l'impulsion de Nicolas Sarkozy, à la création du CFCM (Conseil Français du Culte Musulman). Il répond aux besoins de l'Etat à avoir des interlocuteurs, mais aussi pour encadrer et apporter des réponses aux questions importantes : la construction et la gestion des lieux de culte ; le statut des imams et des aumôniers ; les pratiques rituelles (halal, carrés confessionnels, jours de fête, pèlerinage…).

Chaque Etat du Maghreb considère sa communauté en France comme une parcelle de sa souveraineté

Dans les faits, le CFCM, qui devait être le noyau d'un islam français, s’est avéré un terrain d'affrontement entre les représentants des pays d'origine, qui se disputent le leadership, entre l'union des musulmans de France, proche du Maroc, largement majoritaire, la fédération de la grande mosquée de Paris, sous obédience algérienne, et l'UOIF (Union des Organisations Islamiques de France) considérée comme le prolongement des frères musulmans en France. Ces deux dernières formations ne doivent leur salut qu'au 1/3 des sièges cooptés, une disposition voulue par les autorités françaises afin de garantir une présence à chacun et un consensus toujours mal mené.

De plus, il ne faut pas trop se fier à la représentativité issue du suffrage électoral du CFCM, composé de grands électeurs dont le nombre est attribué en fonction de la surface des mosquées et des salles de prière de chaque organisation.

A défaut de représenter les musulmans de France, le CFCM représente les pays d’origine 

18 ans après sa création, le CFCM s'est montré incapable de remplir le rôle attendu de lui, sa voix est inaudible, souvent la presse fait état de la discordance de ses membres, la seule fois où les musulmans de France écoutent le message du CFCM, c'est lors de l'annonce du début de Ramadan et de sa fin. Dépourvu d'autorité morale et religieuse, sans moyens financiers propres à la hauteur des ambitions affichées, avec des membres trop occupés par des questions de représentativités politiques auprès des pouvoirs publics. Le CFCM est en mort clinique. 

L'UOIF ou le loup dans la bergerie :

L'UOIF (l'Union des Organisations Islamiques de France) a changé de nom en 2017 pour devenir

" Musulmans de France" pour mieux afficher son hégémonie et son objectif politique de monopoliser la représentativité des musulmans de France.
Proche du prédicateur Tarek Ramadan qui animait toutes ses conférences avant ses démêlés judiciaires, ainsi que du grand théoricien des frères musulmans, Youssef Al Qardawi, déchu de sa nationalité égyptienne devenu Qatari, interdit de séjour en France depuis 2012 et auteur de fatwas appelant au Jihad en Syrie contre le régime syrien, elle organise chaque année le plus grand rassemblement de musulmans en France et en Europe, au palais des expositions du Bourget à Paris. C'est une organisation multinationale et militante, notamment via son mouvement des jeunes français musulmans, dans les quartiers mais aussi et surtout parmi les étudiants musulmans au sein des universités françaises, où ils se montrent très offensifs. Offensifs, ils le sont aussi sur les réseaux sociaux, au sujet des questions d'actualité, comme lors des débats sur le voile, le burkini, au lendemain des attentats islamistes pour diffuser des théories du complot...Côté femmes, c'est l'association "Lallab" qui porte le combat au nom d'un féminisme islamiste nouveau genre, pour le port du voile et du burkini. Ce grand stratagème milite pour une grande visibilité dans l'espace public, adepte du double langage, elle n'hésite pas à faire de l'entrisme auprès des municipalités. C'est aussi l'organisation qui accueille en son sein la majorité des convertis. Lorsque Nicolas Sarkozy avait invité l'UOIF à la table de la République, c'était dans l’objectif de canaliser sa capacité de nuisance. 

Le courant salafiste

Les salafistes français, hors circuit institutionnel, bien que très minoritaires (les chiffres varient selon les sources, on peut avancer l'estimation de 30 000), ils sont visibles dans la société avec leurs habits traditionnels ; qamis et barbe longue pour les hommes, et Jilbab (voile long qui ne cache pas le visage). Certaines informations font état d'environ 200 mosquées ou salles de prière sous influence salafiste. Ils font l'objet d'une surveillance étroite par les pouvoirs publics. Un courant qui prône une lecture rigoriste de l'islam, ils rejettent le mode de vie des sociétés occidentales, mais ne rejettent pas les aides sociales. Leur discours est empreint de puritanisme islamiste, notamment au sujet des interdictions faites aux femmes et sur la mixité. Le salafisme connaît un certain succès auprès des jeunes issus de l'immigration à la recherche de références identitaires ainsi qu’auprès des français convertis en manque de spiritualité, les deux en rupture avec la société. De tendance quiétiste, aucun lien n'a été établi à ce jour, entre les salafistes français et la violence ou le terrorisme, d’où la difficulté pour les pouvoirs publics à trouver les arguments juridiques pour les éradiquer.

Paradoxalement, à bien des égards, le courant salafiste apparaît le plus proche d’un islam de France: il échappe à l'islam consulaire, et aux imams détachés, il rejette l'islam politique contrairement aux frères musulmans de l'UOIF,  ses membres sont composés essentiellement de jeunes français issus de l'immigration et des français convertis, leurs prêches se font en français, très présents sur les réseaux sociaux, en prise avec les moyens de communication moderne. Il reste le dogme dans sa pureté la plus rétrograde et l’habit ostentatoire. (A suivre)

Hamid Soussany

Nice-France-

03 Mars 2020

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