Cinéma, mon amour de Driss Chouika: ''KAFR KASSEM'', UNE MÉTAPHORE VISUELLE POIGNANTE

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Le 29 octobre 1956, pendant la crise de Suez, l'armée israélienne a imposé un couvre-feu brutal à Kafr Kassem, un village arabe israélien. Les habitants qui n’étaient pas au courant du couvre-feu ont été tués à leur retour chez eux, créant une tragédie humaine qui a choqué le monde

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Cinéma, mon amour !'' de Driss Chouika - LE CINÉMA UNDERGROUND : QUAND  L'AMÉRIQUE FAISAIT SON CINÉMA EXPÉRIMENTAL 

« Ce qui saisit d’emblée dans un film comme Kafr Kassem, c’est une extrême gravité de ton, une sorte de modulation calme, équilibrée ; celle de ces conteurs au soleil qui veillent à l’écoute, suspendant leur parole et graduant délicatement les stances et le rythme de leur récit. La cause palestinienne, défendue bien souvent avec esclandre et frénésie, trouve soudain ici, pour parler de ses douleurs et analyser ses raisons, une voix posée, assurée, authentique ». Ignacio Ramonet (Le Monde diplomatique, janvier 1975). 

EXPLORATION D’UNE INJUSTICE HISTORIQUE

Le cinéma a souvent servi de miroir pour refléter des réalités sociales et politiques historiques. "Kafr Kassem", réalisé par Borhane Alaouié (1er avril 1941 – 09 septembre 2021), présenté en 1974 au Journées Cinématographiques de Carthage et en 1975 au Festival International du Film de Moscou, est l'un de ces films qui va au-delà du divertissement pour explorer les profondeurs des expériences humaines et des injustices historiques.

"Kafr Kassem" prend racine dans un événement tragique de l'histoire d'Israël et du sionisme, connu historiquement sous le nom du massacre de Kafr Kassem. Le 29 octobre 1956, pendant la crise de Suez, l'armée israélienne a imposé un couvre-feu brutal à Kafr Kassem, un village arabe israélien. Les habitants qui n’étaient pas au courant du couvre-feu ont été tués à leur retour chez eux, créant une tragédie humaine qui a choqué le monde. Borhane Alaouié, cinéaste syrien engagé, a choisi de donner une voix à cette tragédie à travers son film, apportant une dimension artistique poignante à un événement qui continue de résonner dans la mémoire collective palestinienne et internationale.

Borhane Alaouié est connu pour son engagement envers des sujets sociaux et politiques complexes. "Kafr Kassem" ne fait pas exception. Alaouié utilise le cinéma comme un moyen de témoignage, capturant l'injustice et la cruauté infligées à des innocents. Son style cinématographique, alliant réalisme et poésie, crée une toile immersive où le spectateur est invité à ressentir les émotions brutes des personnages confrontés à une tragédie incommensurable.

La structure narrative de "Kafr Kassem" est délibérément non linéaire, s'ouvrant avec la nouvelle du couvre-feu et dévoilant progressivement les événements qui ont conduit au massacre. Ce choix narratif renforce l'impact émotionnel du film en permettant au public de partager le choc et l'horreur ressentis par les habitants de Kafr Kassem. L'utilisation de flashbacks crée une tension constante, soulignant la tragédie imminente et la violation inhumaine des droits fondamentaux de l’homme.

UNE MÉTAPHORE VISUELLE POIGNANTE

"Kafr Kassem" examine de près le concept du couvre-feu imposé par l'armée israélienne. Alaouié dépeint la manière dont une simple règle militaire devient un instrument de terreur, transformant des citoyens paisibles en victimes de la cruauté bureaucratique. Ce choix tactique de narration a permis au réalisateur de mettre en lumière l'absurdité de la situation et de questionner la moralité derrière de telles décisions.

Les personnages de "Kafr Kassem" sont confrontés à des dilemmes moraux déchirants. Le spectateur est témoin de leur lutte intérieure alors qu'ils sont forcés de choisir entre obéir à un ordre inhumain ou désobéir au risque de leur vie. Alaouié explore la psychologie de la culpabilité, de la résistance et de la rédemption, offrant ainsi des personnages complexes et nuancés.

Basée sur la symbolique de l'oranger, le dispositif narratif du film est une métaphore visuelle poignante. L'oranger, omniprésent dans le film, devient un symbole puissant. Il représente la vie, la beauté et la normalité dans un contexte de chaos. Les plans récurrents sur les orangers, souvent associés à des moments tragiques, créent une métaphore visuelle poignante. L'oranger devient le témoin silencieux d'une communauté déchirée par la violence.

Alaouié utilise des techniques cinématographiques distinctives pour intensifier l'impact émotionnel. Des plans rapprochés saisissants mettent en évidence les expressions faciales des personnages, révélant la détresse et la terreur. La bande sonore, minimaliste mais efficace, accompagne chaque moment avec subtilité, renforçant l'atmosphère de tension constante.

"Kafr Kassem" a été largement salué par la critique pour son courage artistique et sa capacité à aborder un sujet délicat avec sensibilité. Il a remporté plusieurs prix internationaux, soulignant son importance dans le paysage cinématographique mondial. Son héritage réside dans sa capacité à éduquer, à rappeler et à humaniser une tragédie souvent oubliée.

Au-delà de son contexte historique spécifique, "Kafr Kassem" explore des thèmes universels tels que la dignité humaine, la résilience face à l'oppression et les conséquences dévastatrices de la violence institutionnalisée. Ces thèmes résonnent avec un public international, faisant de "Kafr Kassem" bien plus qu'un simple document historique, un témoignage humaniste profond dans un intense moment de crise.

"Kafr Kassem" de Borhane Alaouié transcende les frontières du cinéma conventionnel pour devenir un monument artistique et social. En racontant un épisode tragique de l'histoire d’israel, le film s'inscrit dans une tradition cinématographique engagée, utilisant le pouvoir de l'image et du récit pour témoigner des injustices et des souffrances humaines. En tant que chef-d'œuvre cinématographique engagé, "Kafr Kassem" demeure un rappel nécessaire de la responsabilité du cinéma à documenter, questionner et stimuler la conscience collective de l’Humanité.

FILMOGRAPHIE DE BORHANE ALAOUIÉ (LM)

« Kafr Kassem » (1974) ; « Il ne suffit pas que Dieu soit avec les pauvres » (1978) ; « Beyrouth la rencontre » (1981) ; « Lettre du temps de guerre » (1984) - Documentaire ; « La guerre du Golfe… et après ? » (1993), film collectif comportant 5 CM de Nouri Bouzid, Néjia Ben Mabrouk, Borhane Alaouié, Elia Suleiman et Mostafa Derkaoui ; « Khalass » (2006).

 

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