Faire entrer l'art ''élitiste'' dans les favelas de Rio

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L'artiste brésilien Maxwell Alexandre pose pour un portrait dans la favela de Rocinha à Rio de Janeiro, au Brésil, le 20 décembre 2023. Contre l'idée que l'art est réservé à l'élite, des artistes brésiliens mondialement reconnus ouvrent des galeries dans les favelas de Rio de Janeiro, gangrenées par la drogue et la violence. (Photo MAURO PIMENTEL / AFP)

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Contre une vision "élitiste" de l'art, des plasticiens brésiliens reconnus à l'étranger ont fait le pari d'ouvrir des galeries dans des favelas de Rio de Janeiro pour le mettre à la portée d'habitants au quotidien miné par la violence et la pauvreté.

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Des visiteurs regardent des peintures de l'artiste brésilien Maxwell Alexandre à la galerie Maxwell Alexandre Pavilhao, fondée par l'artiste, dans la favela Rocinha à Rio de Janeiro, au Brésil, le 20 décembre 2023. Luttant contre l'idée que l'art est réservé à l'élite, des artistes brésiliens mondialement reconnus ouvrent des galeries dans les favelas de Rio de Janeiro, ravagées par la drogue et la violence. (Photo MAURO PIMENTEL / AFP)

"Quand on amène" une galerie "d'art contemporain dans une favela, on donne un accès à ce qui était auparavant l'art de la bourgeoisie, quelque chose d'exclusif", dit à l'AFP Maxwell Alexandre, qui a ouvert l'an dernier l'espace Pavilhao 2 à Rocinha, la deuxième favela la plus peuplée du Brésil, où il a grandi.

Cet artiste de 33 ans y présente notamment des pièces qui ont pu être admirées l'an dernier lors d'une exposition parisienne.

Certaines œuvres brossent des scènes inspirées de la vie de l'âpre et tentaculaire Rocinha. Trois tableaux montrent des jeunes vêtus d'uniformes d'écoles publiques et qui, plutôt que d'assister à leurs cours, transportent des sacs frappés du logo d'une entreprise de livraison de repas.

- Autres priorités -

Mais dans sa galerie au sein de la favela, Maxwell Alexandre, qui a également exposé en Espagne et aux Etats-Unis, ne se contente pas de montrer ses œuvres. Il veut aussi les vendre à un prix plus accessible: 1.000 réais (environ 185 euros).

"Je veux que des gens qui vivent dans la favela puissent voir mon œuvre non seulement dans la galerie, mais aussi chez eux", explique-t-il, même si ces tarifs, bien loin des prix stratosphériques du marché de l'art, restent encore hors d'atteinte pour beaucoup.

Tandis qu'il parle à l'AFP, l'enseignante Mariana Furloni, 45 ans, admire les œuvres exposées: "c'est génial, parce que l'art est généralement très élitiste" et les galeries de Rio se concentrent surtout dans les quartiers aisés, dit-elle.

Maxwell Alexandre reconnaît que, comme cette enseignante, la plupart des visiteurs ne viennent pas de la favela, où les habitants ont d'autres priorités, comme subvenir à leurs besoins les plus vitaux.

Même si certains lui conseillent de s'installer dans des creusets d'artistes comme Berlin ou New York, il préfère rester à Rio, pour ressentir une urgence créatrice liée à la chaleur extrême et au chaos urbain autour de lui.

- "Lieu d'échange" -

A une trentaine de kilomètres plus au nord, le plasticien Allan Weber, 31 ans, a ouvert en 2020 une galerie dans sa favela, Cinco Bocas.

Ses œuvres ont été exposées récemment à la foire d'art contemporain "Art Basel" à Miami.

Mais à Rio, il utilise sa galerie pour mettre en lumière des artistes moins connus.

"C'est un lieu d'échange entre la favela et les gens qui viennent d'ailleurs", confie-t-il.

Il l'a fondée en pensant à ceux qui ont grandi avec lui et n'ont pas accès aux musées des quartiers chics, mais aussi à des amis plus aisés réticents à visiter des favelas, dissuadés par la violence liée au trafic de drogue et aux opérations policières musclées.

"J'ai passé toute mon enfance à voir des armes, et, grâce à l'art, j'ai pu leur donner un nouveau sens", souligne cet artiste, dont une œuvre représente un fusil d'assaut fabriqué à partir de pièces d'appareil photo.

Dans sa galerie, on peut admirer depuis septembre "Tô de Pé" (Je suis debout), exposition du jeune artiste Cassio Luis Brito da Silva, 22 ans, surnommé Malvo, qui présente ses photos de soirées "baile funk", style musical né dans les favelas cariocas, et d'étonnantes sculptures faites avec des cigarettes.

Pour Malvo, avoir pu voir des œuvres d'autres artistes dans cette galerie a servi d'inspiration: "c'était une belle sensation de voir plusieurs personnes comme moi exposer dans ce lieu".

La galerie de Cinco Bocas abrite aussi un projet social dans lequel Allan Weber tente d'initier d'autres jeunes de sa favela à l'art.

Parmi eux, le fils de la manucure Cintia Santos de Lima. "Il est autiste et avant, il ne sortait presque pas", raconte-t-elle. "C'est vraiment bien pour nous, car ici, il n'y a presque pas de lieux comme celui-là."

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