De la fatalité : Santiago Nasar va mourir – Par Samir Belahsen

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Chronique d'une mort annoncée (en italien : "Cronaca di una morte annunciata"), sorti en 1987. Réalisé par Francesco Rosi et le scénario a été coécrit par Tonino Guerra. Le film met en scène Rupert Everett, Ornella Muti (photo) , et Gian Maria Volonté, parmi d'autre

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« Ah ! mon ami, je n'ai jamais si bien compris la fatalité de certains antagonismes, et comment avec le cœur le plus tendre, la raison la plus droite, on peut faire son malheur et celui des autres. »

Émile Zola

« La politique est la forme moderne de la tragédie. Elle remplace sur notre théâtre la fatalité antique. L'avenir n'est à personne. J'essaie de le soumettre à ma volonté. »

 Jean d'Ormesson

Gabriel Garcia Marquez, Prix Nobel de Littérature, dans un récit foisonnant de sensations fortes et de sentiments denses et contradictoires, nous emporte dans un monde fruste, fascinant et fantasque avec humour et imagination.

C’est « La chronique d’une mort annoncée ».

L’histoire

Sous les multiples coups de ses meurtriers, Santiago Nasar est mort assassiné. 

Parce que la belle Angela n'était pas vierge à son mariage…

Une victime idéale (l’arabe), une tradition d'honneur, une volonté meurtrière, un simple hasard ou est-ce la fatalité ? 

Sinon serait-ce le concours de toutes ces circonstances malheureuses ? 

Le colombien ose spoiler l’ouvrage en révélant dès le départ l'identité de la victime et celle des assassins. Sans pour autant perdre lecteur ni tuer le suspens. Il va en vérité au-delà du crime. 

Le narrateur nous décrit soigneusement ces dernières heures, en recoupant les témoignages. Il délivre les indices, remontant dans le passé à la recherche des racines du mal. Cristo Bedoya se souvient de sa jeunesse, où son ami d'alors Santiago Nasar s'était fait assassiner par les frères jumeaux Vicario pour venger l'honneur de leur sœur Angela, répudiée après sa nuit de noces par son mari Bayardo San Roman parce qu'elle avait perdu sa virginité.

Comment ce drame annoncée n’a pu être évité alors que tout le monde savait ? 

On a envie de répondre que c’est à cause de l'indigence morale des habitants du village, enfermés dans leurs préjugés et leurs superstitions. Gabriel García Márquez s’attarde bien sur les considérations sociales propres à l'Amérique latine pendant la seconde moitié du siècle dernier où  la religion tient un rôle important, associée aux valeurs morales plus ancestrales d'honneur et de famille. 

Sinon on peut accuser la fatalité chaotique.

N’est-il pas absurde de tuer quelqu'un parce qu'il a « peut-être» dépucelé une jeune fille avant son mariage ? N’est ce pas plus absurde de marier sa fille à un homme qu'elle a à peine vu ?  Quoi de plus absurde que de se justifier par « L'amour aussi, ça s'apprend ! ». 

Ce qui est le plus absurde c’est l'irresponsabilité collective qui a tout laissé faire. 

Ca nous pose la question de notre passivité face à toutes ces choses absurdes, incompréhensibles et abominables qu'on pourrait empêcher, qu'on laisse faire par passivité, irresponsabilité, par peur ou par paresse. Le tout en accusant la fatalité.

La fatalité

Les dictionnaires définissent la fatalité comme le caractère de ce qui est fatal, de ce qui est inévitable.

C’est une destinée inévitable, une nécessité qui résulte de la nature des choses. Le plus souvent il s’agit d’un évènement fâcheux, de malheur ou de malchance.

La notion renvoie aussi à une puissance qui déterminerait le cours des événements d'une façon irrévocable.

« L'ascèse nietzschéenne, partie de la reconnaissance de la fatalité, aboutit à une divinisation de la fatalité. Le destin devient d'autant plus adorable qu'il est plus implacable. »

Si la conception de chacun de la fatalité est liée à ses convictions religieuses et philosophiques, on peut constater que dans la pratique c’est souvent un vrai cache-misère.

Quand nous ne pouvons comprendre et justifier notre incapacité à nous indigner, à agir pour changer le cours des événements, on se cache derrière une fâcheuse fatalité. 

L’histoire nous enseigne que des femmes, des hommes et des peuples ont osé lutter contre la fatalité, c’est-à-dire, contre ce qui était présenté comme fatalité…

Parmi eux on trouvera des prophètes, des philosophes, des scientifiques, des révolutionnaires, des athlètes et des peuples qui ont plus cru en la force de la volonté liée à l’action qu’à la fatalité supposée.

Ils ont changé leur destinée. Ils ont changé le monde.