Game (presque) over

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Contraint et forcé, Abdelaziz Bouteflika a jeté l’éponge, mais reste au pouvoir. Le pouvoir a reculé, pour mieux sauter. Le président sortant-restant a promis une nouvelle constitution et une nouvelle république, la deuxième dans l’histoire de l’Algérie. Mais aucun échéancier précis n’a été fixé. Tout au plus « la Conférence nationale inclusive et indépendante, équitablement représentative de la société algérienne » devrait avoir achevé ses travaux avant la fin de 2019. 

Le message du président au peuple algérien affirme solennellement qu’il « n’y aura pas de cinquième mandat ». Le président ajoute étrangement : « il n’en a jamais été question pour moi, mon état de santé et mon âge ne m’assignant comme ultime devoir envers le peuple algérien que la contribution à l’assise des fondations d’une nouvelle République » Mais alors qui s’est présenté au suffrage des Algériens depuis trois semaines les poussant à sortir dans la rue pour rejeter sa candidature. Une énigme encore de la politique à l’algérienne, dérisoire, que peut-être un jour l’histoire éclaircira. Ou pas.

Partagé entre la joie d’avoir remporté une manche et la méfiance que lui inspire un pouvoir roué aux coups tordus, le peuple algérien s’auto-invitera, avant que quiconque ne l’y invite, à la vigilance. Il sait qu’il a en face de lui des clans organisés en oligarchie qui s’arcboutent sur des richesses colossales. Ils n’ont aucunement l’intention de s’en laisser ‘’déposséder’’. S’ils en sont venus aux bons sentiments, à reculons, c’est seulement parce que dans l’incapacité politique de dégainer comme en 1992.

Par ses mouvements inattendus et ses embardées imprévisibles, l’histoire a pris de court une ploutocratie militaro-politique qui ne dormait pourtant que d’un seul œil. N’a-t-on pas vu au cours de ces deux dernières années, le chef d’état-major de l’armée, le général Gaïd Salah, ne rentrer d’une tournée des popotes dans les différentes régions militaires que pour en entamer une autre, ne mettre fin à des manœuvres militaires que pour en lancer de nouvelles, agitant sans cesse l’épouvantail de la menace et du complot tant bien intérieurs qu’extérieurs.

L’Histoire, cette facétieuse

L’Algérie a vécu les années 2017 et 2018 au rythme d’une profonde purge dans la hiérarchie supérieure de l’armée à commencer par le sacro-saint DRS, forteresse et cénacle de la sécurité intérieure et extérieure. On a assisté à de curieuses découvertes de trafic de cocaïne débouchant sur des coups de serpillère dans des corps aussi importants que la police et la gendarmerie et on a vu un général major à la retraite rompre les rangs pour se présenter en challenger du président sortant au grand dam du chef d’état-major dont les mises en garde sont restées vaines. Si bien que les conspirationnistes hésitent à peine à s’interroger sur la part de la spontanéité et de la manipulation dans ces trois mémorables semaines que vient de vivre l’Algérie.   

Les grandes manœuvres ne font que commencer et s’arrêter à ces conjectures serait faire injure à la grâce de cette page de l’histoire en marche. Les manifestations des Algériens contre le cinquième mandat ont exhalé un ressort bon enfant qui inspire la joie et aspire à la vie. Trois semaines après le déclenchement des protestations, les Algériens eux-mêmes ne semblaient pas y croire. L’amusement était à la mesure de la colère. Un humour féroce et décapant a émergé de ce tumulte à l’image de ce manifestant brandissant une pancarte où l’on peut lire : « Ils ont voulu nous enterrer, ils ont oublié que nous sommes des graines ». Longtemps les annales de la caricature garderont celle de Dilem où il met en scène les six lettres des Algériens en réponse à la lettre de Abdelaziz Bouteflika : DEGAGE !

Pouvait-on mieux répondre à un président sortant et paralysé qui vous écrit, après vingt ans au pouvoir, encore un mandat et je vous promets que je ne l’achèverai pas ? Nul besoin d’être un habitué des instants historiques pour pressentir  à distance l’ébullition des neurones et des synapses dans un mouvement forcément créatif et magnétique, chantant, dansant, scandant. Y a-t-il plus beau renvoi à l’histoire que ces jeunes femmes qui se sont drapés de leur haïk pour invoquer la révolution algérienne, la vraie, volée et détournée en 1962 et 1965, celle qu’une survivante, la mythique Djamila Bouhired, a représentée en marchant, à 84 ans, parmi les manifestants ?

C’est une chronique de braise que ne renierait certainement pas Mohamed Lakhdar-Hamina, que vient d’écrire les Algériens, quelle qu’en soit l’issue. Elle a enfanté l’amorce du début de changement que le pouvoir en place ne pouvait concevoir que sous son contrôle. Selon les termes de la lettre qu’il ou qu’on lui a fait écrire, Abdelaziz Bouteflika est là, si dieu lui prête vie, pour au moins une année. Un cinquième de mandat de tous les dangers, pour le meilleur comme pour le pire. L’histoire a malicieusement joué un mauvais tour aux généraux et les a fait prendre à leur propre jeu d’avoir retenu de la démocratie son simulacre. Game over, ont souvent brandi les manifestant. C’est presque chose faite. Il appartient désormais au peuple algérien et à lui seul de ne pas se laisser déposséder encore fois.

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