C’était mieux avant, la menthe dans la peau

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C??tait mieux avant. De la capitale des crises ? la capitale du royaume, une aventure. Guett?e sur des charbons ardents. S?frou-Rabat. Les cerises n?ont plus la m?me saveur, le voyage non plus. Le p?riple qui prenait ? l??poque cinq ? six heures de plaisir, on l?effectue aujourd?hui vite fait mal fait en moins de deux heures.

Ce qui me renvoie si loin dans le temps je le dois ? la m?moire de l?eau ? la bouche qu?a fait remonter en moi le coup de gueule de mon ami Abdeslam Seddiki, acteur et scrutateur de la vie marocain. Ancien ministre du Travail, membre dirigeant du PPS, il n?exige pas moins qu?un d?bat national sur le th? ? la menthe. Je caricature un peu, bien s?r.

??Le th? ? la menthe est la boisson la plus populaire chez nous. N'est-il pas sage et opportun de revenir aux sources et aux coutumes mill?naires d'une agriculture biologique qui n'ob?it pas aux r?gles sacro-saintes de la rentabilit? financi?re??.

C??tait mieux avant?donc. Du moins pour la menthe.

On ?piait l?aurore pour prendre le car jusqu?? la gare routi?re de F?s Jdid-El Mallah. Je n?ai pas souvenir qu?on dormaient ces nuits-l?. De S?frou ? F?s, les cars faisaient encore monter des gens sur le toit et, enfants, on enviaient ces ?lus de l?air frais sur ce qui nous semblait la terrasse panoramique du monde.

De F?s ? Rabat commen?ait la chevauch?e d?une route nationale dont il ne nous viendrait pas ? l?id?e de nous en plaindre. Bien avant Mekn?s, on s?arr?taient ? Al Mhaya, ou quelques kilom?tres plus loin, sous trois ?normes peupliers, pour consolider le petit d?jeuner. Un bol de sicouk au go?t introuvable aujourd?hui. C??tait mieux avant. Personne ne pouvait penser que la semoule ?tait travaill?e par autre chose que les mains des paysannes. Sans nous soucier de leur propret?. Et c??tait mieux ainsi.

La route reprenait ses droits, tortur?e, mais dont on ne connaissaient pas de meilleure. La t?te d?j? ? la prochaine escale. Dans la remont?e de l?apr?s vall?e de oued Beht, juste apr?s Mekn?s, jusqu?? pas tr?s loin de Kh?misset, les mulets doublaient les cars, mais le temps avait son temps et la lenteur du parcours faisait partie des joies de l?exp?dition. A Kh?misset c??tait l?heure des brochettes. Personne ne se souciait des mains d?gant?es du boucher ni se demandait s?il les avait lav?es. Rien qu?? leur vue, on en tomberaient malades aujourd?hui.

De toutes les nostalgies, l?escale de Mekn?s laisse une senteur sp?cifique. Une ville dont, longtemps, on n?a connu les contours que des fen?tres des cars, une cit? mythifi?e par les r?cits de nos instituteurs qui nous racontaient comment l?implacable sultan Moulay Ismail enterrait dans les remparts en construction les ouvriers morts sur place ? la t?che. ?Chaque mort ?tait un titre de gloire, un troph?e dans les ?crins du roi b?tisseur qui avait mis fin ? l?anarchie dans laquelle se complaisait le Maroc suite au d?c?s de son fr?re Moulay Rachid. L?ONU n?existait pas encore, le roi soleil r?gnait sur la France, ni Rousseau ni Toqueville n??taient encore n?s?; Marx, le p?re de sa m?re n??tait qu?un probable projet dans les tables?; la d?claration des droits de l?Homme, les esprits ne pouvaient encore la concevoir?; les pesticides s?ils avaient exist? n?auraient servi qu?aux talismans. Mais il y avait la menthe de Mekn?s aux longues tiges et feuillage granul?, saveur poivr?e dont les ar?mes qui emplissaient le car jusqu?? son terminus perp?tuaient une tradition mill?naire. On ne savaient sans doute rien des libert?s collectives et individuelles, mais on ?taient s?r que la menthe ?tait comme nous, ? l??tat nature. Etait-ce mieux?? Sans doute. Dans nos contrari?t?s contemporaines.??

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